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ORAISON

le Duc de Lorraine une entreprise pour la délivrance du Roi fon Seigneur, dont le fuccès paroît infaillible, tant le concert en eft DE HENR. jufte. Elle retire fes chers enfans, l'unique efpérance de fa MaiMARIE fon; & confeffe à cette fois que parmi les plus mortelles douleurs, DE FRANCE. On est encore capable de joie. Elle confole le Roi qui lui écrit

FUNEBRE

de fa prifon même, qu'elle feule foutient fon efprit, & qu'il ne faut craindre de lui aucune baffeffe, parce que fans ceffe il fe fouvient qu'il eft à elle. O mere, ô femme, ô Reine admirable, & digne d'une meilleure fortune, fi les fortunes de la terre étoient quelque chofe ! Enfin il faut céder à votre fort. Vous avez assez foutenu l'Etat, qui eft attaqué par une force invincible & divine: il ne reste plus déformais, finon que vous teniez ferme parmi fes

ruines. 1

Comme on voit une colomne; ouvrage d'une antique architecture, qui paroît le plus ferme appui d'un Temple ruineux, lorfque ce grand édifice qu'elle foutenoit, fond fur elle fans l'abattre ainfi la Reine fe montre le ferme foutien de l'Etat, lorf qu'après en avoir long-tems porté le faix, elle n'eft elle n'eft pas même courbée fous fa chûte.

:

Qui cependant pourroit exprimer fes juftes douleurs? Qui pourroit raconter fes plaintes? Non, MESSIEURS, Jérémie lui-même, qui feul femble être capable d'égaler les lamentations aux calamités, ne fuffiroit pas à de tels regrets. Elle s'écrie avec ce Lam. 1. 16. Prophéte. Voyez, Seigneur, mon affliction. Mon ennemi s'eft fortifié, 1bid. 1. 10. & mes enfans font perdus. Le cruel a mis fa main facrilege fur ce qui 1. XXII. 4. m'étoit le plus cher. La Royauté a été profanée, & les Princes font foulés aux pieds. Laissez-moi, je pleurerai amérement, n'entreprenez pas de me confoler. Le glaive a frappé au-dehors, mais je fens en moimême une mort femblable.

Ibid. 11. 2.

Lam. I. 2c.

en

Mais après que nous avons écouté fes plaintes, faintes filles, fes chères amies, (car elle vouloit bien vous nommer ainfi ) vous qui l'avez vûe fi fouvent gémir devant les Autels de fon unique Protecteur, & dans le fein defquelles elle a verfé les fecrettes confolations qu'elle en recevoit, mettez fin à ce discours nous racontant les fentimens Chrétiens dont vous avez été les Témoins fidéles. Combien de fois a-t-elle en ce lieu remercié Dieu humblement de deux grandes graces : l'une, de l'avoir fait Chrétienne ; l'autre, MESSIEURS, qu'attendez-vous ? Peut-être d'avoir rétabli les affaires du Roi fon fils? Non. C'eft de l'avoir fait Reine malheureuse. Ha! je commence à regretter les bornes étroites du

FUNEBRE DE HENR

MARIE

Luc. Vl, zs

lieu où je parle. Il faut éclater, percer cette enceinte, & faire retentir bien loin une parole qui ne peut être affez entendue: ORAISON Que fes douleurs l'ont rendue fçavante dans la fcience de l'Evangile, & qu'elle a bien connu la Religion, & la vertu de la Croix, quand elle a uni le Chriftianisme avec les malheurs. Les DE FRANCE. grandes profpérités nous aveuglent, nous tranfportent, nous égarent, nous font oublier Dieu, nous-mêmes, & les fentimens de la foi. Delà naiffent des monftres de crimes, des rafinemens de plaifir, des délicateffes d'orgueil, qui ne donnent que trop de fondement à ces terribles malédictions, que Jefus - Christ a prononcées dans fon Evangile : Malheur à vous qui riez ; malheur à vous qui êtes pleins & contens du monde. Au contraire, comme le Chriftianifme a pris fa naiffance de la Croix, ce font auffi les malheurs qui le fortifient. Là on expie fes péchés ; là on épure fes intentions; là on transporte fes défirs de la terre au Ciel; là on perd tout le goût du monde, & on ceffe de s'appuyer fur foi-même, & fur fa prudence. Il ne faut pas fe flatter; les plus expérimentés dans les affaires font des fautes capitales. Mais que nous nous pardonnions aisément nos fautes, quand la fortune nous les pardonne! Et que nous nous croyons bientôt les plus éclairés, & les plus habiles quand nous fommes les plus élevés & les plus heureux! Les mauvais fuccès font les feuls maîtres qui peuvent nous reprendre utilement, & nous arracher cet aveu d'avoir failli, qui coûte tant à notre orgueil. Alors, quand les malheurs nous ouvrent les yeux; nous repaffons avec amertume fur tous nos faux pas: nous nous trouvons également accablés de ce que nous avons fait, & de ce que nous avons manqué de faire ; & nous ne fçavons plus par où excufer cette prudence préfomptueufe qui fe croyoit infaillible. Nous voyons que Dieu feul eft fage; & en déplorant vainement les fautes qui ont ruiné nos affaires, une meilleure réflexion nous apprend à déplorer celles qui ont perdu notre éternité, avec cette finguliére confolation, qu'on les répare quand on les pleure.

Dieu a tenu douze ans fans relâche, fans aucune confolation de la part des hommes, notre malheureuse Reine ( donnons-lui hautement ce titre, dont elle a fait un sujet d'actions de graces) lui faifant étudier fous fa main ces dures mais folides leçons. Enfin fléchi par ses vœux & par fon humble patience, il a rétabli la Maison Royale. CHARLES II. eft reconnu, & l'injure des Rois a été vengée. Ceux que les armes n'avoient pû vaincre, ni les con

DE HENR.

seils ramener, font revenus tout-à-coup d'eux-mêmes : déçus par ORAISON leur liberté, ils en ont à la fin détefté l'excès, honteux d'avoir FUNEBRE tant pû & leurs propres fuccès leur faifant horreur. Nous fçavons MARIE que ce Prince magnanime eût pû hâter fes affaires en fe fervant DE FRANCE. de la main de ceux qui s'offroient à détruire la tyrannie par un feul coup. Sa grande ame a dédaigné ces moyens trop bas. Il a cru qu'en quelque état que fuffent les Rois, il étoit de leur Majefté de n'agir que par les Loix, ou par les armes. Ces Loix qu'il a protégées, l'ont rétabli prefque toutes feules: il regne pailible & glorieux fur le Thrône de fes Ancêtres, & fait regner avec lui la juftice, la fageffe, & la clémence.

illud regnum

ment

confortes. S. Aug. de Civ. cap. 24..

me,

Il eft inutile de vous dire combien la Reine fut confolée par ce merveilleux événement; mais elle avoit appris par fes malheurs, à ne changer pas dans un fi grand changement de fon état. Le monde une fois banni, n'eut plus de retour dans fon cœur. Elle vit avec étonnement que Dieu qui avoit rendu inutiles tant d'entreprises & tant d'efforts, parce qu'il attendoit l'heure qu'il avoit marquée, quand elle fut arrivée, alla prendre comme par la main, Plus amant le Roi fon Fils, pour le conduire à fon Thrône. Elle fe foumis in quo non ti- plus que jamais à cette main fouveraine, qui tient du plus haut habere des Cieux les Reines de tous les Empires, & dédaignant les Thrônes qui peuvent être ufurpés, elle attacha fon affection au Royauoù l'on ne craint point d'avoir des égaux, & où l'on voit fans jaloufie fes concurrens. Touchée de ces fentimens, elle aima cette humble Maison plus que fes Palais. Elle ne fe fervit plus de fon pouvoir que pour protéger la Foi Catholique, pour multiplier fes aumônes, & pour foulager plus abondamment les familles réfugiées de fes trois Royaumes, & de tous ceux qui avoient été ruinés pour la cause de la Religion, ou pour le fervice du Roi. Rappellez en votre mémoire avec quelle circonfpection elle ménageoit le prochain, & combien elle avoit d'averfion pour les difcours empoisonnés de la médifance. Elle fçavoit de quel poids eft non-feulement la moindre parole, mais le filence même des Princes; & combien la médisance se donne d'empire, quand elle a ofé feulement paroître en leur augufte préfence. Ceux qui la voyoient attentive à pefer toutes les paroles, jugeoient bien qu'elle étoit fans ceffe fous la vue de Dieu, & que fidéle imitatrice de l'Inftitut de Sainte Marie, jamais elle ne perdoit la fainte préfence de la Majefté divine. Auffi rappelloit-elle fouvent ce précieux fouvenir par l'Oraifon, & par la lecture du Livre de l'Imitation de

ORAISON

FUNEBRE

JESUS, où elle apprenoit à fe conformer au véritable modéle des Chrétiens. Elle veilloit fans relâche fur fa conscience. Après tant de maux & tant de traverses, elle ne connut plus d'autres enne- DE HENR. mis que fes péchés. Aucun ne lui fembla léger : elle en faifoit MARIE un rigoureux examen; & foigneufe de les expier par la pénitence DE France. & par les aumônes, elle étoit fi bien préparée, que la mort n'a pû la furprendre, encore qu'elle foit venue fous l'apparence du fommeil. Elle eft morte cette grande Reine; & par fa mort elle a laiffé un regret éternel, non-feulement à MONSIEUR & à MADAME, qui fidéles à tous leurs devoirs, ont eu pour elle des refpects fi foumis, fi fincères, fi perfévérans, mais encore à tous ceux qui ont eu l'honneur de la fervir, ou de la connoître. Ne plaignons plus fes difgraces, qui font maintenant sa félicité. Si elle avoit été plus fortunée, fon Hiftoire feroit plus pompeuse, mais fes œuvres feroient moins pleines; & avec des titres fuperbes, elle auroit peut-être paru vuide devant Dieu. Maintenant qu'elle a préféré la Croix au Thrône, & qu'elle a mis ses malheurs au nombre des plus grandes graces, elle recevra les confolations qui font promifes à ceux qui pleurent. Puiffe donc ce Dieu de miféricorde accepter fes afflictions en facrifice agréable! puiffe-t-il la placer au sein d'Abraham, & content de fes maux,épar gner déformais à fa famille & au monde de fi terribles leçons !

1

ORAISON FUNEBRE DE HENR. ANNE D'AN

GLETERRE.

M. le Prin ce.

ORAISON FUNEBRE

DE HENRIETTE-ANNE

D'ANGLETERRE,

DUCHESSE D'ORLEANS.

Vanitas vanitatum, dixit Ecclefiaftes: Vanitas vanitatum, & omnia vanitas. Eccl. I. 2.

Vanité des vanités, a dit l'Eccléfiafte : Vanité des vanités, & tout eft vanité.

MONSEIGN

ONSEIGNEUR*;

J'ETOIS donc encore deftiné à rendre ce devoir funébre à Très-haute & Très-Puiffante Princeffe HENRIETTE-ANNE D'ANGLETERRE, DUCHESSE D'ORLEANS. Elle, que j'avois vûe fi attentive, pendant que je rendois le même devoir à la Reine fa mere, devoit être fi-tôt après le fujet d'un difcours semblable; & ma triste voix` étoit réfervée à ce déplorable ministère. O vanité! ô néant! ô mortels ignorans de leurs deftinées! L'eût-elle cru il y a dix mois ? Et vous, MESSIEURS, euffiezvous penfé, pendant qu'elle verfoit tant de larmes en ce lieu qu'elle dût fi-tôt vous y raffembler pour la pleurer elle-même ? PRINCESSE, le digne objet de l'admiration de deux grands Royaumes,

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