Page images
PDF
EPUB

on accueille une dernière espérance. Il lui peignit l'horreur de sa situation comme roi, et surtout comme époux et comme père. La reine versa des larmes devant le député. L'entretien se prolongea longtemps dans la nuit. Des conseils furent demandés, donnés, non suivis peut-être. La bonne foi était des deux côtés dans les cœurs, la constance et la fermeté de résolution n'y étaient pas. Quand Guadet voulut se retirer, la reine lui demanda s'il ne désirait pas voir le dauphin; et prenant elle-même un flambeau sur la cheminée, elle le conduisit dans un cabinet où le jeune prince était couché. L'enfant dormait. Les charmes de sa figure, son sommeil tranquille dans ce palais troublé, cette jeune mère, reine de France, se couvrant, pour ainsi dire, de l'innocence de son fils pour exciter la commisération d'un ennemi de la royauté, attendrirent Guadet. Il écarta de la main les cheveux qui couvraient le visage du dauphin, et l'embrassa sur le front sans le réveiller. "Elevez-le pour la liberté, madame, elle est la condition de sa vie,« dit Guadet à la reine, et il déroba quelques larmes sous ses paupières.

Ainsi la nature prévaut toujours, dans le cœur de l'homme, sur l'esprit de parti. Etrange spectacle donné à l'histoire par la destinée, dans cette chambre où dort un enfant, et qu'éclaire de sa propre main une reine. Cet homme qui baise en pleurant le front de ce jeune roi est un de ceux qui neuf mois plus tard lui enlèveront la couronne et cèderont la vie de son père au peuple. Quel abîme que le sort! quelle nuit que l'avenir! quelle dérision de la fortune que ce baiser de Guadet! Il sortit de là aussi ému que s'il eût prévu ce piége sinistre sous ses pas. L'homme sensible en lui avait peur de l'homme politique. Ainsi est fait l'homme. Qu'il prenne garde à sa vie.

LIVRE DIX-HUITIÈME.

Troisième lettre de La Fayette à l'assemblée. — Alarmes des patriotes. - Robespierre à l'écart des nouvements. - Motions de Danton. — La Fayette accusé par l'assemblée. Le roi sanctionne la suspension de Pétion. — Irritation des partis. - Vergniaud prend la parole.-Mœurs et caractère de Vergniaud. -- Son éducation. Son portrait. Discours de Vergniaud. Adresse des jacobins aux fédérés rédigée par Robespierre. - Danton provoque une nouvelle pétition au Champ-de-Mars.

I. A peine La Fayette était-il de retour à son camp, qu'il écrivit une troisième lettre à l'assemblée: lettre aussi impuissante que ses démarches; on en entendit la lecture avec indifférence. Je m'étonne,« dit Isnard, "que l'assemblée n'ait pas déjà envoyé de sa barre à Orléans ce soldat factieux!«

Aux jacobins la lutte entre Robespierre et les Girondins parut un moment amortie. Ils ne rivalisaient plus que d'insultes à la cour et de menaces contre La Fayette. L'explosion du 20 juin n'avait pas éteint ce foyer de haine. L'inaction des armées, les périls croissants sur nos frontières, l'attitude équivoque de La Fayette, la retraite de Luckner que l'on croyait son complice, le rapprochement des troupes de Paris, fomentaient la colère et les alarmes des patriotes. Robespierre continuait à se tenir à l'écart des mouvements, ne se compromettait avec aucun des partis violents et s'absorbait dans les considérations générales de la chose publique. Observer, éclairer et dénoncer tous ses périls au peuple était le seul rôle qu'il affectat. Sa popularité était grande, mais froide et raisonnée comme ce rôle.

Les murmures des impatients interrompaient souvent ses longues harangues à la tribune des jacobins. Il dévorait dans une impassible attitude de cruelles humiliations. Son instinct, sûr de la mobilité de l'opinion, semblait révéler d'avance à Robespierre que, dans ce conflit de mouvements contraires et désor

donnés, l'empire resterait au plus immuable et au plus patient. Danton fit aux cordeliers et aux jacobins des motions terribles et sembla chercher sa force dans le scandale même de ses violences contre la cour. Il masquait ainsi ses intelligences avec le château. Je prends,« s'écria-t-il, "je prends l'engagement de porter la terreur dans une cour perverse! Elle ne déploie tant d'audace que parce que nous avons été trop timides. La maison d'Autriche a toujours fait le malheur de la France. Demandez une loi qui force le roi à répudier sa femme et à la renvoyer à Vienne avec tous les égards, les ménagements et la sûreté qui lui sont dus! C'était sauver la reine pour la haine même qu'on lui portait.

Brissot, si longtemps ami de La Fayette, le livra enfin à la colère des jacobins. "Cet homme a levé le masque, dit-il; "égaré par une aveugle ambition, il s'érige en protecteur. Cette audace le perdra. Que dis-je! elle l'a déjà perdu. Quand Cromwell crut pouvoir parler en maître au parlement d'Angleterre, il était entouré d'une armée de fanatiques et il avait remporté des victoires. Où sont les lauriers de La Fayette? où sont ses séides? Nous châtierons son insolence et je prouverai sa trahison. Je prouverai qu'il veut établir une espèce d'aristocratie constitutionnelle; qu'il s'est concerté avec Luckner; qu'il a perdu à pétitionner à Paris le temps de vaincre aux frontières. Ne craignons rien que de nos divisions. Quant à moi,« ajouta-t-il en se tournant vers Robespierre, »je déclare que j'oublie tout ce qui s'est passé! Et moi,« répondit Robespierre un moment fléchi, j'ai senti que l'oubli et l'union étaient aussi dans mon cœur, au plaisir que m'a fait ce matin le discours de Guadet à l'assemblée et au plaisir que j'éprouve en ce moment en entendant Brissot! Unissons-nous pour accuser La Fayette.<

II. - Des pétitions énergiques des différentes sections de Paris répondirent à la pensée de Robespierre, de Danton, de Brissot, et demandèrent un exemple terrible contre La Fayette et une loi sur le danger de la patrie. La Fayette, en menaçant de son épée la révolution, n'avait fait que la réveiller avec plus de fureur. Frappez un grand coup,« s'écrièrent les pétitionnaires patriotes, licenciez l'état-major de la garde nationale, cette féodalité municipale où l'esprit de trahison de La Fayette vit encore et corrompt le patriotisme !<

Le peuple s'attroupa de nouveau dans les jardins publics. Un rassemblement se forma devant la maison de La Fayette et brûla un arbre de la liberté que des officiers de la garde nationale avaient planté à sa porte pour honorer leur général. On craignait à chaque instant une nouvelle invasion des faubourgs. Pétion adressa aux citoyens des proclamations ambigues dans lesquelles les insinuations contre la cour se mêlaient aux recommandations paternelles du magistrat. Le roi sanctionna la suspension de Pétion de ses fonctions de maire de Paris. Les factieux s'indignèrent qu'on leur enlevât leur complice. La popularité de Pétion devint de la rage. Le cri de Pétion ou la mort! répondit à cette mesure. Les gardes nationales et les sans-culottes se battirent au Palais-Royal. Les fédérés des départements arrivaient par détachements et renforçaient ceux de Paris. Les adresses des départements et des villes, apportées par les députations de ces fédérés, respiraient la colère nationale. "Roi des Français, lis et relis la lettre de Roland! Nous venons punir tous les traîtres! Il faut que la France soit à Paris pour en chasser tous les ennemis du peuple. Le rendez-vous est sous les murs de ton palais. Marchons-y, disaient les fédérés de Brest.

Le ministre de l'intérieur demanda à l'assemblée des lois contre ces réunions séditieuses. L'assemblée lui répondit en sanctionnant ce rassemblement tumultueux dans Paris et en décrétant que les gardes nationaux et les fédérés qui s'y rendraient y seraient logés chez les citoyens. Le roi intimidé sanctionna ce décret. Un camp sous Soissons fut résolu. Les routes ce couvrirent d'hommes en marche vers Paris. Luckner évacua sans combat la Belgique. Les cris de trahison rentirent dans tout l'empire. Strasbourg demanda des renforts. Le prince de Hesse, révolutionnaire expatrié au service de France, proposa à l'assemblée d'aller défendre Strasbourg contre les Autrichiens, et de faire porter devant lui son cercueil sur les remparts, pour se rappeler son devoir et pour ne se laisser d'autre perspective que son trépas. Sieyès demanda qu'on élevât sur les quatre-vingttrois départements l'étendard du péril de la patrie. »Mort à l'assemblée, mort à la révolution, mort à la liberté, si la guillotine d'Orleans ne fait pas justice de La Fayette!« tel était le cri unanime aux jacobins.

III. L'assemblée répondit à ces clameurs de mort par des émotions convulsives. Enfin, une de ces grandes voix qui résument le cri de tout un peuple et qui donnent à la passion publique l'éclat et le retentissement du génie, Vergniaud, dans la séance du 3 juillet, prit la parole et, s'élevant pour la première fois au sommet de son éloquence, demanda, comme Sieyès son inspirateur et son ami, qu'on proclâmat le danger de la patrie.

Jusqu'alors Vergniaud n'avait été que disert, ce jour-là il fut la voix de la patrie. Il ne cessa plus de l'être jusqu'au jour où l'on étouffa sa parole dans son sang. C'était un de ces hommes qui n'ont pas besoin de grandir lentement dans une assemblée. Ils paraissent grands, ils paraissent seuls, le jour où les événements leur donnent leur rôle. Il y avait peu de mois que Vergniaud était arrivé à Paris. Obscur, inconnu, modeste, sans pressentiment de lui-même, il s'était logé avec trois de ses collègues du Midi dans une pauvre chambre de la rue des Jeûneurs, puis dans un pavillon écarté du faubourg qu'entouraient les jardins de Tivoli. Les lettres qu'il écrivait à sa famille sont pleines des plus humbles détails de ce ménage domestique. Il a peine à vivre. Il surveille avec une stricte économie ses moindres dépenses. Quelques louis sollicités par lui de sa sœur lui paraissent une somme suffisante pour le soutenir longtemps. Il écrit qu'on lui fasse parvenir un peu de linge par la voie la moins chère. Il ne songe pas à la fortune, pas même à la gloire. Il vient au poste où le devoir l'envoie. Il s'effraie dans sa naïveté patriotique de la mission que Bordeaux lui impose. Une probité antique éclate dans les épanchements confidentiels de cette correspondance avec les siens. Sa famille a des intérêts à faire valoir auprès des ministres. Il se refuse à solliciter pour elle, dans la crainte que la demande d'une justice ne paraisse dans sa bouche commander une faveur. "Je me suis enchaîné à cet égard par la délicatesse, je me suis fait à moi-même ce décret, »dit-il à son beau-frère M. Alluaud, un second père pour lui.

Tous ces entretiens intimes entre Vergniaud, sa sœur et son beau-frère, respirent la simplicité, la tendresse d'âme, le foyer. Les racines de l'homme public trempent dans un sol pur de mœurs privées. Aucune trace d'esprit de faction, de fanatisme républicain, de haine contre le roi, ne se révèle dans l'intimité

« PreviousContinue »