Page images
PDF
EPUB

Pétion était fils d'un procureur au présidial de Chartres. Compatriote de Brissot, il s'était nourri avec lui des mêmes études, de la même philosophie et des mêmes haines. C'étaient deux hommes d'un même esprit. La révolution, qui avait été l'idéal de leur jeunesse, les avait appelés le même jour sur la scène mais pour des rôles différents. Brissot, écrivain, aventurier politique, journaliste, était l'homme des; idées Pétion était l'homme de main. Il avait dans la figure, dans le caractère et dans le talent, cette médiocrité solennelle qui convient à la foule et qui la charme; il était probe, du moins: vertu que le peuple apprécie au-dessus de toutes les autres dans ceux qui manient les affaires publiques. Appelé par ses concitoyens à l'assemblée nationale, il s'y était fait un nom par ses efforts plus que par ses succès. Rival heureux de Robespierre et son ami alors, ils avaient formé à eux seuls ce parti populaire, à peine aperçu au commencement, qui professait la démocratie pure et la philosophie de Jean-Jacques Rousseau, pendant que Cazalès, Mirabeau et Maury, la noblesse, le clergé et la bourgeoisie, se disputaient seulement le gouvernement. Le despotisme d'une classe paraissait à Robespierre et à Pétion aussi odieux que le despotisme d'un roi. Le triomphe du tiers état leur importait peu, tant que le peuple entier, c'est-àdire l'humanité, dans son acception la plus large, ne triomphait pas. Ils s'étaient donné pour tâche, non la victoire d'une classe sur une autre, mais la victoire et l'organisation d'un principe divin et absolu: l'humanité. C'était là leur faiblesse dans les premiers jours de la révolution; ce fut plus tard leur force. Pétion commençait à la recueillir.

Il s'était insinué insensiblement par ses doctrines et par ses discours dans la confiance du peuple de Paris; il tenait aux hommes de lettres par la culture de l'esprit, au parti d'Orléans par sa liaison intime avec madame de Genlis, favorite de prince et gouvernante de ses enfants. On parlait de lui ici comme d'un sage qui voulait porter la philosophie dans la constitution, là comme d'un conspirateur profond qui voulait saper le trône ou y faire monter avec le duc d'Orléans les intérêts et la dynastie du peuple. Cette double renommée lui profitait également. Les honnêtes gens le portaient comme honnête homme; les factieux, comme factieux: la cour ne daignait pas le craindre; elle voyait

en lui un innocent utopiste; elle avait pour lui cette indulgence du mépris que les aristocraties ont partout pour les hommes de foi politique; d'ailleurs Pétion la débarrassait de La Fayette. Changer d'ennemis, pour elle, c'était au moins respirer.

Ces trois éléments de succès firent triompher Pétion à une immense majorité; il fut nommé maire de Paris par plus de six mille suffrages. La Fayette n'en obtint que trois mille. Il put, du fond de sa retraite momentanée, mesurer à ce chiffre le déclin de sa fortune: La Fayette représentait la ville, Pétion représentait la nation. La bourgeoisie armée sortait des affaires avec l'un; le peupel y entrait avec l'autre. La révolution marquait par un nom propre le nouveau pas qu'elle avait fait.

A peine élu, Pétion alla triompher aux Jacobins : il fut porté à la tribune sur les bras des patriotes. Le vieux Dussault, qui l'occupait en ce moment, balbutia quelques paroles entrecoupées de sanglots, en l'honneur de son élève: »Je regarde monsieur Pétion comme mon fils,« s'écria-t-il, » c'est bien hardi, sans doute!« Pétion attendri s'élança dans les bras du vieillard. Les tribunes applaudirent et pleurérent.

Les autres nominations furent faites dans le même esprit. Manuel fut nommé procureur de la commune; Danton substitut: ce fut le premier degré de sa fortune populaire; il ne le dut pas, comme Pétion, à l'estime publique, mais à sa propre intrigue. Il fut nommé malgré sa réputation. Le peuple excuse trop souvent les vices qui le servent.

La nomination de Pétion à la place de maire de Paris donnait aux Girondins un point d'appui fixe dans la capitale. Paris échap- · pait au roi comme l'assemblée. L'œuvre de l'assemblée constituante s'écroulait en trois mois. Les rouages se brisaient avant de fonctionner. Tout présageait un choc prochain entre le pouvoir exécutif et le pouvoir de l'assemblée. D'où venait cette décomposition si prompte? C'est le moment de jeter un regard sur cette œuvre de l'assemblée constituante et sur ses auteurs.

LIVRE SEPTIÈME.

Coup d'œil sur l'assemblée constituante. Sa composition - Appréciation de la déclaration des droits de l'homme. Concours de l'assemblée constituante à une œuvre universelle. Examen raisonné de cette œuvre. Situation qu'elle faisait à la royauté. Impuissance de la royauté et temps de crise. - Nécessité d'un république transitoire. Considérations géné.

rales.

-

I.

pête.

L'assemblée constituante avait abdiqué dans une tem

Cette assemblée avait été la plus imposante réunion d'hommes qui eût jamais représenté, non pas la France, mais le genre humain. Ce fut en effet le concile œcuménique de la raison et de la philosophie modernes. La nature semblait avoir créé exprès, et les différents ordres de la société avoir mis en réserve, pour cette œuvre, les génies, les caractères et même les vices les plus propres à donner à ce foyer des lumières du temps la grandeur, l'éclat et le mouvement d'un incendie destiné à consumer les débris d'une vieille société, et à en éclairer une nouvelle. Il y avait des sages comme Bailly et Mounier, des penseurs comme Sieyės, des factieux comme Barnave, des hommes d'État comme Talleyrand, des hommes époques comme Mirabeau, des hommes principes comme Robespierre. Chaque cause y était personnifiée par ce qu'un parti avait de plus haut. Les victimes aussi y étaient illustres. Cazalès, Malouet, Maury faisaient retentir en éclats de douleur et d'éloquence les chutes successives du trône, de l'aristocratie et du clergé. Ce foyer actif de la pensée d'un siècle fut nourri, pendant toute sa durée, par le vent des plus continuels orages politiques. Pendant qu'on délibérait dedans, le peuple agissait dehors et frappait aux portes. Ces vingt-six mois de conseils ne furent qu'une sédition non interrompue. A peine une institution s'était-elle écroulée à la tribune, que la nation la déblayait pour faire place à l'institution nouvelle. La colère du

peuple n'était que son impatience des obstacles, son délire n'était que sa raison passionnée. Jusque dans ses fureurs, c'était toujours une vérité qui l'agitait. Les tribuns ne l'aveuglaient qu'en l'éblouissant. Ce fut le caractère unique de cette assemblée, que cette passion pour un idéal quelle se sentait invinciblement poussée à accomplir. Acte de foi perpétuel dans la raison et dans la justice; sainte fureur du bien qui la possédait et qui la faisait se dévouer elle-même à son cœur comme ce statuaire qui, voyant le feu du fourneau, où il fondait son bronze, prêt à s'éteindre, jeta ses meubles, le lit de ses enfants, et enfin jusqu'à sa maison dans le foyer, consentant à périr pour que son œuvre ne périt pas.

C'est pour cela que la révolution qu'a faite l'assemblée constituante est devenue une date de l'esprit humain, et non pas seulement un événement de l'histoire d'un peuple. Les hommes de cette assemblée n'étaient pas des Français, c'étaient des hommes universels. On les méconnaît et on les rapetisse quand on n'y voit que des prêtres, des aristocrates, des plébéiens, des sujets fidèles, des factieux ou des démagogues. Ils étaient, et ils se sentaient eux-mêmes mieux que cela; des ouvriers de Dieu, appelés par lui à restaurer la raison sociale de l'humanité et à rasseoir le droit et la justice par tout l'univers. Aucun d'eux, excepté les opposants à la révolution, ne renfermait sa pensée dans les limites de la France. La déclaration des droits de l'homme le prouve. C'était le décalogue du genre humain dans toutes les langues. La révolution moderne appelait les gentils comme les juifs au partage de la lumière et au règne de la fraternité.

II. Aussi n'y eut-il pas un de ses apôtres qui ne proclamât la paix entre les peuples. Mirabeau, La Fayette, Robespierre lui-même, effacèrent la guerre du symbole qu'ils présentaient à la nation. Ce furent les factieux et les ambitieux qui la demandèrent plus tard; ce ne furent pas les grands révolutionnaires. Quand la guerre éclata, la révolution avait dégénéré. L'assemblée constituante se serait bien gardée de placer aux frontières de la France les bornes de ses vérités et de renfermer l'âme sympathique de la révolution française dans un étroit patriotisme. La patrie de ses dogmes était le globe. La France n'était que l'atelier où elle travaillait pour tous les peuples. Respectueuse et indifférente à la question des territoires nationaux dès son pre

mier mot elle s'interdit les conquêtes. Elle ne se réservait que la propriété ou plutôt l'invention des vérités générales qu'elle mettait en lumière. Universelle comme l'humanité, elle n'eut pas l'égoïsme de s'isoler. Elle voulut donner et non dérober. Elle voulut se répandre par le droit et non par la force. Essentiellement spiritualiste, elle n'affecta d'autre empire pour la France que l'empire volontaire de l'imitation sur l'esprit humain.

Son œuvre était prodigieuse, ses moyens nuls; tout ce que l'enthousiasme lui inspire, l'assemblée l'entrepend et l'achève, sans roi, sans chef militaire, sans dictateur, sans armée, sans autre force que la conviction. Seule au milieu d'un peuple étonné, d'une armée dissoute, d'une aristocratie émigrée, d'un clergé dépouillé, d'une cour hostile, d'une ville séditieuse, de l'Europe en armes, elle fit ce qu'elle avait résolu: tant la volonté est la véritable puissance d'un peuple, tant la vérité est l'irrésistible auxiliaire des hommes qui s'agitent pour elle! Si jamais l'inspiration fut visible dans le prophète ou dans le législateur antique, on peut dire que l'assemblée constituante eut deux années d'inspiration continue. La France fut l'inspirée de la civilisation.

III.

-

Examinons son œuvre. Le principe du pouvoir fut entièrement déplacé. La royauté avait fini par croire que le dépôt du pouvoir lui appartenait en propre. Elle avait demandé à la religion de consacrer son rapt aux yeux des peuples en leur disant que le pouvoir venait de Dieu et ne répondait qu'à Dieu. La longue hérédité des races couronnées avait fait croire qu'il y avait un droit de règne dans le sang des races royales. Le gouvernement, au lieu d'être fonction, était devenu possession; le roi maître, au lieu d'être chef.

Ce principe déplacé déplaça tout. Le peuple devint nation, le roi magistrat couronné. La féodalité, royauté subalterne, tomba au rang de simple propriété. Le clergé, qui avait eu des institutions et des propriétés inviolables, n'était plus qu'un corps salarié par l'Etat pour un service sacré, Il n'y avait pas loin de là à ce qu'il ne reçût plus qu'un salaire volontaire pour un service individuel. La magistrature cessa d'être héréditaire. On lui laissa l'inamovibilité pour assurer son indépendance. C'était une exception au principe des fonctions révocablés, une demi-souve

« PreviousContinue »