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faisait l'assemblée nationale n'était pas encore achevée, le gouvernement n'était pas convaincu d'impuissance, et les jours du roi et de sa famille n'étaient pas encore assez évidemment menacés pour que le soin de sa sûreté, comme homme, l'emportât sur ses devoirs comme roi. En cas de succès, Louis XVI ne trouvait que des forces étrangères pour recouvrer son royaume; en cas d'arrestation, il ne trouvait plus qu'une prison dans son palais. De quelque côté qu'on l'envisageât, la fuite était donc funeste. C'était la route de la honte ou la route de l'échafaud. Il n'y a qu'une route pour fuir d'un trône quand on n'y veut pas mourir: c'est l'abdication. Revenu de Varennes, le roi devait abdiquer. La révolution aurait adopté son fils et l'aurait élevé à son image. Il n'abdiqua pas. Il consentit à accepter le pardon de son peuple. Il jura d'exécuter une constitution qu'il avait fuie. Il fut un roi amnistié. L'Europe ne vit en lui qu'un échappé du trône ramené à son supplice, le peuple qu'un traitre, et la révolution qu'un jouet.

LIVRE TROISIÈME.

Attitude de l'assemblée nationale. — Barnave se range au parti dela monarchie, avec Duport et les Lameth. Le côté droit prend la résolution de s'abstenir dans l'assemblée. — L'assemblée discute la fuite à Varennes. L'inviolabilité du roi reconnue. Les clubs et la presse accélèrent la marche de la révolution. - Hommes influents du journalisme: Loustalot, Camille Desmoulins, Marat, Brissot. Le peuple commence à demander la déchéance du roi et la république. - Pétition signée au Champ-de-Mars. — La Fayette et Bailly repoussent les factieux par la force armée. — Faiblesse de l'assemblée. — Portraits de Condorcet, de Danton, de Brissot.

I. Il y a pour les peuples comme pour les individus un instinct de conservation qui les avertit et qui les arrêté, sous l'empire même des passions les plus téméraires, devant les dangers dans lesquels ils vont se précipiter. Ils semblent reculer tout à coup à l'aspect de l'abîme où ils couraient tout à l'heure. Ces intermittences, des passions humaines sont courtes et fugitives, mais elles donnent du temps aux événements, des retours à la sagesse et des occasions aux hommes d'Etat. Ce sont les moments qu'ils épient pour saisir l'esprit hésitant et intimidé des peuples, pour les faire réagir contre leurs excès, et pour les ramener en arrière par le contre-coup mème des passions qui les ont emportés trop loin. Le lendemain du 25 juin 1791, la France eut un de ces repentirs qui sauvent les peuples. Il ne lui manqua qu'un homme d'Etat.

Jamais l'assemblée nationale n'avait offert un spectacle aussi imposant et aussi calme que pendant les cinq jours qui avaient suivi le départ du roi. On eût dit qu'elle sentait le poids de l'empire tout entier peser sur elle, et qu'elle affermissait son attitudée pour le porter avec dignité. Elle accepta le pouvoir sans vouloir ni l'usurper ni le retenir. Elle couvrit d'une fiction respectueuse la désertion du roi; elle appela la fuite enlèvement; elle

chercha des coupables autour du trône; elle ne vit sur le trône que l'inviolabilité. L'homme disparut, pour elle, dans Louis XVI, sous le chef irresponsable de l'Etat. Ce trois mois peuvent être considérés comme un interrègne, pendant lequel la raison publique est à elle seule la constitution. Il n'y a plus de roi, puisqu'il est captif et que sa sanction lui est retirée; il n'y a plus de loi, puisque la constitution n'est pas faite; il n'y a plus de ministres, puisque le pouvoir exécutif est interdit, et cependant l'empire cst debout, agit, s'organise, se défend, se conserve. Ce qui est plus prodigieux encore, il se modère. Il tient en réserve dans un palais le rouage principal de la constitution, la royauté; et, le jour où l'œuvre est accomplie, il le pose à sa place et il dit au roi: Sois libre et règne!

II. Une seule chose déshonore ce maj stueux interrègne de la nation: c'est la captivité momentanée du roi et de sa famille. Mais il faut reconnaître que la nation avait bien le droit de dire à son chef: Si tu veux régner sur nous, tu ne sortiras pas du royaume, tu n'íras pas emporter la royauté de la France parmi nos ennemis. Et quant aux formes de cette captivité dans les Tuileries, il faut reconnaître encore que l'assemblée nationale ne les avait point prescrites, qu'elle s'était même soulevée d'indignation au mot d'emprisonnement, qu'elle avait commandé une résidence politique et rien de plus, et que la rudesse et l'odieux des mesures de surveillance tenaient à l'ombrageuse responsabihté de la garde nationale bien plus qu'à l'irrévérence de l'assemblée. La Fayette gardait, dans la personne du roi, la dynastie, sa propre tête et la constitution. Otage contre la république et contre la royauté à la fois. Maire du palais, il intimidait par la présence d'un roi faible et humilié les royalistes découragés et les républicains contenus. Louis XVI était son gage.

Barnave et les Lameth avaient, dans l'assemblée nationale, l'attitude de La Fayette au dehors. Ils avaient besoin du roi pour se défendre de leurs ennemis. Tant qu'il y avait eu un homme entre le trône et eux (Mirabeau), ils avaient joué à la république et sapé ce trône pour en écraser un rival. Mais, Mirabeau mort et le trône ébranlé, ils se sentaient faibles contre le mouvement qu'ils avaient imprimé. Ils soutenaient ce débris de monarchie, pour en être soutenus à leur tour. Fondateurs des jacobins, ils

tremblaient devant leur ouvrage; ils se réfugiaient dans la constitution, qu'ils avaient eux-mêmes démantelée; ils passaient du rôle de démolisseurs au rôle d'hommes d'Etat. Mais pour le premier rôle, il ne faut que de la violence pour le second il faut du génie. Barnave n'avait que du talent. Il avait plus: il avait de l'âme et il était honnête homme. Les premiers excès de sa parol n'avaient été en lui que des enivrements de tribune. Il avait voulu savoir le goût des applaudissements du peuple. On les lui avait prodigués bien au delà de son mérite réel. Ce n'était plus avec Mirabeau qu'il allait avoir à se mesurer désormais, c'était avec la révolution dans toute sa force. La jalousie lui enlevait le piédestal qu'elle lui avait prêté. Il allait paraître ce qu'il était. III. - Mais un sentiment plus noble que l'intérêt de sa sécurité personnelle poussait Barnave à se ranger au parti de la monarchie. Son cœur avait passé avant son ambition du côté de la faiblesse, de la beauté et du malheur. Rien n'est plus dangereux pour un homme sensible que de connaître ceux qu'il combat. La haine contre la cause tombe devant l'attrait pour les personnes. On devient partial à son insu. La sensibilité désarme l'intelligence; on s'attendrit au lieu de raisonner; le sentiment d'un homme ému devient bientôt sa politique.

C'est là ce qui s'était passé dans l'àme de Barnave pendant le retour de Varennes. L'intérêt qu'il avait conçu pour la reine avait converti ce jeune républicain à la royauté. Barnave n'avait connu jusque-là cette princesse qu'à travers ce nuage de préventions dont les partis enveloppent ceux qu'ils veulent haïr. Le rapprochement soudain fa sait tomber cette atmosphère de convention. Il adorait de près ce qu'il avait calomnié de loin. Le rôle même que la fortune lui donnait dans la destinée de cette femme avait quelque chose d'inattendu et de romanesque, capable d'éblouir son orgueilleuse imagination et d'attendrir sa générosité. Jeune, obscur, inconnu il y a peu de mois, aujourd'hui célèbre, populaire, puissant, jeté au nom d'une assemblée souveraine entre le peuple et le roi, il devenait le protecteur de ceux dont il avait été l'ennemi. Des mains royales et suppliantes touchaient ses mains de plébéien. Il opposait la royauté populaire du talent et de l'éloquence à la royauté du sang des Bourbons. Il couvrait de son corps la vie de ceux qui avaient été ses maîtres. Son dé

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