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et il ne pouvait plaire qu'à ceux dont l'esprit n'était ni fatigué par des raisonnements subtils, ni rebuté par des idées extraordinaires. Son caractère était franc, incapable de plier ou de souffrir l'ombre d'une injure; aisé à blesser, et difficile peut-être dans le commerce de la vie, il était capable d'une amitié vraie, courageuse, inébranlable. Ses malheurs n'avaient fait que donner à son ame plus d'élévation et de fierté; il fallait, pour qu'il permit de lui témoigner de l'intérêt, qu'il fût sûr qu'un sentiment d'estime en était le principe: ses amis n'osaient, même à l'aide des déguisements que l'amitié fait inventer, essayer de lui rendre des services, dont,à la honte de ceux qui peuvent les offrir, les infortunés qui les reçoivent sont souvent excusables d'être humiliés; mais sa fierté n'était point de l'aigreur, sa pauvreté ne lui donnait pas même l'idée de trouver injuste que d'autres qui avaient moins de droits vissent les grâces où il aurait pu prétendre, s'accumuler sur leur tête; l'envie et la plainte étaient au dessous de lui. Il avait quelquefois exposé aux gens en place ses besoins et ses titres avec franchise, mais sans

jamais chercher à émouvoir leur sensibilité sur son infortune. Enfin, s'il a été un exemple du danger que courent les savants, en se livrant à de vaines idées de richesses et de projets politiques, il a mérité en même temps d'ètre un modèle pour les hommes qui, nés avec de l'élévation et du courage, ont à supporter la pauvreté et l'abandon; il souffrit avec résignation et avec noblesse, qualités qu'il est rare de réunir, parce que la résignation est difficile aux ames fortes et sensibles.

ELOGE

DE M. LE MARQUIS DE PAULMY.

MARC-ANTOINE-RENÉ DE VOYER D'ARGENSON, MARQUIS DE PAULMY, ministre d'état, de l'académie française, honoraire de l'académie des belles-lettres et de celle des sciences, naquit à Valenciennes, le 6 novembre 1722, de M. le marquis d'Argenson, alors intendant de Haynault, et de Mile. Méliand.

M. le marquis de Paulmy portait un nom cher aux lettres et à la philosophie. Vers la fin du règne de Louis XIV, M. d'Argenson, lieutenant de police, eut plus d'une fois le courage de défendre les hommes que leurs

lumières ou leur franchise rendaient odieux aux gens qui disposaient alors de la conscience du monarque. Ils n'osaient ni offenser, ni attaquer un magistrat qui, instruit par sa place des détails de leurs intrigues, aurait pu les déshonorer où les perdre; et il se servit de cette crainte pour leur arracher quelques victimes. M. de Fontenelle fut la plus illustre le père le Tellier voulait le punir d'avoir osé, dans l'histoire des Oracles, combattre l'opinion d'un jésuite. Une plaisanterie échappée à la jeunesse du philosophe, oubliée depuis vingt ans, servit à cacher le véritable motif de la persécution, et sans le courage de M. d'Argenson, lui eût coûté la liberté, le repos, et peut-être la gloire que dans la suite il acquit par ses paisibles travaux.

Le magistrat qui a conservé M. de Fontenelle à l'académie des sciences, ne doit jamais être oublié d'elle; ce n'est pas une

gloire indigne d'un homme d'état, que d'avoir rendu à la nation un philosophe dont les ouvrages devaient l'honorer et l'instruire. A peine, dans l'éloge de M. d'Argenson, le secrétaire de l'académie osa-t-il faire entendre ce qu'il lui devait; le persécuteur n'existait plus, mais l'esprit de persécution vivait encore, et M. de Fontenelle fut obligé de laisser à ses successeurs le soin d'acquitter la dette de sa reconnaissance, dans un siècle plus éclairé, plus libre et plus heureux.

Le père de M. le marquis de Paulmy fut chargé du département des affaires étrangères au milieu d'une guerre générale, la seconde que les prétentions à la succession de la maison d'Autriche eussent allumée en Europe, dans moins d'un demi-siècle. L'amour de la paix fut le caractère distinctif de son administration; sa lettre écrite du champ de bataille de Fontenoi à un philosophe, ennemi de la guerre, est un monument d'humanité et de raison, présage heureux de la révolution qui se préparait dans les opinions des hommes et dans la politique des princes. Les hommes d'état

qui, chez les nations ennemies de la France, avaient les mêmes sentiments que M. d'Argenson, étaient devenus ses amis; et s'empressaient de seconder ses vues. Il osa se servir de ce crédit personnel, acquis par ses vertus, pour faire sentir à George II, combien il déshonorait la victoire de son fils, en abandonnant à une politique cruelle, ou plutôt au fanatisme du peuple anglais, le sang de ses jacobites pris les armes à la main, en défendant noblement une cause qu'ils croyaient juste. Ces conseils, dictés par l'humanité, et portés par M. Vanhoëy, ambassadeur de Hollande, ministre aussi sage que courageux, furent rejetés avec hauteur. Cette conduite est inouie écrivaient les ministres d'Angleterre, en se plaignant de lui aux états-généraux; étonnement naïf qui était à la fois le plus bel éloge de M. Vanhoëy, et la satyre la plus cruelle de leurs principes.

M. le marquis d'Argenson eut un autre mérite non moins rare, celui de ne pas craindre et de ne pas rougir d'avoir pour amis des hommes supérieurs. Il rendit à Voltaire la justice que ses compatriotes lui

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