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cesse, et que la manière d'écrire reste; d'où il arrive que l'écriture, qui a été inventée pour représenter la parole, n'est plus, à la longue, qu'un mauvais portrait très-informe qui aurait grand besoin d'être retouché; mais la retouche devient presque impraticable, parce que, si on l'exécutait à la rigueur, les ouvrages imprimés ne pourraient plus être lus, et que l'art de les déchiffrer deviendrait, avec le temps, un art difficile, une partie de l'éducation. Que faire donc ? laisser les mêmes combinaisons de lettres, et en déterminer la prononciation par de nouveaux signes. Voilà en deux mots le projet de l'auteur sur cette brochure; et c'est en vérité tout ce qu'on pouvait imaginer de plus sensé. Ce moyen est ingénieux, et il est inouï qu'on ne s'en soit pas avisé plus tôt. L'auteur nous promet un dictionnaire exécuté d'après cette vue, et je ne doute pas qu'il ne réussisse parmi nous et chez l'étranger.

Les Aventures de Pyrrhus, pour servir de suite aux Aventures de Télémaque. On nous assure si positivement que cet ouvrage s'est trouvé parmi les papiers de M. de Fénélon, que je ne saurais me permettre de douter du fait. En le lisant, deux conjectures se sont présentées à mon esprit : l'une, que les Aventures de Pyrrhus, composées par quelque jeune auteur à l'imitation des Aventures de Télémaque, avaient été soumises au jugement de M. de Fénélon, entre les mains duquel elles étaient demeurées jusqu'après sa mort; l'autre,

que' ce petit poëme en prose était peut-être un essai de l'archevêque de Cambrai, qui devait bientôt courir une carrière plus étendue, et qui s'était amusé à préluder avec le fils d'Achille, en attendant qu'il pût employer toutes les forces de son génie à la suite du fils d'Ulysse ; mais deux pages ont suffi pour me détromper de cette dernière idée. Jamais Fénélon n'aurait loué Alcantor, un des souverains de Milet, comme de l'action de son règne la plus glorieuse, d'avoir aboli par la force le culte d'Osiris, que ses sujets avaient adopté. Sans ce morceau, qui serait propre à inspirer à un jeune prince l'esprit barbare de l'intolérance, je conseillerais aux instituteurs de cour de mettre quelques morceaux de cet ouvrage entre les mains de leurs élèves. On y montre les dangers de la colère et de la volupté; on y peint partout les charmes et les avantages de la vertu: c'est un tissu de fables amusantes et proportionnées à la faiblesse de leur âge. La première partie a du moins le mérite de répondre au titre; pour la seconde, c'est une rapsodie d'événemens qui ne peuvent ni instruire, ni intéresser, ni plaire. En tout, c'est un ouvrage pauvre, que je pardonnerais à mon fils d'avoir écrit à vingt ans, mais non pas à trente. Il n'y a point de bons livres pour un sot; il n'y en a peut-être pas un mauvais pour un homme de sens.

Je sors de la lecture des Aventures de Pyrrhus, et je fais une réflexion bien propre à nous consoler de la brièveté de la vie, et à nous résigner

I

à la quitter. Nous sommes tellement abandonnés
à la destinée, que si la nature nous avait accordé
une durée de trois cents ans, par exemple, je
tremble que de cinquante en cinquante ans nous
n'eussions été successivement gens de bien et
fripons.

La ligne de la probité rigoureuse est étroite;
quelque léger que puisse être le premier écart
qui nous en éloigne, cet écart s'accroît à mesure
que l'on chemine, et lorsque le chemin est long,
on se trouve à un intervalle immense de celui
qu'il faut suivre. Qu'il est alors difficile de re-
trouver la véritable voie!

Une très-longue vie ne serait qu'une ligne à serpentemens et à inflexions qui couperait en différens points la ligne de la vertu qu'on quitterait pour la reprendre, et qu'on reprendrait pour la quitter.

Il n'en est pas ainsi de l'homme passager et momentané; lorsqu'il a suivi le vrai chemin, il n'a plus le temps ni la force de s'égarer. Tous les penchans vicieux s'affaiblissent en lui; les intérêts le touchent peu ; l'aiguillon des passions est émoussé; la vertu, s'il a bien vécu, est devenue son habitude; il craint de se démentir; il tient à son caractère et à la considération publique dont il jouit; il persiste dans ses principes d'honnêteté.

S'il est vrai qu'en mourant l'homme de bien échappe à la méchanceté qui le suit, il est évident que plus la durée de la vie serait longue,

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plus le nombre des hommes constans dans la vertu serait pelit.

Consolons-nous donc d'un événement dernier qui assure notre caractère. Donnez à ce sage Brutus, qui s'écriait en mourant que la vertu n'était qu'un vain nom, une cinquantaine d'années de plus à vivre, et dites-moi ce qu'il deviendra. N'aurions-nous à redouter que le dégoût de l'uniformité, le péril serait assez grand.

Manière de bien juger des ouvrages de Peinture; ouvrage posthume de M. l'abbé Laugier, publié et augmenté de notes intéressantes par M***. Vous avez raison, M. l'abbé, tout consiste examiner si l'image est fidèle et si la ressemblance est parfaite. Cet examen serait-il interdit à quiconque n'est pas entré dans le sanctuaire de l'art? Ma foi, j'en ai bien peur. J'ai vu autant et plus de tableaux que vous, je les ai vus avec la plus grande attention; ils sont tous aussi correctement dans mon imagination qu'entre leurs bordures; ma tête en a emmagasiné plus que tous les potentats du monde n'en peuvent acquérir. Je suis homme de lettres comme vous. Les qualités que vous exigez d'un bon juge, un grand amour de l'art, un esprit fin et pénétrant, un raisonnement solide, une âme pleine de sensibilité et une équité rigoureuse ; je puis me flatter de les posséder au même degré que vous qui vous donnez pour un connaisseur, puisque vous vous

proposez d'apprendre aux autres à s'y connaître, car il serait aussi trop ridicule de donner leçon de ce qu'on ignore. Eh bien! avec tout cela, si nous voulons tous les deux être sincères avec nous-mêmes, nous nous avouerons que quand on a lu votre ouvrage, et même quand on l'a fait, on ne discerne pas encore une médiocre copie d'un sublime original, qu'on est exposé à couvrir de croûtes les murs de son cabinet, et qu'on appréciera à cent pistoles un tableau de dix mille francs, et à dix mille francs un tableau de cent pistoles.

Si vous y eussiez regardé de bien près, vous auriez vu que vos cinq premiers chapitres n'ont rien de propre à la peinture, et qu'on ne se connaît dans aucun des beaux-arts sans amour de la chose, sans finesse, sans pénétration, sans esprit, sans jugement, sans la sensibilité et sans la justice. Tout homme qui s'avisera d'écrire de l'éloquence, de la poésie ou de la musique, en changeant à ces cinq chapitres un très-petit nombre de lignes, les prendra à la tête de votre traité et les placera à la tête du sien, où ils iront tout aussi bien.

Vous exigez ensuite l'étude de l'observation de la nature dans les règnes minéral, animal et végétal. Vous ne donnez aux connaissances préliminaires d'autres bornes que l'étendue d'un art qui n'en a point : et quand aura-t-on fait cette énorme provision?

A l'étude de la nature vous ajoutez la science de la géographie et de l'histoire, sans fixer le point où l'on peut s'arrêter.

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