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très-applaudi. Tous les mots de nature, de passion, enfin, tout ce qui est l'ouvrage du génie, du sentiment, de la délicatesse, n'a été senti que d'un très-petit nombre de spectateurs; mais ce qui s'appelle le public, et même les acteurs ne s'en sont pas douté. La pièce a été mal jouée, à deux ou trois endroits près, et la plus grande partie de la salle ne s'en est pas douté. Ce qui n'a pas été applaudi attachait en silence le spectateur, et il ne s'en est pas douté. Enfin, tout ce qui a été applaudi n'est pas, à mon avis, ce qui méritait le plus de l'être, et rien ne m'a tant prouvé que le goût des arts est sur son déclin en France, que l'impression qu'a faite sur le public la représentation du Fils naturel.

Les gens de goût, le petit nombre des spectateurs à qui j'aime à m'en rapporter, et à qui M. Diderot ne dédaigne pas de plaire, se sont trouvés affectés d'une manière différente de celle du public. Ils ont trouvé une grande beauté dans les détails, des mots sublimes, des tableaux pathétiques et touchans; quelques-uns cependant ne produisent pas l'effet qu'on en attendait, et si la lecture de ce drame ne laisse rien à désirer, on trouve quelques observations à y faire relatiày vement à l'effet théâtral.

Je suis plus que jamais convaincu que les conversations de Constance et de Dorval ne paraîtront pas trop longues lorsqu'elles seront bien jouées; elles ne l'ont point été. Constance a été froide, et sans la plus petite nuance d'enthou

siasme. Elle doit avoir le maintien noble et même un peu austère, mais sans rien faire perdre aux grâces de la persuasion, et son expression doit être celle d'une inspirée. Madame Préville a été très-loin du but de son rôle, et malgré cela, les scènes ont produit leur effet.

La vertu de Dorval et son langage sont montés sur un si haut ton, qu'il semble retomber dans la classe des hommes ordinaires, lorsqu'entraîné par les circonstances, il laisse à la fois dans l'erreur Clerville, Constance et Rosalie. Ce défaut ne s'aperçoit pas à la lecture, qui est toujours plus rapide que la représentation ; on n'y est frappé que de la profondeur du but moral, du fatalisme; mais à la représentation, lorsqu'on voit ces trois personnages abusés, il y a un moment où l'on sait mauvais gré à Dorval de ne pas confier à Constance sa véritable position, au risque de tout ce qui en pourrait arriver. Il ne le fait pas, et Clerville, Constance et Rosalie cessent d'inspirer de l'intérêt, parce qu'ils sont dupes des apparences; on ne peut ni les plaindre ni en rire, et il faut pouvoir plaindre au théâtre le personnage trompé, lorsqu'on ne peut pas en rire.

Voilà, je crois, la raison qui a empêché l'effet des scènes où ils se trouvent tous rassemblés dans des situations si violentes.

L'auteur répond à cela que l'intérêt ne peut jamais naître d'une absurdité, et que le bon sens ne peut jamais refroidir un ouvrage ; qu'il serait

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absurde à un homme silencieux et robuste comme Dorval, de révéler des sentimens honteux qu'il s'est promis d'étouffer; qu'il mortifierait inutile ment Constance qui ne le mérite pas, et qu'il s'avilirait lui et Rosalie aux yeux de cette femme. Dorval est-il maître du secret de Rosalie ? Supposons qu'il eût fait ce qu'on exige, et voyons ce que Constance aurait dû lui dire. Le voici: Vous avez très-mal fait de venir ici, M. Dorval, » et vous auriez beaucoup mieux fait de vous éloigner sans parler. Voyons ensuite ce que ces trois personnages seraient devenus après le départ ou la confidence de Dorval; ils se seraient méprisés et détestés.

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Et moi, je réponds à l'auteur, que sa réflexion n'excuse pas le défaut de l'effet théâtral; que, d'ailleurs, plus le caractère de Dorval est robuste, plus il lui importe d'être parfaitement honnête et droit, sans s'embarrasser de la manière dont le jugeront les gens à qui il a affaire. Prenez garde que le spectateur est dans le secret de la conscience du personnage; qu'il connaît ses intentions, les mouvemens de son âme; nous savons tous comme lui qu'il a cédé une minute à un penchant que sa délicatesse désapprouve, et que dès l'instant qu'on lui prodigue des éloges, une confiance, une sécurité qui l'embarrasse, il aggrave un tort à ses yeux, en laissant ses admirateurs dans l'erreur; et Constance serait une bégueule, et manquerait à son caractère, si elle s'offensait d'une confidence qui annonce tant de

droiture, d'honnêteté et de hauteur qui est for cée. Je sais bien qu'alors il n'y aurait plus de pièce, cela est vrai; mais de ce qu'il n'y aurait plus de pièce en corrigeant un défaut, il n'en est pas moins vrai qu'en ne le corrigeant pas, le défaut reste. Mais ce défaut ne produit qu'une suspension d'intérêt très - momentané, et n'ôte rien à toutes les beautés reconnues dans ce drame.

Le récit d'André, qui était si heureux et si bien placé lorsque l'ouvrage a paru, n'est pas aussi intéressant aujourd'hui. Pour le théâtre, il demanderait à être raccourci ; j'y consentirai, s'il peut l'être de manière à ne rien ôter des mots que ce récit arrache à Dorval. Qu'ils sont profonds et dans la vérité de son caractère! Eh bien, à peine ont-ils été sentis.

On ne désire aucuns changemens à tout le reste de la pièce. L'arrivée du père, ses discours, ont fait verser des larmes. Si cette pièce, aussi mal jouée que mal entendue du public, a eu beaucoup plus de succès qu'on ne s'y attendait, je crois qu'on peut être assuré qu'elle en aura autant que le Père de famille, lorsqu'elle sera entendue des acteurs et des spectateurs.

L'annonce de la seconde représentation avec des retranchemens a été très-applaudie. Cette seconde représentation n'a pas eu lieu, parce que les nouvelles religions ne s'établissent pas sans tumulte. La même division qui régnait entre les spectateurs s'était élevée entre les acteurs, les uns défenseurs, les autres détracteurs

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du nouveau genre; Molé est à la tête des pre-
miers, Préville et sa femme sont à la tête des
seconds. Ceux-ci s'occupent fort peu du succès
d'une sorte d'ouvrage qui leur déplaît, et mettent
beaucoup de négligence dans l'étude de leurs
rôles; c'est ce qui est arrivé à madame Préville.
Molé lui en fit des reproches peu ménagés peut-
être.; celle-ci, qu'une fâcheuse aventure de ga-
lanterie avec Molé avait aigrie d'avance, répon-
dit durement à Molé. Préville, le mari, se mêla
de la querelle, et écrivit à Molé que sa femme
ne jouerait plus son rôle qu'une fois, parce qu'elle
y était engagée par l'annonce faite au public. L'au-
teur intervint, et jugeant que madame Préville,
qui avait assez mal joué à la première représen-
tation, jouerait plus mal encore à la seconde,
retira sa pièce, qui ne reparaîtra sur la scène que
quand il
pourra se procurer des acteurs à son

choix.

Rien n'est comparable à la facilité de M. Goldoni pour combiner le canevas d'une pièce de théâtre; il vient d'en donner un au Théâtre Italien, intitulé Les cinq Ages d'Arlequin, en quatre actes, qui a été joué pour la première fois le 27 septembre, et qui a eu tout le succès qu'il mérite auprès des amateurs de ce genre de spectacle

L'idée de ce canevas est tirée de la fable de Titon et de l'Aurore; mais il y a dans tout cela un mélange de folie et de pathétique qui en rend

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