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cinq ou six marches, dans le salon qui reçoit son jour d'une lanterne qui se trouve au haut de la coupole ornée en mosaïque. Cette coupole est soutenue par autant de cariatides qu'il y a de colonnes; ces cariatides, qui sont d'or, sont droites, courtes, et ont l'air de poupées de Nuremberg quand on les compare au fardeau qu'elles ont à soutenir. Indépendamment de la galerie basse qui règne autour du salon, il y a encore deux galeries circulaires supérieures d'où l'on peut voir ce qui se passe dans la rotonde : l'une est placée dans la corniche des seize colonnes; l'autre audessus, et plus reculée, circule derrière les cariatides. Ces galeries, auxquelles l'on monte par les mêmes escaliers qui conduisent des quatre côtés à la plate-forme, communiquent de plain-pied à une infinité de salles attenantes dont on ne saurait deviner l'usage.

Cela est magnifiquement et tristement beau, parce qu'on n'a employé, pour la décoration intérieure, que l'or, le vert et le rouge les plus ternes ; mais cela est surtout absurde par le défaut de jugement qui a présidé à toute cette entreprise. D'abord, l'immensité du lieu le fera toujours paraître désert, quand même on s'y porterait avec la plus grande affluence; elle entraînera une dépense et un service journaliers qui absorberont la plus grande portion des profits. Ni l'édifice en général, ni ses différentes parties, n'ont aucun but; on ne sait ni ce que l'architecte s'est proposé, si ce n'est de copier une rotonde, ni à quel

usage il destine tous les détails de ce superbe et immense édifice. D'ailleurs, nul ensemble, nulle liaison; chaque pièce forme, pour ainsi dire, un lieu isolé : c'est le projet le plus mal combiné, le plus follement conçu qui ait jamais été entrepris. Il est remarquable qu'on ait construit en même temps, et à des frais immenses, une salle d'opéra pour la cour à Versailles, où il n'y a que quatorze cents places, et un Colisée pour Paris, qui n'aura jamais l'air plein, à moins que, conformément à l'esprit évangélique, on ne force les boiteux et les éclopés d'entrer. On avait élevé au milieu de la rotonde un massif sur lequel on avait placé les trois Grâces adossées ensemble; elles soutenaient une espèce de lustre de cristal en forme d'if qui devait servir la nuit à éclairer le centre de la rotonde; sous le groupe des Grâces était placée la musique, que le grand éclat du lustre, répandu tout autour, confinait dans la plus entière obscurité. Cette présentation avait si faitement l'air d'un catafalque, qu'il a fallu la supprimer entièrement; on a divisé depuis la musique en deux orchestres dans l'entre-colounement de la rotonde.

par

Les bosquets nouvellement plantés du côté de l'occident ne peuvent encore être d'aucun agrément. Du côté du nord on a bâti un cirque dans l'enceinte duquel il y a un bassin d'eau sur lequel on se propose de donner le spectacle de la joute: en conséquence on a défendu celui que les bate-liers donnaient les années précédentes à la Râpée

et

le

sur la Seine. On a pareillement défendu à Torré d'ouvrir son Vauxhall; on a voulu forcer Comus et tous les spectacles du boulevart de se transporter au Colisée; on a été jusqu'à former le projet de couper et d'abattre les arbres du boulevart pour obliger le public de se promener aux Champs-Elysées; tant cette entreprise absurde et irréfléchie est protégée ; et malgré tout cela, les entrepreneurs et les intéressés seront ruinés, ainsi que tout le monde l'a prévu; et comme ils sont solidaires, plusieurs actionnaires ont déjà offert de céder leur intérêt pour rien, et de payer encore une somme de six mille francs à celui qui serait tenté de se mettre en leur lieu et place. Il est impossible que celle entreprise se soutienne; la situation du Colisée hors de la ville, à portée de personne sur un chemin qui ne mène à rien, et à une distance si éloignée des abris, dans un pays où les mauvais temps sont si fréquens, suffirait seule pour faire échouer le spectacle le plus attrayant. La curiosité y fera aller tout le monde une fois, mais personne n'y retournera, d'autant que le lieu est si vaste et si éparpillé qu'on ne peut même s'y donner rendez-vous, ni se promettre de s'y rencontrer.

Les fêtes qu'on a données à Versailles à l'occasion du mariage de M. le comte de Provence, se sont bornées à un fort petit mais fort joli feu d'artifice dirigé par Torré, suivi d'une petite illumination dans le parc. Le festin royal et le bal

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paré ont eu lieu suivant l'usage, excepté que les princes du sang protestans ne se sont pas trouvés au premier, el que mademoiselle de Lorraine n'a pas paru au bal, ce qui a prévenu la dispute du menuel; en revanche la marquise de Marigny, femme du frère de feu madame de Pompadour, a été une des premières qui ait dansé le menuet parmi les femmes de qualité. En fait de spectacles, on a donné deux représentations de la Reine de Golconde, opéra de MM. Sedaine et Monsigni; M. Mondonville a fait les paroles et la musique d'un opéra intitulé Les Projets de l'Amour qu'on a représenté sur le théâtre de la cour le 29 mai, et qui doit être joué une seconde fois sous peu de jours. On doit aussi donner la tragédie de Gaston et Bayard, et à cette occasion M. de Belloy a obtenu une pension de douze cents livres, qui serait très-bien reçue si c'était l'usage de les payer. Dans tout cela il n'y a eu que l'opéra de Mondonville de nouveau; mais il est tombé si à plat, qu'il est fort douteux qu'on ose jamais le risquer sur le théâtre de Paris. On est généralement d'accord qu'en fait de dose d'ennui on n'en a jamais servi à aucun roi très-chrétien, de glorieuse mémoire, une aussi forte que celle qui a été administrée à sa majesté mercredi dernier, par Scaramouche - Mondonville, sous l'étiquette de Projets de l'Amour. L'abbé de Voisenon, ancien ami du musicien, est véhémentement soupçonné d'avoir trempé dans le projet des paroles; mais il ne m'est pas possible de le croire; Mondonville a

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et

bien tout ce qu'il faut pour être l'auteur unique de ce recueil de pauvretés et de platitudes; il est d'ailleurs en usage de faire les paroles de ses opéras, et ce qu'il a fait en ce genre ne dément pas ses nouveaux essais.

On vient de publier un prétendu Tableau philosophique de l'Esprit de M. de Voltaire, pour servir de suite à ses ouvrages et de Mémoires à l'histoire de sa Vie. On dit que cette détestable rapsodie est d'un nommé Sabatier qui, pour gagner quelque argent, a voulu ramasser les pièces de toutes les querelles, les factums de tous les procès que M. de Voltaire a eus dans le cours de sa vie avec plusieurs écrivains connus, et surtout avec une foule de gredins littéraires. Il a continuellement entrelardé son récit d'injures et de platitudes contre le patriarche de Ferney; et quoique la malignité ne soit pas difficile quand il s'agit de déchirer, surtout ceux qui brillent au premier rang, Sabatier s'est si mal acquitté de son méchant métier, qu'il est impossible de lire sa rapsodie. S'il avait eu un peu de gaieté, il aurait pu faire un ouvrage à nous faire mourir de rire: car il y a dans toutes les attaques et défenses de M. de Voltaire contre ses ennemis tant de traits plaisans, tant de saillies, tant de verve, tant de gaieté maligne, tant de folies, tant d'importance. et d'enfance, qu'un redacteur plaisant vous aurait dilaté la rate outre mesure. Au lieu de nous faire rire, Sabatier a fait le libelle le plus plat et le plus

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