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qui est l'universalité des vérités morales, triomphe; ce principe nié, le paganisme, ou l'erreur sous ses diverses formes, usurpe l'empire du monde; dans la parole de Dieu ou la vérité, l'humanité trouve la vie, le bonheur; dans la parole de l'homme ou l'erreur, elle ne trouve que la négation, l'antagonisme, la mort.

Le pain entretient la vie corporelle; la parole de Dieu est l'élément de la vie morale. Le pain et la parole sont deux choses externes pour nous. Nous demandons nos moyens d'existence à des êtres externes, d'où il suit que l'homme est objectif; j'appelle objectif l'être qui dépend d'un objet externe. L'homme serait subjectif s'il trouvait en lui-même son appui et ses moyens d'existence. Dieu seul est subjectif, car Dieu seul possède en lui tous ses moyens d'existence; Dieu seul est le sujet de tous les êtres et de tout ce qui est intelligible. Il est l'affirmation universelle et substantielle, il est l'être infini. Dieu est l'affirmation universelle, car il est évident qu'il n'est pas une seule vérité émanant d'une autre source que lui. Il est l'affirmation substantielle, il n'y a pas de phénomène sans substance. Mais si la vérité existe par elle-même, si elle est éternelle, substantielle comme Dieu, alors Dieu et vérité sont deux idées qui se confondent; Dieu est la vérité, la vie, c'est-à-dire l'affirmation universelle et substantielle. La vérité éternelle ne peut pas procéder d'un être qui a eu un commencement, car la vérité est une affirmation, et il n'y a pas d'affirmation qui ne soit la vérité. Or, se peut-il qu'il n'y ait pas une affirmation qui ne soit la vérité, sans que la vérité soit in

finie, et si la vérité est infinie, peut-elle procéder d'un être fini? Donc la vérité procède d'un être unique, éternel, infini; il est impossible qu'il en soit autrement; donc la vérité donnée, il est impossible de contester l'existence de Dieu.

L'évidence des faits relatifs à l'homme et l'idée précise que le christianisme nous donne de Dieu, impriment à cette considération quelque valeur; je ne la propose pas néanmoins comme une démonstration définitive, je la présente comme une justification préparatoire de l'hypothèse dont j'ai besoin pour entrer en matière et pour être compris; toute ma théorie roule sur l'objectivité de l'homme. On a dû le pressentir dès le moment où j'ai nié la souveraineté humaine.

Mais peut-on aujourd'hui en France pressentir quelque chose', lorsque les ouvrages offerts à notre intelligence pour l'éclairer et la diriger ne sont qu'un amas fait au hasard d'affirmations contradictoires? Je n'en citerai qu'un exemple entre mille je lis dans un philosophe, qui occupe un rang distingué parmi les écrivains de notre siècle (1), ces deux phrases séparées par une courte distance l'une de l'autre : « L'homme ne vit pas seulement de pain; le maître l'a dit; il vit de la parole qui procède de Dicu (2). >>-«LA SOUVERAINETÉ NATIONALE RÉPOND A LA SOUVERAINETÉ DE LA RAISON EN PHILOSOPHIE (3). » En voyant l'accouplement de ces deux affirmations, on

(4) COUSIN, introduction.

(2) Discours politique, introduction, p. 4.

(3) Id., p. 24.

se rappelle involontairement le mot de Cicéron: Deux aruspices peuvent-ils se regarder sans rire? Que font ici ces deux idées en présence l'une de l'autre? Comment la raison est-elle souveraine, si elle reçoit ses lois d'un être externe? Choisissez donc l'un ou l'autre ; mais n'amalgamez pas des idées incompatibles; au lieu d'éclaircir l'affirmation de la souveraineté de la raison, vous portez le trouble et la confusion dans la raison elle-même. L'idée d'objectivité répugne à l'idée de souveraineté : on n'est pas maître quand on dépend d'un objet externe.

Ainsi, l'objectivité humaine est le fondement de ma théorie; la négation de la souveraineté humaine en est la conséquence logique. Sans concevoir l'homme souverain, je pourrais le concevoir heureux ; je ne pourrais même pas le concevoir malheureux, s'il m'apparaissait intègre dans sa nature. Le spectacle de ses maux est pour moi une preuve invincible qu'il est privé de son intégrité. L'intégrité d'un être consiste dans la double harmonie de ses éléments constitutifs entre eux et avec les objets externes. Celui qui oserait affirmer l'existence de cette harmonie complète, pourrait me convaincre de l'existence de l'intégrité humaine. L'harmonie de nos éléments matériels entre eux et avec les corps d'où dépend notre existence constituent l'inté grité de notre vie matérielle. L'harmonie de nos rapports avec la loi divine, qui est aussi notre loi de nature, constitue l'intégrité de notre vie morale. Notre âme et notre corps, appartenant à deux substances d'une nature différente, sont formés sur le même type.

Chaque faculté de l'âme a sa corrélative dans une faculté physique. Tout ce qui entretient notre vie animale nous vient des corps externes; tout ce qui entretient notre vie morale, tout le bien qu'il y a dans le monde, nous viennent d'une lumière externe, de vérités primitivement révélées; l'homme vit de pain et de la parole de Dieu; cette affirmation n'a rien de contraire à la théorie des premiers concepts. Nous sommes naturellement aptes à voir; c'est cette aptitude, cette capacité que nous appelons la vue. Nous sommés naturellement intelligents; cette faculté est ce que nous appelons la raison. La raison est la vue intellectuelle, la vue de l'âme. Nous voyons naturellement; mais s'il n'y a pas devant nos yeux un objet externe, nous ne verrons que notre corps; et s'il n'y a pas une lumière externe, nous ne verrons même pas notre corps, nous le sentirons seulement. Il en est de même de notre intelligence: si un objet externe ne lui est pas présenté, elle ne connaîtra rien qu'elle même; et s'il n'y a pas une lumière externe qui éclaire notre âme, elle ne se connaîtra même pas elle-même, elle n'aura que le sentiment de son existence. Voyez les idiots et les aveugles! L'idiotisme n'est que l'aveuglement intellectuel, l'accident qui prive certains individus de l'exercice de la faculté de concevoir. Le soleil éclaire tous les corps; son correspondant, son corrélatif incrée dans le monde intellectuel illumine toutes les intelligences (1). Eh bien !

(1) Illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum.

c'est cette lumière incréée que j'appelle Dieu. Les vérités mathématiques, les vérités artistiques, les vé– rités littéraires nous sont transmises par les corps et sont perçues par notre intelligence. Les vérités morales, les vérités relatives à Dieu et à nos devoirs sont conçues par notre intelligence; mais comment lui sont-elles transmises, puisqu'elles ne dérivent point d'elle, puisque l'intelligence humaine n'est pas le foyer primitif de la vérité et de la lumière? Dans les sciences exactes, la vérité est communiquée par les proportions de la matière même éclairée par le soleil. Dans la science morale, elle est communiquée par la tradition éclairée par l'esprit ou la lumière de Dieu. L'origine de la tradition, c'est la parole de Dieu. Or, c'est cette communication que j'appelle révélation. Le révé– lateur, c'est l'esprit de Dieu. L'adhésion de la raison à cette révélation, c'est la foi. Ma thèse, la voici La raison humaine, vive, active, pénétrante, conçoit et embrasse les vérités qui lui sont proposées. Toutes les vérités des sciences exactes et naturelles lui sont présentées par les corps qu'éclaire la lumière externe et matérielle. Les vérités morales lui sont proposées par la révélation qu'éclaire la lumière divine et immatérielle. Cette révélation fut faite au premier homme dans les commandements que Dieu lui prescrivit: præcepit nobis Deus; elle fut renouvelée particuliérement à Moïse, qui reçut les commandements de Dieu; elle fut renouvelée aux prophètes, qui transmettaient au peuple d'Israël les vérités révélées; enfin, Jésus, qui porte au

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