Page images
PDF
EPUB

teur d'une doctrine bizarre pour paraître entouré d'une auréole de grandeur et de supériorité aux regards de la foule des libres penseurs.

Pilotes et navigateurs insensés! vous vous fiez à des poupes embellies de peintures pour vous garantir de la tempête ! On enlève au navire ses antennes et ses mâts, on le prive de ses ancres, de ses voiles et de ses rames, et vous vous étonnez d'entendre les cris de détresse des passagers qu'emportent les flots impétueux!

Les lois primitives de l'humanité méconnues, comment peut-on espérer que l'antagonisme des intérêts laisse quelque stabilité à des règles artificielles et conventionnelles, sans base et sans motifs suffisants pour déterminer la libre adhésion des peuples, au milieu des contradictions et du conflit de leurs pensées?

La vérité absolue existe; elle existe dans l'entendement divin; la justice et l'ordre en dérivent'; ils ne relèvent pas, ils ne peuvent pas relever des hommes. Aussi, qu'arrive-t-il? Les peuples gémissent et s'inquiètent; l'abus qu'ils ont fait de la liberté va (tant on réfléchit peu !) jusqu'à faire trouver douce à bien des hommes la dictature, la servitude commune. L'oubli des lois primitives, le triomphe de l'intérêt sur le droit, le relâchement des liens de l'universelle mutualité, telles sont les causes de ces malheurs et de cet effroi. (1)

Des lois éternelles, du droit immuable de la mutualité originelle entre tous, découlent les vertus, le

(1) Terra infecta est ab habitatoribus suis, quia transgressi sunt leges, mutaverunt jus, dissipaverunt fœdus sempiternum. (ISAIE.)

bien-être de l'humanité. Sagesse suprême, source unique de toute justice, je m'incline et je t'adore! Le bien, le beau, le juste, l'utile, sont en toi! Aide, je t'en conjure, l'humanité à rentrer dans l'harmonie universelle.

Le grand dogme social, c'est la solidarité humaine dans les besoins de création; et je le trouve à chaque mot de l'Évangile, il y est comme Dieu dans l'univers, partout; c'est la nature elle-même qui l'a gravé dans nos âmes; les familles qui lui obéissent offrent l'image du ciel sur la terre; lorsqu'il inspire une armée, elle est invincible; les peuples qui l'inscrivirent sur leur bannière furent les plus grands peuples du monde. La République romaine tout entière était insultée par un outrage fait à un citoyen romain. On cite un roi plus grand que tous les autres rois, saint Louis, dont la table était vraiment royale, puisqu'elle était la table commune et que le pauvre s'y asseyait à côté du monarque. La solidarité se mêlait à toutes les actions, à toutes les paroles, à tous les mouvements de l'âme de ce prince. Son cœur avait la même pulsation que tous les cœurs français. Il n'y avait point de rançon pour la vie du roi de France : « J'aime mieux donner ma vie, >> celle de ma femme, celle de mes enfants, à Dieu, » que de séparer mon sort des Français ici céants. » (1) Pas un homme ne souffrait en présence de saint Paul, que la douleur ne fût empreinte sur les traits de cet apôtre; saint Paulin se met à la place d'un prisonnier dont le travail est nécessaire à la vie de ses en

(1) Sire de Joinville. Mémoires pour servir à l'histoire de France, par MICHAUD et POUJOULAT, t. 1.

fants; saint Vincent de Paul se charge des chaînes d'un galérien, et les chaînes du crime semblent elles-mêmes sanctifiées. L'ordre et la joie règnent dans ce séjour de l'emportement et du désespoir. Voilà la solidarité. (1) La foi, par ce dogme, rétablit l'équilibre dans les rapports des hommes, dans les rapports du ciel et de la terre. C'est la foi en ce dogme qui a inspiré aux individus, aux peuples, à l'humanité, leurs plus sublimes actions, et c'est en se faisant solidaire de tous les hommes, sans en excepter un seul, que Jésus, à qui on reprochait sur la terre sa bonté pour les pécheurs, meurt sur la croix. La solidarité, c'est le dogme de la rédemption humaine; c'est le dogme de l'amour de Dieu et des hommes; c'est le repos des intelligences; c'est la paix de l'âme; c'est le mouvement de l'humanité vers la vertu et le bien-être; c'est l'affranchissement universel; c'est la coopération de tous à l'action divine du Christ.

L'affranchissement universel! Autour de ce centre gravitent tous les systèmes qui se séparent en deux grandes divisions: les uns absorbent l'unité individuelle dans l'unité collective, et ils effacent la personnalité; les autres détruisent l'unité collective par l'isolement de la personnalité, et suppriment la solidarité naturelle qu'ils tâchent de remplacer par un contrat ou par un pacte, ce qui n'est que la sanction ou le retour des abus invétérés de la force.

Dans l'état actuel des esprits, sinon en Europe, du

(1) Animam suam dat.

moins en France, j'en ai l'espoir, l'absorbtion n'est possible ni d'un côté ni de l'autre. Le progrès de l'idée chrétienne ou de l'affranchissement universel ne permettra jamais de voir l'état normal de l'humanité dans une paix qui ne serait que le sacrifice de l'esprit à la matière, de la morale à l'intérêt. L'idée chrétienne, idée d'ordre et d'harmonie, ne permettra pas davantage le triomphe de l'an-archie ou celui de l'autonomie, qui serait encore le désordre.

Aussi, toute tentative d'envahissement de l'une de ces idées provoque-t-elle une résistance, une réaction. La famille, la propriété, la religion, n'ont jamais demandé si vivement, si universellement, si énergiquement à vivre que depuis que le communisme a voulu les envahir; (1) et, depuis que le socialisme s'est proclamé la négation de tout gouvernement, ou l'an-archie, ou l'autonomie individuelle, il y a eu une tendance manifeste à oublier l'importance de la personnalité et à voir le salut dans l'exercice d'un pouvoir dictatorial.

On a regardé le socialisme comme une conséquence hardie, mais rigoureuse du communisme. On avait vu dans le communisme le tâtonnement, l'ébauche informe du socialisme, et dans le socialisme le perfectionnement d'un même système ; il n'en est rien: l'un est l'antithèse de l'autre. Le socialisme et le communisme n'ont pas un seul point qui leur soit commun, si ce n'est de détruire ce qui existe et de reconstituer la société, qui est une affirmation, chacun à l'aide d'une

(1) Expavescens clamavit invadit me. Tob. x1, 3.

négation différente. Le communisme, au fond, nie la personnalité ou il l'absorbe; le socialisme, au contraire, nie la société, dont il brise le lien naturel, sauf à se contredire et à s'organiser ensuite au moyen d'un

contrat.

Si le communisme et le socialisme pouvaient vivre, ils se trouveraient au bout de leur marche dans un antagonisme complet et impitoyable, puisque l'un va au triomphe absolu, l'autre à l'extinction absolue de la personnalité.

Ce secret, mais radical antagonisme, explique la confusion et les contradictions perpétuelles qui se révèlent dans les écrits et dans les discours des utopistes, et les force à accueillir, sous leur drapeau, les brouillons, les ignorants, le rebut, en un mot, de tous les partis, l'effroi de leurs propres chefs.

Telle est la nécessité des théories, qui, n'étant point dans la nature, n'ont aucun moyen d'action sur les âmes naturellement honnêtes; il leur reste les hommes passionnés et avides, et c'est assez pour grossir leurs bataillons. Ah! qu'ils sont différents du christianisme primitif, qu'ils louent pourtant, et qui se montra d'une si scrupuleuse sévérité dans le choix de ses initiés !

« Une perte réelle, disait Tertullien aux conservateurs » de son temps, une perte irréparable pour l'état, à >> laquelle personne ne fait attention, c'est celle de tant » d'hommes vertueux, irréprochables, qu'on persécute et » qu'on fait mourir; je prends à témoin vos registres, >> vous qui jugez tous les jours les prisonniers, qui con>> damnez tant d'hommes coupables de toutes sortes de

« PreviousContinue »