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de se réunir à la grande âme et de s'y fondre. Qui ne reconnaîtrait là la source de tous nos systèmes de métempsycose, de transformation et de grand tout, et ne serait frappé de la stérilité absolue de l'esprit humain !

Les affirmations mêmes de cette philosophie primordiale qui ne se rattachent pas immédiatement au mot célèbre dont nous avons indiqué le révélateur, ne sont que des bizarreries dignes de pitié, et qui pénètrent de douleur en nous montrant, dès les premiers efforts de l'homme, les humiliantes aberrations de son intelligence: pauvre aveugle-née qui se débat dans l'abime ou ne pénètre pas l'éclat de la lumière externe ! Ainsi, c'est Swada au ventre d'or, engendré de Brahm; c'est Maya qui naît de Swada et qui engendre la matière ou l'illusion, principe de tous les phénomènes et de l'apparition des existences individuelles (4). M. Cousin, après tant d'autres plagiaires qui croient avoir du génie quand ils ont de la mémoire, n'a-t-il pas répété que l'existence individuelle ressemble fort à un phénomène de l'unique substance? Mais c'est en vain qu'il a enveloppé ces vieilleries de grands mots que l'inexpérience de la jeunesse a pris pour de la profondeur; à quel homme de bon sens fera-t-il accroire qu'une simple illusion, un

(1) M. Colebrooke a étudié les systèmes de l'Inde à leur source même, et les a expliqués avec une rare sagacité. M. Pauthier les a traduits à Paris en 1833-1836. Vyasa est l'auteur sanscrit de cette théorie; quelques savants pensent que Vyasa est un nom générique qui représente toute une époque.

phénomène, puissent avoir une conscience si ferme de leur individualité? Et comment se fait-il que M. Cousin attache tant d'importance au moi humain, s'il n'a, comme il le dit, qu'une fantasmagorique existence ?

III.

Le système de Mimansa n'est qu'un développement du système des Védas. Il est attribué à Djaïmini, qui n'a pas non plus manqué de commentateurs parmi ses disciples. Pour expliquer les Védas, le Mimansa donne des règles ou soutras beaucoup plus obscures que les Védas mêmes. Il admet que la communication verbale seule peut servir de fondement à un devoir. Cet hommage à la révélation est la partie vraie et utile de cette philosophie; mais ce n'est pas la partie qu'ont adoptée les impudents copistes qui ont usurpé parmi nous le nom de philosophe.

Le Mimansa se partage en deux grands systèmes : le premier s'appelle Pourva, on l'attribue à Djaïmini, et il donne les règles du raisonnement pour l'interpréta, tion des Védas, ou de la révélation; le second s'appelle Védanta, il est attribué à Vyasa; il nie la matière et même toute existence individuelle. Les sens ne saisissent que ce qui passe, ils sont donc insuffisants pour servir de base à la science fondée sur la notion de l'absolu. Le raisonnement part d'un esprit limité, il ne peut donc pas servir de mesure à l'absolu ni par conséquent de fondement à l'affirmation.

Le jugement est essentiellement relatif, il ne peut jamais être adéquate à l'absolu. Il est singulier de trouver l'idée de relation dans la théorie du panthéisme le plus rigoureux qui fut jamais; il ne l'est pas de voir cette contradiction répétée par l'innombrable troupeau des plagiaires. On les voit reproduire jusqu'aux fautes de sens d'une manière si imperturbable, qu'on serait tenté de croire leur cerveau absolument étranger au mouvement de leur plume. Unité absolue et relation! O puissance vengeresse de l'erreur et de l'abus des mots qui l'enfantent! Il n'est point de philosophie qui ne contienne des contradictions radicales ni de philosophe qui ne brave la honte de les répéter.

Brahma est l'être un, éternel, infini; s'il existait hors de lui des réalités limitées, il faudrait qu'elles eussent été produites par lui. Mais cette production n'est pas possible, parce que Brahma, parfait par essence, ne peut rien produire d'imparfait. Lorsque l'homme considère le monde, les autres hommes, ou se considère lui-même, il est en état de rêve; lorsqu'il reconnaît que Brahma est tout, il est dans l'état de science. On est saisi d'un douloureux étonnement quand on voit les efforts de la philosophie pour déplacer la nature de l'homme. Ici l'homme n'est rien du tout, ailleurs il sera un dieu, dans un troisième système il deviendra le générateur même de Dieu. Ainsi, dans le système du Védanta, la réalité humaine n'est pas possible, parce que rien d'imparfait ne peut être produit par Brahma, et cependant ce système laisse ses imperfections à l'hu

manité lorsqu'il en fait une partie de Brahma luimême.

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Brahma est tout le feu est sa tête, le soleil et la lune sont ses yeux, il a pour oreilles les plaines sonores du ciel, pour voix la révélation, ou les Védas; les vents sont sa respiration, la vie universelle son cœur et la terre ses pieds. Ces ornements sont assez bien assortis à la nature immense, infinie de Brahma; mais lorsque Kant, Fichte, Hegel, MM. Cousin et Proudhon se les attribuent, je ne m'en indigne plus, je ris.

L'homme croit à son existence par illusion; les illusions s'évanouissent, il ne reste plus que la substance, sans nom, sans forme, l'unité pure; le sujet et l'objet sont identiques (1), expression la plus complète qui se puisse imaginer du panthéisme. Tous les êtres perdent le sentiment de leur existence en se fondant dans l'unité sans nom, sans forme; c'est le néant. Mais avant cette identité absurde, comment explique-t-on tant d'illusions et d'erreurs dans l'être infini, dans la raison absolue? C'est là le secret de nos panthéistes, et ils y

(4) Combien de jeunes gens, qui n'ont jamais rien compris à ces mots : Le sujet et l'objet sont identiques parce qu'il n'y a rien à comprendre, étaient loin de leur soupçonner une origine aussi ancienne! Objet et sujet, deux ; identiques, un, une unité pure qui fait deux ! Cela est mathématique et doit bien satisfaire les souverains de la raison. Dans le dogme catholique, on justifie l'idée de relation par la pluralité des personnes. Métaphysiquement, Dieu ne pourrait pas plus être conçu sans la pluralité des personnes, qu'il ne pourrait l'être sans l'unité de substance.

tiennent, à ce qu'il parait, car ils ne s'empressent pas de le jeter aux vents.

IV.

Les ouvrages philosophiques hindous du second rang sont le Sankhya, le Nyaya, le Vaïséchika.

Kapila, l'auteur du Sankhya, était émané de Brahma; d'autres prétendent qu'il était une incarnation de Vishnou, origine également céleste, car les partisans de l'unité pure se sont toujours fort bien entendus à multiplier les dieux; sans compter ceux du ciel, ils en avaient un assez grand nombre sur la terre : les législateurs, les chefs des nations; les philosophes eux-mêmes, dispensateurs des honneurs divins, ont eu leur part, et c'était juste; un peu de divinité dévolue aux philosophes était pour eux un encouragement nécessaire à la philosophie.

Il y a dans le Sankya vingt-cinq principes des choses; Dieu nous garde d'en faire l'énumération!

La nature ou prackriti est la racine des choses. L'intelligence, premier produit de la nature, est le grand principe. La conscience ou le sentiment du moi est l'intelligence s'individualisant. Ce moi s'individualisant ou se posant est heureusement trouvé, il est destiné à jouer un rôle plus qu'important, il jouera un rôle exclusif dans l'orgueil philosophique. Puis nous voyons apparaître les atomes, émanations du moi individualisé. C'est Kapila qui a dit le premier: « Hors du moi, il n'y

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