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de création, et les droits sont la résultante des besoins de création. Que peuvent les contrats contre les appétits de la vie animale? Que peuvent-ils contre les besoins noraux, et à quel titre peuvent-ils annuler les droits qui en dérivent? Aussi, une révolution sociale n'a-t-elle jamais été la dénonciation de la rupture d'un contrat. Une révolution sociale se produit pour briser le contrat lui-même, pour en proclamer le mensonge et protester contre l'impiété d'un pouvoir qui envahit les droits de nature et dévié des larges voies que Dieu lui a ordonné de suivre. C'est ainsi, du moins, que j'explique la chute de la civilisation païenne.

Avant l'ère du christianisme, les révolutions d'empires étaient fréquentes, les guerres atroces, delenda Carthago; mais l'idée de révolution sociale eût-elle été même soupçonnée, cette idée ne pouvait pas naître avant l'idée du dogme de la fraternité, et, en présence de ce dogme, l'ancien ordre social n'aurait pas pu subsister. Ce dogme, généralement accrédité aujourd'hui, et semblable à la colonne lumineuse que suivait le peuple hébreu dans le désert, doit éclairer ceux qui sont au premier rang, comme dit le Christ; il doit guider leurs pas dans le désert stérile des théories humaines, les affermir contre les tempêtes qui éclatent si souvent au choc des partis, et les rassurer contre la foudre qui gronde dans leur sein. L'idée de fraternité détermine la nature des pouvoirs humains, les moyens et le but des gouvernements. Il n'y a de grandeur humaine que pour l'utilité des faibles. L'éloquence de Donozo Cortès et la vigoureuse logique de M. de Maistre ne feront ja

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mais croire à la noblesse originelle. La noblesse n'est un titre de gloire qu'autant qu'elle est le symbole d'une

plus grande vertu, d'une plus pure abnégation ! (1) L’usage de la force et de la puissance n'est légitimé que par les services qu'elles rendent à l'humanité.

Si cette théorie effraie l'imagination par l'immensité de la perspective nouvelle qu'elle ouvre à l'esprit, au moins n'offense-t-elle pas la conscience d'un seul honnête homme. Si quelqu'un s'indigne à la voix de celui qui réclame de la société, pour chaque homme, la satisfaction de tous les besoins de création, qu'il me maudisse, j'ai droit à sa colère, car je viens troubler le sommeil de son égoïsme. Mais que la société cesse de vouloir réglementer les besoins de création; ils ne peuvent être l'objet ni d'un contrat ni d'une législation, à moins que l'on ne veuille substituer le désordre à l'harmonie, le délire de l'homme à la sagesse divine, (2) le néant à la majesté de l'univers.

La beauté de la société humaine ressortira, comme celle de l'univers, du cours régulier des lois qui lui sont propres.

Étudier ces lois, les mettre en relief, montrer que leur accomplissement est possible, nécessaire, qu'il est la condition du bonheur de tous et de chacun, tel est le programme des études dont ce volume est l'objet.

(1) Qui voluerit inter vos primus esse erit servus vester. (2) Videns autem turbas, misertus est eis, quia vexati sunt sicut oves non habentes pastorem. (MATH., c. IX, v. 36.)

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L'humanité et l'organisation humaine sont l'œuvre de Dieu. L'être humain le plus complet a une enfance; plus tard, une vieillesse; à tout âge, il peut avoir des infirmités. Ce triple état de faiblesse réduit l'homme à l'impossibilité de mettre en jeu l'ensemble de son organisation, qui est la vie. Dans l'enfance, il a besoin, pour vivre, d'un secours étranger. Cette nécessité d'un secours constitue le principe de la société première, de la famille.

Par qui est dû à l'enfant le secours dont il a besoin?

Evidemment, par les auteurs de ses jours.

Ces secours dus à l'enfant obligent-ils la famille ?
Sans nul doute.

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Pourquoi ?

Parce que

l'enfant a droit à la vie.

Où s'arrête l'obligation de la famille ?

- Là seulement où cesse le besoin de l'enfant. Dieu,

par la nature de notre organisation, a marqué la nature et l'étendue de notre droit.

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Quelle est l'étendue du droit de l'enfant ?

L'étendue des besoins auxquels l'a soumis la nature. Aussi ai-je défini le droit : La résultante des besoins de la nature.

- Quelle est l'étendue des devoirs de la famille ? -Les devoirs de la famille sont corrélatifs aux droits de l'enfant. Les uns et les autres ont la même étendue. C'est le droit de l'enfant d'exiger la satisfaction de tous les besoins de la nature; c'est le devoir de la famille de les satisfaire. Besoins de l'enfant, obligations de la famille, ces deux termes sont réciproques et ont la même limite; ils commencent et finissent en même temps. Cette réciprocité d'obligations et de besoins trace rigoureusement les devoirs et les droits. Partout où il y a un besoin, il y a un droit, il y a un devoir correspondant. Cette mutualité, étendue à toute la famille humaine, établit le droit social, forme la vraie science de l'économie politique, elle constitue le seul titre incontestable de propriété.

En effet, l'obligation de satisfaire le besoin de création donne aux sociétés comme aux familles le droit d'en préparer les moyens; elle leur donne par conséquent le droit de posséder et de transmettre ce que l'on

possède, la possession étant le moyen le plus efficace de satisfaire les besoins de création.

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Je sais que, par ce temps de déception et de doute, tout le monde cherche et propose, pour sauver la société qui se meurt, des mécanismes de son invention, qu'on appelle des solutions! Faut-il s'en plaindre ? Non! il faut au contraire voir là une impulsion providentielle. Car il est impossible qu'une discussion lente, mais continue, qui pénètre peu à peu les masses, (1) n'entraîne pas enfin les peuples vers la vérité du droit, terme méconnu, mais dernier terme, de nos destinées sociales. Les révolutions elles-mêmes qui s'opèrent sont de suprêmes efforts du genre humain pour découvrir les vraies conditions de sa vie, pour les définir exactement et s'y soumettre.

Il en est des peuples comme des corps élastiques violemment comprimés, ils sont sans énergie; un peu détendus, ils commencent leurs mouvements, et continuent sans interruption leur travail jusqu'à ce qu'ils se brisent ou qu'ils occupent tout l'espace que comporte leur nature. Depuis l'origine du monde jusqu'à nos jours, les révolutions sociales n'ont jamais été tentées que chez les nations et par les classes dont le principe de vie avait conservé une partie de sa vigueur; car je n'appelle pas révolution sociale le bruit que fait un trône qui s'écroule. Il y a loin de la convulsive agonie d'un peuple qui se meurt à l'impétueux élan d'une nation qui se précipite dans l'avenir.

(1) Fides ex auditu.

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