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pas cette prétention, car nous connaissons la faiblesse de notre fragile raison. « La raison et ses lois, se ratta>> chant à la substance, » ne peuvent être ni une modification ni un effet du moi, puisqu'elles sont l'effet immédiat de la manifestation de la substance absolué; donc la raison établit un rapport avec mon intelligence, comme la lumière du soleil établit un rapport avec mon œil. Vous établissez vous-mêmes les relations de sub.stances, après les avoir niées, et ce n'est pas ma raison que vous appellerez la manifestation de la substance absolue. Ma raison personnelle est trop faible pour mériter ce titre pompeux, et vous dites que c'est la connaissance profonde de la psychologie qui apprend à ne pas voir de substances relatives. C'est, au contraire, l'idée d'unité absolue qui est en contradiction avec les faits primitifs. L'idée de nombre est dans toutes les langues et de tous les temps; vous ne pouvez vous empêcher de l'employer vous-même. Vous parlez de rapports, d'équations jusque dans vos démonstrations. A = A dit Fichte, et ce ne sont pas seulement des phénomènes, de simples modifications que nous comptons; ce sont des réalités. Mais vous croyez si peu cette réalité identique d'une seule substance, que vous ne laisseriez pas passer une pièce d'or de votre poche dans la poche de votre voisin sans réclamer. Pourquoi réclamer? Des substances relatives détruisent l'idée même de substance; vous n'êtes qu'une même substance, une même personne; donc votre fortune est celle de toute, de l'unique substance. C'est une folie de l'univers d'avoir cru à la multiplicité des êtres, car

à

la raison se rattache à la substance; il n'y a qu'une substance, donc il n'y a qu'une raison et par conséquent qu'un entendement.

Si la raison n'est que la manifestation de la substance absolue, expliquez-moi le désaccord de votre raison et de la mienne, expliquez-moi la guerre dans la substance absolue, car la guerre suppose deux volontés; la volonté aussi est rattachée à la substance vouloir, causer, étre, pour nous, expressions synonymes. Il y a donc deux êtres, puisqu'il y a deux volontés. Il y a deux êtres relatifs, deux êtres substantiels, donc des substances relatives. En vous distinguant de moi, pouvez-vous n'affirmer qu'un être? Poussez votre système jusqu'à sa dernière conséquence, faites disparaître toutes les formes, car l'absolu ou l'infini n'en supportent pas; faites disparaître les noms, il ne faut qu'un nom à une seule substance, à un seul être; faites disparaître toutes les distinctions, une distinction est une comparaison, une comparaison est une relation. Vous repoussez l'idée de substances relatives; mais comme l'acte est le caractère de la nature des êtres, vous l'avez dit vous-mêmes, la substance, dont l'unité est la nature, doit avoir en tout l'unité pour caractère. Avec l'unité absolue et nécessaire, l'activité elle-même n'est nullement possible; Dieu est tout. Que peut-il avoir à faire et sur quoi peut-il agir? Il n'y a plus rien sur quoi puissent se porter les désirs, les affections; on est seul et l'on est absolu, infini, on possède tout; rien n'est possible au-delà de ce qui est.

Dans cette théorie, on réduit toutes les langues de

ni

l'univers à ce mot: Moi. Hors du moi, il n'y a rien, citoyen, ni patrie, ni époux, ni religion, ni Dieu, ni juste, ni injuste. Le moi est absolu, il contient tout. Essayez d'appliquer la qualification de bon, de vertueux, à l'homme qui n'aime rien hors de lui. On n'est bon, on n'est vertueux que parce que l'on aime hors de soi. Il faudrait donc, sous l'empire du panthéisme, retrancher de l'idiome humain tous les mots relatifs à la vertu, à la bonté, à l'amour. Le vice est le contraire de la vertu ; si la vertu n'existe pas, elle ne peut pas avoir un contraire. Avec l'idée de substance unique, absolue, on ne peut pas avoir l'idée de vice; le vice est une négation.

L'adoption du panthéisme amène forcément, logiquement, la destruction des langues et de l'intelligence.

Le sensualisme le plus grossier, l'égoïsme le plus profond, sont les déductions de cette théorie. Hors de vous, vous ne voyez rien, vous ne pensez à rien. Votre unique besoin est de tout vous assimiler, de tout absorber. On peut définir l'égoïsme, le système de l'absorption universelle par le moi! C'est un système d'identification définitive de tous les êtres dans le moi. Vous êtes obligés de dévorer pour prouver que vous êtes conséquent.

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Cette théorie est un démenti permanent à la conscience universelle du genre humain, et au sens intime de l'individu, elle est le comble de l'orgueil ou du délire dans un esprit exalté par les abstractions, et jette dans le monde le germe pratique de conséquences désastreuses. L'homme, par suite de l'altération de sa na

ture, n'a que trop de penchant à rapporter à lui, à saisir, sinon avec la conviction de l'esprit, du moins avec l'avidité de la passion, tout ce qui peut flatter son égoïsme.

Le caractère de l'intelligence absolue est de voir toutes les choses intelligibles d'un seul trait. Toute vérité est absolue, éternelle, immuable, et ne peut avoir pour sujet qu'une substance éternelle, immuable, non` multiple. La raison absolue ou la vérité est l'existence même. Pour donner du crédit à une théorie qui apprend à l'homme qu'il est Dieu, il faut commencer par démontrer à l'homme qu'il porte en lui tous ces caractères. M. Cousin a bien dit que la raison humaine était le foyer primitif de la vérité; car, que ne peut-on pas dire!... Mais, où est le commencement de preuve qu'il en a donné?

La raison est bien, en effet, le foyer de la vérité ; mais c'est la raison divine, ce n'est pas la raison de l'homme. Vous vous livrez à mille abstractions pour prouver qu'il ne peut y avoir qu'une substance et par suite qu'une raison. Que me prouvent ces efforts? Que vos abstractions sont des aberrations, et que vous n'avez pas bien saisi la vraie nature des choses. L'expérience et l'observation jouent évidemment un rôle dans la science humaine; mais de théories, sans cesse renouvelées, constamment contradictoires à la réalité, on n'a qu'une conclusion à tirer: Erravimus. Il faut donc que le panthéisme reprenne son travail par la base, et qu'il prouve à l'homme qu'il n'y a rien que de divin en lui; que c'est lui qui a présidé à la production et au

gouvernement du monde; que c'est lui qui a creusé le lit des mers, qui a semé les étoiles dans le ciel, qui a donné au soleil son éclat, à la terre sa richesse, aux oiseaux leur chant, aux plantes leur variété, aux fleurs leur beauté et leur parfum, aux animaux la force, la souplesse, la patience; à l'homme, la conscience de sa misère, de sa faiblesse, en dépit de sa toute-puissance; de son ignorance, en dépit de son omni-science; que c'est le moi qui a fait les lois de la gravitation universelle, qui distribue leur sève aux plantes, qui imprime un mouvement régulier à tous les corps de l'univers; que long-temps avant qu'une pomme tombée sur les pas de Newton lui eût fait observer la loi d'universelle gravitation; que le balancement de la lampe suspendue à la voûte de la cathédrale de Pise eût révélé à Galilée la loi du pendule; que le pape Sylvestre II se fût servi de la vapeur pour soulever le faible soufflet des orgues; que Gauthier, Geoffroy SaintHilaire et Fulton eussent démontré sa puissance; qu'avant que Galvani eût vu les nerfs d'une grenouille contractés par leur contact avec un conducteur électrique; qu'un berger eût senti le fer de ses souliers fixé à la terre; que Volta eût construit la pile électrique; qu'avant tout cela, le moi humain avait établi l'harmonie en raison de la valeur spécifique du poids des corps; ouvert les cratères du Vésuve et de l'Etna; formé la foudre dans les nues, répandu le fluide électrique dans tous les corps et imposé ses lois au calorique et à la lumière.

Le moi humain avait fait toutes ces merveilles, mais

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