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peuvent pas exister sans un sujet dans lequel elles soient reçues et sans lequel elles ne seraient pas conçues. C'est là une preuve invincible et à priori de l'existence de Dieu. Une seule vérité démontrée, l'existence de Dieu l'est aussi; car la vérité est éternelle, et la vérité a besoin d'un sujet. Je suis la vérité, dit le Christ pour prouver sa divinité, et c'est là un mot d'une profondeur métaphysique absolue. Mais de l'homme, qui est né hier ou qui naîtra demain, vous voulez faire un sujet absolu parce qu'il se pose après sa naissance, c'est-àdire parce qu'il s'affirme dans le temps ! C'est là le renversement de la métaphysique et du sens commun.

« Le moi de la première acception et le moi de la >> deuxième doivent poser comme absolument identi>>ques. » Pourquoi, en ce cas, en faites-vous deux moi? Donc l'on peut retourner la proposition précédente, et dire Le moi se pose lui-même d'une manière absolue, parce qu'il existe, il se pose lui-même en vertu du fait de son existence, et il existe simplement parce qu'il est posé..... « Ces observations éclaircissent com»plétement le sens dans lequel nous employons ici le » mot moi, et nous fournissent une explication nette et >> lumineuse du moi comme sujet absolu. Le moi sujet » absolu est cet être qui existe simplement parce qu'il >> se pose lui-même comme existant. Il est autant qu'il » se pose, et autant il se pose, autant il est. Le moi >> existe donc absolument et nécessairement pour le >> moi ce qui n'existe point pour soi-même n'est point » moi (1). »

(4) FICHTE. Doctrine de la science.

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Il y a en effet, ici, une chose claire et lucide, c'est que ces messieurs les philosophes se couronnent de fleurs, au risque, comme dit Horace, de passer pour fous:

Spargere flores

Incipiam, patiarque vel inconsultus haberi (4),

Ainsi, l'homme pose parce qu'il existe, et il existe parce qu'il pose.

Adam se posa ainsi en Dieu, et immédiatement après il eut honte. Sa nudité fut-elle jamais aussi humiliante que celle de la pauvre philosophie révélant ainsi ellemême les aberrations de sa raison? Je n'examine pas si existence et conscience sont une seule et même chose. Je laisse à l'opinion de Leibnitz tout le poids de cette affirmation, à savoir que l'homme, même dans le plus profond sommeil, n'est jamais sans la conscience de luimême. Mais cette conscience qui produit le moi a-t-elle toujours existé? Alors, dites donc ouvertement que l'homme est éternel, c'est une prémisse nécessaire pour parvenir à démontrer qu'il est Dieu. Si, avant le temps de la naissance de l'homme, sa conscience n'existait pas, comment est-elle venu poser le moi dans le temps? Seriez-vous obligés de reconnaître que le moi relève d'un être antérieur, ou d'affirmer qu'un être qui n'existe pas se crée lui-même ? Fichte ne recule devant aucune conséquence, il n'admet point l'être antérieur cause du moi, il admet la divinité du moi. « Le >> moi pose tout ce qui existe; ce qu'il ne pose point

(1) Epist. 5, liv. er, v. 14 et 45.

» n'existe pas pour lui, et hors de lui il n'y a rien (1). »
Très-gracieux pour les autres moi, que le moi qui pose
tout ce qui existe! Hors de lui il n'y a rien. C'est le sys-
tème de Kant, dit-on, qui conduit à ces bizarres mon-
struosités. Le système de Kant est aussi explicite que
celui de Fichte : « L'ordre est la régularité dans les
>> phénomènes ; ce que nous nommons nature est donc
>> notre propre ouvrage. Nous ne trouverions pas cet or-
>>dre dans les objets si nous ne l'y avions mis. En ef-
>> fet, l'unité naturelle doit être une unité nécessaire,
» c'est-à-dire une certame unité à priori de l'enchaî-
>>nement des phénomènes. Or, comment pourrions-
» nous produire une unité synthétique à priori, si nous
>> n'avions dans les sources primitives de notre esprit
>> des raisons subjectives d'une semblable unité; si ces
>> conditions subjectives n'étaient en même temps vala-
»bles objectivement, puisqu'elles sont les fondements
>> de la possibilité de connaître en général un objet dans
» l'expérience (2) ? » Le monde extérieur n'a donc de
réalité que
lui donne le moi.
Nous voici revenus aux illusions du vedanta,
partant d'un point opposé. Le panthéisme ancien nie
l'homme, le panthéisme moderne nie Dieu. On ne
trouve que cela dans la Critique de la raison pure de
Kant, dans la Théorie de la science de Fichte, dans le
Système de l'idéalisme transcendental de Schelling, dans
la Phénoménologie et dans la Logique de Hegel, dans la

celle que

en

(1) Principe de la connaissance pratique, §§ 5, 44, p. 198. (2) Logique transcendantale.

4

Métaphysique de Herbart. Kant admet, à l'aide de sa raison pratique, une certaine objectivité du monde externe, Fichte ne fait du monde externe qu'une forme de son entendement. Il tire toutes choses de son acte primitif pur; il ne se pose pas en petit homme.

Nous avons vu comment le panthéisme se formule en français: «< Dieu est l'intelligence universelle..... qui ne » parvient que dans l'homme à se connaître et à dire >> moi. » Il s'insinue d'abord doucement dans les œuvres de M. Cousin : « Une cause absolue et une substance ab>> solue sont identiques dans l'essence, toute cause abso>>lue devant être substance en tant qu'absolue, et toute >> substance absolue devant être cause pour pouvoir se » manifester. De plus, une substance absolue doit être >> unique pour être absolue: deux absolus sont contra>> dictoires, et l'absolue substance est une ou n'est pas, >> On peut même dire que toute substance est absolue >> en tant que substance, et par conséquent une. Car des >> substances relatives détruisent l'idée même de sub>> stance, et des substances finies, qui supposent au-delà >> d'elles une substance encore à laquelle elles se ratta>>chent, ressemblent fort à des phénomènes. L'unité de >> la substance dérive donc de l'idée même de la sub»stance, laquelle dérive de la loi de la substance » (1).

Il ne peut y avoir qu'une substance. Est-elle maté– rielle ou est-elle spirituelle? M. Cousin le passe sous silence. Toute substance est absolue. Or, toute sub

(4) COUSIN. Fragment philosophique, deuxième édition, p. 23 et 24.

stance absolue doit être cause pour pouvoir se manifester. Mais s'il ne peut y avoir qu'une substance, de quoi peut-elle être cause? A quelle nouvelle substance la substance absolue se manifestera-t-elle? L'unité est la loi de la substance. Il est permis d'avoir une opinion; mais embrasser dans quatre lignes deux opinions qui se heurtent et qui se détruisent, comme celle de cause et d'unité, ne ressemble guère au phénomène d'une substance absolue qui ne comporte pas la contradiction. Comment peut-il y avoir des manifestations possibles s'il n'y a pas de substances relatives?

Bientôt nous verrons la lumière jaillir de la raison humaine comme de son unique foyer. Encore une petite difficulté: si la substance est unique et infinie, en faveur de qui jaillit cette lumière?

Le panthéisme réduit tout ce qui est à l'unité absolue, et c'est là, disent les panthéistes, le résultat incontestable de l'observation psychologique. Entrez dans les profondeurs de l'étude psychologique, et vous y découvrirez nettement ce que tous les hommes sentent, voient et connaissent la distinction bien tranchée de chaque individu. Un homme cache sa pensée à un autre homme, il ne sépare pas sa raison propre de sa personnalité, mais il sépare nécessairement dans son idée sa raison et sa personnalité de la raison et de la personnalité des autres hommes. M. Cousin lui-même fait cette séparation, séparation cruelle et humiliante pour nous, puisqu'il n'attribue la souveraineté qu'à la raison en philosophie, d'où il suit que la raison du profane vulgaire n'est point souveraine. Il est vrai que nous n'avons

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