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être un abominable calcul. Il faut donc remonter sans cesse à la source des choses et saisir les liens invisibles des effets à la cause pour ne pas déplacer les attributs des êtres et rentrer ainsi dans l'harmonie de la création.

Il n'y a dans l'être divin de nécessaire et d'absolu que la subjectivité. Nier la valeur objective de l'homme, pour lui attribuer la subjectivité divine, c'est nier la clarté du jour. La valeur objective est une nécessité de tout être borné. L'objectivité nécessaire est la seule preuve de la dépendance des êtres. La valeur objective en Dieu est une effusion de sa bonté, un acte libre de sa volonté, c'est le bienfait de la création; mais c'est une libéralité et non une nécessité. Il n'y a en Dieu de nécessaire et d'absolu que sa valeur subjective. Dieu est le sujet nécessaire de tous les êtres. Si le monde était éternel, Dieu ne serait pas libre, puisque ses rapports avec le monde matériel seraient nécessaires. Si la valeur objective de Dieu était une nécessité de son essence, Dieu n'aurait pas en lui-même la plénitude de son être, puisque l'objectivité lui serait nécessaire. Il ne serait pas infini, il ne serait pas Dieu. Transposer la subjectivité, c'est anéantir l'idée de Dieu.

Nous avons dans le socialiste le plus profond qu'ait produit la philosophie moderne, un exemple frappant de la vérité de cette observation. M. Proudhon n'adore plus Dieu. Pourquoi? - Parce que Dieu étant subjectif, laisse une parcelle d'existence indépendante aux êtres créés. Accordez avec la philosophie une puissance subjective absolue à l'homme, et vous lui reconnaissez une force absorbante qui vous écrase.

<< Trouvant, dit M. Proudhon, par une démonstra» tion mathématique, qu'aucune amélioration dans l'é>>conomie de la société ne pourrait arriver par la seule >> puissance de la constitution native et sans le concours » réfléchi de tous; reconnaissant ainsi qu'il y avait une >> heure marquée dans la vie des sociétés, où le progrès >> exigeait l'intervention LIBRE de l'homme, j'ai conclu que >> l'impulsion de cette force spontanée, que nous appe>> lons Providence, n'est pas tout dans les choses de ce >> monde de ce moment, sans être athée, je cessai » d'adorer Dieu. >>

:

M. Proudhon aurait dû tout au plus cesser d'être panthéiste, puisqu'il reconnaît deux actions distinctes : celle de la force qu'il appelle Providence, et celle de la liberté humaine.

L'amour de Dieu pour les créatures et la large part qu'il fait à l'action libre de l'homme, n'affaiblissent pas la subjectivité de Dieu, en qui nous sommes, in quo vivimus, movemur et sumus. L'amour pour les créatures n'est pas en Dieu absolument objectif; loin de là, il est une complaisance pour Dieu lui-même, de même que l'admiration qu'excite la beauté d'une statue est un sentiment dont le statuaire est flatté.

Ce n'est pas tout; M. Proudhon a défini Dieu, la force universelle pénétrée d'intelligence...... qui parvient à se connaître dans l'homme seul et à dire moi. C'est donc dans l'homme que se trouve le moi divin. Comment M. Proudhon fait-il maintenant une distinction si frappante entre l'action divine et l'action humaine? comment a-t-il le courage de signaler une opposition si

radicale dans deux êtres, après avoir affirmé qu'ils étaient le même être? La logique aussi est donc anarchique chez les apôtres de l'an-archie.

La défaillance de la raison philosophique se produit ici sous la forme d'un orgueil incommensurable. L'homme ne s'égale pas seulement à Dieu, il se place au-dessus. Super astra Dei exaltabo solium meum (1). <<< Dieu se de vos adorations. Peut-être (2)! »

passera

Si cette réponse est ambigue, c'est parce que M. Proudhon se sent assez de miséricorde au cœur pour laisser vivre Dieu dans l'éternité des siècles. M. Proudhon, qui n'adore pas Dieu, invoque Satan.

Sophiste profond, mais présomptueux, dans sa fougueuse impatience, il détruit d'un trait ce qui lui avait coûté de pénibles efforts. On l'a soupçonné d'être un soldat de la cause contraire à celle dont il arbore l'étendard. On a eu tort; ses contradictions, plus saillantes que celles de ses rivaux, parce qu'il y a chez lui plus d'audace dans le génie, ses contradictions ne sont point un calcul, elles sont un châtiment de l'erreur.

Le ciel, la terre, les astres obéissent aveuglément à cette force de l'impulsion spontanée que nous appelons Providence. Une seule créature possède l'intelligence et le libre arbitre, et c'est la vue de cette créature grande, heureuse si elle veut l'être, qui provoque les blasphèmes de M. Proudhon; c'est son élévation même qui le porte à refuser son adoration à Dieu.

(1) Isaïe XIV.

(2) Confession d'un révolutionnaire, p. 132.

L

« C'est en l'homme seul que Dieu parvient à se connaître et à dire moi. » Et M. Proudhon ne fait pas attention que, pour blasphémer Dieu, il faut qu'il maudisse l'homme, qu'il se maudisse lui-même ! En effet, sans l'homme doué de liberté et d'intelligence, la création n'aurait aucun but. La nature muette et sans vie manquerait d'intermédiaire pour dire les louanges et la gloire dues à l'auteur de tant de magnificence. C'est donc la grandeur de votre sort qui vous étourdit, philosophe ingrat! Tud in æternum libertate deceptus (4).

L'homme, ineffable abrégé de toutes les merveilles créées et incréées, l'homme, image de Dieu, tient par son corps au monde matériel, et par son âme au monde intellectuel. Son corps occupe un espace imperceptible dans l'étendue de l'univers, son esprit embrasse l'immensité des cieux. Il entrevoit par sa propre expérience comment Dieu, pur esprit, contient le monde matériel, puisqu'il le contient lui-même d'une manière imparfaite dans son imagination. Que dis-je? son cœur est plus grand, son esprit plus vaste que l'univers, puisqu'il l'embrasse tout entier, puisqu'il le porte, pour ainsi dire, dans sa pensée. Il lui est donné ainsi de connaître sa propre grandeur, de pressentir le bonheur de sa destinée, et de comprendre qu'il est sur la terre pour adorer en esprit le Créateur au nom de la nature muette et visible. Toutefois, sa pensée ne prend possession du monde que contemplativement, et à une époque mesurée par le temps: Dieu ayant

(4) Saint Léon.

voulu qu'il ne perdit pas de vue sa faiblesse et sa dépendance, et qu'il ne s'égarât pas sur l'objet de son admiration, au point de se prendre pour un Dieu dans le délire de son orgueil.

I..

Il suffit d'une définition claire du panthéisme pour en inspirer l'horreur. L'unanime instinct de l'humanité le repousse avec indignation.

Dans la philosophie védanta, renouvelée par M. de Lamennais, le panthéisme est la communication de la divinité à tout ce qui existe; cette théorie n'admet qu'un seul être, Dieu; une seule parole, Dieu; un seul nombre, Dieu. Pour ceux qui la professent, il n'est plus de langues, puisqu'il n'est plus de rapports; il n'est plus d'idées, puisqu'il n'est plus d'êtres possibles. Le monde est une chimère.

Dans la philosophie de Kant, Dieu n'est que la forme de l'entendement humain. De là M. Proudhon affirme que Dieu ne se connaît que dans l'homme; de là, M. Cousin affirme que la vérité, la lumière ne dérivent que de la raison de l'homme. Où donc est la force de l'homme, où son intelligence, son action? Quelle est sa participation au mouvement des astres, au flux et au reflux des mers, au gouvernement admirable de l'univers qu'il voit, et de celui que son intelligence conçoit? Le soleil l'éclaire, et c'est lui qui l'a fait! Il connait les rapports des êtres, et c'est lui qui les a créés!

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