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>> plus d'adoration servile de l'homme à l'homme, plus » d'exploitation despotique (brillant Alcibiade, brise >> ton épée !); chacun de nous vit de la vie de Dieu, et >> tous nous communions en lui; donc plus d'antago>> nisme entre l'individu et la société, entre l'intérêt et le >> devoir. Harmonie, égalité, fraternité, voilà les trois >> vastes idées sociales qu'embrassait la définition don>> née par Enfantin de la divinité (1). » Au moins cela, c'est raisonner. Dieu est tout ce qui est, donc plus de guerre. La guerre, en effet, serait difficile quand on est seul. On pourrait néanmoins faire un petit reproche au père Enfantin. Le lien de la fraternité des hommes part de l'unité de substance : Dieu est tout ce qui est. Comment le père Enfantin a-t-il oublié les taupes et les polypes, si chers à M. Thiers? Unité de substance, je défie le père Enfantin de retrancher un seul animal de l'universelle fraternité; je défie M. Thiers d'en arracher un seul à la coinmune égalité. Le génie de Fourier a triomphé de ces scrupules; tous les êtres figurent dans son universelle association. « Dominant le temps et » l'espace, dit Victor Considérant, il a conquis et livré » à l'homme la connaissance de la constitution analo» gique des choses, la loi cosmogonique de l'unité du » monde. L'idée de l'unité universelle est adéquate à la >> raison, et les manifestations de cette idée dans tous >> les temps ont constitué les manifestations supérieu» res de l'intelligence humaine......... la solidarité de » toutes les vies individuelles, successives et hiérarchi

(1) LOUIS BLANC. Histoire de dix ans,

t. II, p. 355.

>> quement associées, constitue la vie universelle, l'être » vivant absolu. L'étude de l'unité universelle pour >> l'homme se divise en trois branches : unité de >> l'homme avec lui-même, unité de l'homme avec Dieu, >> unité de l'homme avec l'univers (1). » Il est vrai que j'ai de la peine à concevoir ces trois branches dans l'unité universelle. L'unité de l'homme avec lui-même n'est-elle pas la même que l'unité de l'homme avec Dieu, puisque l'homme est Dieu ? Et l'unité de l'homme avec l'univers n'est-elle pas la même que l'unité de l'homme avec Dieu, puisque Dieu est tout? Il est en général, je crois, très difficile de classer la pluralité dans l'unité (2). Il y a encore une autre petite chose qui m'embarrasse chez Fourier : c'est l'idée de succession associée à l'idée de vie absolue; l'idée de progrès, de conquête, me paraît encore incompatible avec l'idée d'être vivant absolu. Et l'idée de hiérarchie, comment trouve-t-elle place dans l'idée d'unité? Si l'on veut être indulgent pour ces petites contradictions, la raison du moins sere

(1) Exposition abrégée du système phalanstérien de Fourier, p. 62 et 63.

(2) Et la Trinité, allez-vous me dire, c'est la pluralité dans l'unité ! Oui, comme le même principe existant, le même principe connaissant, le même principe voulant sont la pluralité dans l'âme humaine. Je ne concevrais pas l'âme humaine, sans ce triple mode d'existence pourquoi le rejetterais-je dans Dieu? Mais comme le mode d'être suit l'être, cette triple faculté en Dieu est élevée à sa plus haute puissance, c'est-à-dire à l'infini, conséquemment à la dignité de personne. Aussi le catholicisme n'admet-il aucune différence dans les trois personnes comme hiérarchie; il admet seulement un ordre dans la conception humaine.

satisfaite de l'universelle association, l'unité des substances étant un lien assez fort de fraternité. Et s'il m'était permis, empruntant aussi ses axiomes à la métaphysique, de dire: Le mode de l'étre suit l'étre, je ruinerais l'idée de hiérarchie. En effet, le polype et la taupe sont substance divine; or, entre divin et divin, comment trouver un degré? Le divin, c'est l'être vivant absolu; comment y trouver l'idée de temps, de progrès, de succession? Dieu est le mal, s'est écrié M. Proudhon, vaincu par ces difficultés. Dieu est le mal, en effet, messieurs, pour toutes vos constitutions de fantaisie; car, avec Dieu, on a le malheur de trouver les choses constitutives toujours toutes faites! Je serais étonné que M. Thiers n'eût pas eu la même exclamation sur les lèvres, lorsqu'il s'est proclamé le propriétaire incontestable de son corps et du principe qui l'anime, et qu'il s'est donné le plaisir pour unique loi. M. Cousin a-t-il pu affirmer que la philosophie était l'unique autorité, sans penser que Dieu était le mal, l'idée de Dieu détruisant son affirmation? « Ce nom >> incommunicable, désormais voué au mépris et à >> l'anathême, sera sifflé parmi les hommes..... Dieu, >>> c'est le mal (1). » Dieu rectifie la raison, et la raison rectifiée comprend la sottise et le danger de vos utopies et l'ineffaçable ridicule de votre orgueil. Dieu est le mal, comme la lumière est le mal pour le voleur; mais le sifflet du voleur n'a jamais terni l'éclat du soleil. M. Thiers se laisse moins pénétrer par l'idée d'une sé

(1) Système des contradictions économiques.

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rieuse contradiction. Il n'est pas sombre dans ses blasphèmes. Le langage humain a des nuances si riches et si variées, qu'il met toujours en relief toutes les différences de tempérament. Qui ne reconnaîtrait son esprit souple et délié dans la légèreté avec laquelle il parle de Dieu ? M. Thiers se déclare peu métaphysicien, et il se fait un Dieu accommodé à ses goûts; il se fait un Dieu du hasard. Le hasard est la logique de ceux qui n'en ont pas. Le hasard ne résout rien, mais il passe sur toutes les difficultés, comme le chamois rapide sur les sommets élevés qui bordent des abimes. Le hasard trouve de la profondeur dans les phrases qui ne sont que sonores, et il donne un sens à ces propositions : l'unité dans la variété, la variété dans l'unité. Et, partant de cet axiome contradictoire, il va de l'homme au cheval et au chien; il établit des différences de fantaisie, sans égard à l'infranchissable barrière posée par la main divine entre la nature humaine et la nature des autres animaux, et même à l'infranchissable barrière de l'unité, s'il était panthéiste.

La raison est la science des rapports. Je doute que parmi ses lecteurs, M. Thiers en trouve d'assez peu raisonnables pour perdre l'estime d'eux-mêmes au point de se croire en rapport avec les autres hommes comme la fougère est en rapport avec le chêne, la fougère, dont l'éphémère existence n'a souvent d'autre destination providentielle que celle d'engraisser le sol qui enveloppe et nourrit les racines du dominateur majestueux de nos forêts. C'est dans les faits visibles

que M. Thiers cherche les lois de la création. Fut-il jamais une théorie plus désastreuse et plus atroce?

Quel est le crime qui ne trouve son apologie dans cette expression? Quel est le Deutz, le Judas, le tyran heureux, l'empoisonneur ou l'assassin qui vous refuse son adhésion? Entendez-vous leurs applaudissements? Les faits! quoi! tous les faits visibles et permanents sont la volonté divine! Et l'incendie de Rome, et la corruption de Sodome, et la lâcheté voluptueuse des Sardanapales, et l'orgueil cruel des Pharaons, et les vices du brillant Alcibiade, toujours prêt à sacrifier le monde entier à sa propre grandeur; et la foi punique et la férocité romaine, et l'impudicité païenne, et le culte de Millyta, sacrifiant au moins une fois dans leur vie l'honneur de toutes les femmes à la lubricité des prêtres des idoles, et la légalité du meurtre des enfants, des femmes et des vieillards; et les révolutions prétoriennes qui ruinent Rome en l'avilissant........... et la rapacité des préfets romains qui dévastent les provinces !... Tous ces faits visibles et permanents sont à vos yeux les lois de la création, les volontés de Dieu! Votre livre n'est donc qu'un brutal appel aux faits? Il ne s'agit que de vous broyer pour être Alcibiade au lieu d'être un crétin. L'humble fougère, dites-vous, n'aura jamais la force du chêne superbe. Voilà la raison par laquelle vous justifiez l'inégalité des conditions humaines, par laquelle vous sanctifiez tous les faits visibles? La différence du chêne à la fougère est la raison de la différence de l'homme à l'homme. Le malheur établit une différence spécifique dans la nature humaine! Et il se

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