Page images
PDF
EPUB

péché; donc le péché, c'est la misère et le crétinisme. M. Thiers et M. Proudhon, qui disent la même chose, ont obtenu tous les suffrages. L'un a obtenu les suffrages de la bourgeoisie, l'autre ceux des socialistes. Quant aux moyens d'arriver à la richesse, ils sont tous bons. Les faits visibles sont les volontés de Dieu; les lois de la création. En effet, une variété de l'unité n'est qu'un mode d'être de cette même unité, et à ce titre tout ce qui paraît est toujours la volonté de Dieu. Si Dieu est tout, ce qu'il y a dans chaque homme, intelligence et volonté, âme et corps, est substantiel à Dieu, et l'homme n'a ni ne peut avoir de supérieur. C'est bien l'avis de M. Thiers, puisqu'il affirme qu'il est le propriétaire incontestable de son corps et du principe qui l'anime.

L'unique loi de l'homme est le plaisir; son unique devoir, de renverser tout obstacle à la loi. Car cette unique loi, il ne peut pas plus la négliger qu'il ne peut, ainsi que Dieu, cesser d'être. Les gnostiques, aux premiers siècles de notre ère, et toutes les écoles sorties de leur sein, l'ont toujours entendu ainsi. Les Caïnites, dont Caïn fut le modèle et le patron; les Nicolaïtes, les Simonites, les Manichéens, les Valentiniens, enfin les Carpocratiens, qui furent aux autres gnostiques ce que M. Proudhon est aujourd'hui aux autres socialistes, proscrivirent toutes les lois comme contraires aux lois naturelles, à l'ordre légitime et divin. Les Carpocratiens disaient ce que M. Proudhon a répété. La justice est infâme; et ils ajoutaient : Plus

on se délivre de tout ce que le vulgaire nomme religion, plus on devient semblable à Dieu (1).

« Je me purifierai, dit encore M. Proud'hon; j'idéaliserai mon être, et je deviendrai le chef de la création, l'égal de Dieu (2). » Unité dans la variété.

Vous, messieurs, vous les égaux de Dieu! Oui, jusqu'à ce qu'une douleur d'entrailles vous rappelle, comme Antiochus et Agrippa, à la raison.

Par quelle étrange obstination refusez-vous de croire à la possibilité, au fait coupable de l'orgueil d'Adam, puisque vous le voyez à l'état de folie permanente chez ses descendants? L'état des enfants n'est-il pas une preuve de l'état du père? C'est une maladie chronique, héréditaire, à laquelle le temps a donné un caractère plus triste, plus odieux, plus incurable. Vous, égaux à Dieu! Ce n'est pas là encore le dernier terme des folies humaines. Vous faites du moins à Dieu l'honneur de le convier au banquet fraternel de l'égalité. En voici qui vous suivent de près et qui ne lui laissent pas la plus petite place. La philosophie (3) est donc la lumière de toutes les lumières, l'autorité des autorités, l'unique autorité. En effet, ceux qui veulent imposer à la philosophie et à la pensée une autorité supérieure, ma foi, seront mal reçus par l'unique autorité. Souvenezvous du sort de Bernardin de Saint-Pierre, quand il voulut invoquer une autorité supérieure à l'autorité

(1) Histoire du gnosticisme, t. II, p. 244, et Histoire de l'Église chrétienne, t. 1, p. 469.

(2) PROUDHON. Système des contradictions économiques. (3) COUSIN. Introduction aux discours, etc.

de la raison de messieurs de l'académie. Dieu une fois supprimé, qui empêchera M. Thiers de mettre la vile multitude des crétins et des idiots au dernier degré de l'échelle des êtres, tout près du cheval, du chien, de la taupe, du polype, du végétal, de la pierre, et même de les descendre jusqu'au néant?..... Ces inégalités furent probablement la condition de ce plan sublime qu'un grand génie a défini l'unité dans la variété, la variété dans l'unité (1). L'idiot, l'enfant, le vieillard tombé, l'esclave dégradé par le fouet, l'insomnie et l'excès du travail n'ont droit à rien, parce qu'ils désirent sans savoir (2); car je vais de l'homme au cheval et au chien; le chien n'a droit à rien, parce qu'il désire sans savoir (3). Le crétin ne sait pas plus que le chien; il y a entre eux unité de nature, unité dans la variété, et ils ne varient pas par la force intellectuelle. Pourquoi feriez-vous une différence entre eux? Vous laisseriezvous tromper par ces ennemis de la société qui ont abusé bien des âmes? La métaphysique de M. Cousin, bien contrairement à toutes les règles de la logique, il est vrai, conclut à la souveraineté de la raison en philosophie. Il est certain que cette souveraineté doit avoir son corrélatif en politique. M. Thiers nous la présente dans ses heureux Alcibiades. Aujourd'hui, les faits nous ont donné une autorité unique correspondant à l'unique autorité de la philosophie, ce qui amuse à peine la multitude respectée de nos Alcibiades.

(1) Du droit à la propriété, liv. 1er, ch. v, p. 46. (2) Id., p. 48 et 49.

(3) Id., ibid.

Sans être phénix, la vieille Gnose renaît continuellement de ses cendres. Nous l'avons reconnue autrefois sous les traits des Albigeois, des routiers, des hussites, des pastoureaux; nous la retrouvons aujourd'hui sous les noms des philosophes allemands, des éclectiques français, des communistes et des socialistes. Les gnostiques, dans tous les temps, sous toutes les formes et sous toutes les dénominations, ont eu la même métaphysique que MM. Thiers et Cousin : l'unité dans la variété; mais ils ont constamment tiré des conclusions contraires à celles de MM. Thiers et Cousin. Si la bourgeoisie veut donner raison à l'unique autorité de l'un ou se laisser captiver par le charme de l'autre, je ne m'y oppose pas; je dois pourtant prévenir mon lecteur que ces déductions contraires des mêmes principes scandalisent jusqu'aux philosophes et ébranlent la foi des rationalistes les plus déterminés. Toutes ces contradictions de la philosophie, disait J.-J. Rousseau, me prouvent l'insuffisance de la raison humaine. Et cette mauvaise pensée prend de la consistance dans les esprits, elle se glisse partout, serpit. Elle se répète tout haut dans le sanctuaire même de la philosophie, et fait pålir l'unique autorité sur son trône. Strauss ne s'avisait-il pas de dire que la raison humaine n'avait pu trouver avant Jésus le plus petit élément social ni de loin ni de près? Et M. Cousin lui-même, qui le croirait ! n'a-t-il pas déclaré que la raison avait emprunté à la religion la seule chose que la raison ait de raisonnable? La révolution française a emprunté au christianisme son

dogme de la fraternité (1). M. Thiers conseille à ses amis de parler le langage de la religion, ce qui prouve qu'il n'a plus qu'une foi chancelante dans l'autorité des autorités, la philosophie. Mais pourquoi n'a-t-il pas prêché d'exemple, pourquoi n'a-t-il pas renoncé à ce stupide axiome du panthéisme : l'unité dans la variété? I ne serait pas tombé dans ce fatalisme humiliant pour les crétins qui sont des hommes, et dans cet embarras d'inextricables contradictions avec lui-même. S'il eût admis avec la religion le péché originel, il n'eût pas eu à demander pardon de son péché actuel de blasphème. Il eût pu expliquer le mal autrement qu'en accusant Dieu de tyrannie. En relevant ces contradictions de deux écrivains éminents, je ne veux pas donner raison contre eux aux autres philosophes qui, en partant des mêmes principes, ont formulé des conclusions contradictoires à celles de MM. Thiers et Cousin; cependant, l'impartialité exige que j'examine de quel côté reste l'honneur de la logique. Je ne dirai qu'un mot pour le moment du père Enfantin et de Fourier: c'est assez pour faire face à MM. Thiers et Cousin.

«Dieu est tout ce qui est, dit le père Enfantin (c'est » bien là l'unité), donc plus de guerre entre les deux » principes, l'esprit et le corps, l'intelligence et la chair. >> Nul de nous n'est hors de Dieu, mais nul de nous » n'est (seul) Dieu (quelle atteinte portée à la souverai» neté de la raison en philosophie!) donc plus d'escla»ves, plus de réprouvés (voilà les crétins sauvés);

(4) COUSIN. Introduction aux discours, etc.

« PreviousContinue »