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fureurs de 93 (1). Vraiment, ne dirait-on pas que l'homme a été créé pour obéir passivement, soit qu'il serve Antoine poursuivant Cléopatre, soit qu'il seconde Alexandre faisant assassiner Parménion, ou tuant de sa main Clitus, qui lui avait sauvé la vie. Les Hottentots ont-ils donc bien tort de ne vouloir ni penser ni raisonner, la pensée étant, suivant eux, le fléau de la vie, sans doute parce qu'elle est le miroir de nos humiliations?

En se séparant de l'être infini, origine et centre de l'harmonie, l'homme a penché vers le néant. Là a été son malheur comme son iniquité. Sa grandeur et sa raison ont été diminuées proportionnellement à l'infériorité du centre auquel il s'est attaché, car il est objectif; il lui faut une idée, une parole externe dont il se nourrisse, et sa grandeur dépend de la grandeur de l'idée avec laquelle il s'identifie. C'est ce qui explique comment notre déchéance est le déplacement, partant le désordre dans nos affections. L'homme a passé du bien de l'esprit au bien de la chair, du bien intelligible au bien sensible. Il s'est fait matière, préférant au souverain bien le dernier des biens. Ce trait est visible,

(4) Je ne prétends point incarner la révolution dans un homme. La révolution est la marche de l'idée, et d'une idée que je ne crois pas humaine. Mais l'odieux des circonstances qui se groupent autour de l'idée et en compromettent la marche; les meurtres, les ruses, les perfidies, les crimes, les vengeances, l'insatiable ambition, sont bien le fait de l'homme, et ce n'est que cette part que chaque homme a jetée dans la balance des destinées humaines que je lui attribue ici en syncrétant son caractère propre et historique.

surtout chez les enfants qui commencent par aimer les corps. Assurément cet amour n'est ni dans l'ordre des idées de Dieu ni dans le plan primitif de notre création; notre nature est une nature intelligente et supérieure à tous les biens sensibles. En vain voudrionsnous essayer de nier la fausseté de notre position, nous la sentons, elle se trouve au-dedans de chacun de nous: nos inclinations, comme une pesanteur sans lois, nous emportent où nous ne voulons pas aller. Nous conservons de notre état primitif tout juste ce qui est nécessaire pour apprécier le malheur de notre état actuel (1).

Dans ce siècle fécond en théories extravagantes comme en révolutions stériles, on a voulu, pour expliquer l'homme, établir sa dualité et son autonomie. Le moment de montrer l'absurdité de ces systèmes n'est pas venu. Je remarquerai seulement que Jean-Jacques Rousseau n'était guère plus raisonnable, lorsqu'il af¬ firmait que le citoyen vertueux était celui qui conformait sa volonté à la volonté générale. L'abnégation individuelle n'est pas autre chose que le suicide moral. A ce compte, Job, dans la terre de Hus; Loth, à Sodome; Mardochée, à la cour d'Assuérus; saint Jean-Baptiste, à celle d'Hérode, n'auraient eu aucune vertu! Aristide et Socrate auraient été de mauvais citoyens d'Athènes. Il faudrait flétrir la dignité de Thraséas à Rome, au milieu du sénat avili et tremblant sous l'œil de son maître. Il faudrait repousser comme un scandale la

(4)

Ma grandeur apparaît au sein de ma misère.

(Traduction de DERZAVINE par Eichoff.)

sublime réponse de Thomas Morus, prié par ses amis de partager l'opinion du peuple et du parlement anglais, et payant de sa tête l'honneur de son courage et de son refus!

Dans un siècle de corruption et d'avilissement général, l'office de la vertu fut de proscrire la doctrine de l'affranchissement universel et de condamner à mort son auteur, qui rompit en visière avec l'orgueil et la cupidité du siècle! il ne manquait plus que des autels et l'apothéose aux déicides! La conséquence d'un faux principe ne peut pas être poussé plus loin dans les faits. Ce sera aussi le dernier terme de mes déductions. Je ne veux point autrement anticiper. Mon unique but dans ce chapitre a été d'établir, comme point de départ et comme point d'appui, que l'humanité est déchue, puisqu'elle est, en dehors de tous ses éléments, dans un état convulsif et violent; que cette altération se retrouve dans la vie sociale comme dans la vie individuelle, dans les formes de gouvernement, dans l'esclavage des peuples qui n'a fait que changer de nom, dans l'éternel brigandage qu'on appelle la guerre, dans les religions, qui toutes, à l'exception du christianisme, ont eu les mêmes origines, les mêmes rites, le même objet, dans les théories et les systèmes philosophiques, où quelques vérités difficiles à discerner, et pour le discernement desquelles on n'a aucune règle de certitude, sont à peine mêlées à mille extravagances, dans la corruption des peuples et surtout dans l'impuissance où l'homme est de se relever par lui-même. Je crois cette démonstration complète, absolue, irré

fragable, et j'espère établir avec la même évidence, la même irréfragabilité, que le dogme de la déchéance aboutit, dans l'ordre des idées sociales, à l'idée de l'affranchissement universel par la réhabilitation individuelle, comme, dans l'ordre des idées religieuses, il a abouti à l'idée de la rédemption universelle par la sainteté personnelle. Levabit signum in nationes et congregabit profugos (1).

(4) ISAÏE, 11, 12.

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CHAPITRE III.

OBJECTIONS: OPINIONS DIVERSES.

Quæ sursum sunt sapite.
Ad. Coloss., c. III, v.2.

<«< Aux prêtres catholiques d'enseigner et de démon>> trer l'existence de la Trinité, du péché originel, » dit M. E. de Girardin (1).

Soit! mais cette question peut-elle rester étrangère au publiciste? Non. Car que veut le publiciste? Définir la condition sociale convenable à l'homme ; il est donc nécessaire que le publiciste commence par étudier profondément la nature de l'homme, s'il veut lui indiquer le milieu qui lui convient. Placé à ce point de vue, combien M. E. de Girardin n'eût-il pas rendu de services à la cause de l'humanité? Esprit éminent et po

(1) La politique universelle, p. 3.

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