Page images
PDF
EPUB

tion un pareil caractère d'universalité et de perpétuité ? La vérité seule peut donner à un fait un crédit universel pendant six mille ans. Pythagore, disciple de Zoroastre, en constatant qu'une faute première était la cause de l'altération de notre nature, a cherché à l'expliquer par la transmigration successive des âmes dans différentes espèces de corps. Platon a répété ce frivole système, qui n'explique rien, mais qui concourt à attester l'unanime croyance d'une faute originelle. Virgile se rapproche encore plus de la vérité (1). Ovide (2) et Horace (3) semblent avoir connu nos livres saints, tant

(1) Ante Jovem nulli subigebant arva colonë;

Ne signare quidem aut partiri limite campum
Fas erat; in medium quærebant; ipsaque tellus
Omnia liberiùs, nullo poscente, ferebat.

(Géorg., livre 1.) (2) Aurea prima sata est ætas, quæ vindice nullo Sponte sud, sine lege, fidem rectumque colebat.

(3)

Ipsa quoque immunis, rastroque intacta, nec ullis
Saucia vomeribus, per se dabat omnia tellus.
(Métam., VIII.)

Audax lapeti genus

Ignem fraude malá gentibus intulit
Post ignem ætheria domo

Subductum, macies et nova febrium
Terris incubuit cohors,

Semotique prius tarda necessitas
Lethi, corripuit gradum.

(Od. m, liv. 1, v. 2 et seq.)

Domitosque Herculea manu

Telluris juvenes, unde periculum
Fulgens contremuit domus

Saturni veteris.......

(Od, xu, liv. 11, v. 6 et seq.)

leur sentiment sur la faute originelle est clair et lucide. Lucrèce, que n'entraînent pas les préjugés religieux, n'est pas moins précis (4). Le langage de Pline n'est ni moins pittoresque ni moins poétique, et il est profond comme une inspiration de la foi (2). Les livres Sibyllins, dont l'origine se perd dans l'obscurité de la fable, parlent de la création de l'homme, de sa dignité originelle, en termes qui n'ont rien d'équivoque, et plus clairement encore de sa chute provoquée par le serpent (3). Mais ce ne sont pas seulement les philosophes de l'antiquité, ce sont les philosophes de tous les âges qui ont affirmé la déchéance humaine. On lit dans Montaigne : « Il me faut trouver la cause de notre cor>> ruption, il me faut trouver par où elle s'est insinuée » dans notre nature, et par quels moyens nous nous >> sommes si étrangement éloignés de nos conditions pre» mières. Je viens d'arrêter que Dieu fit l'homme d'une » toute autre sorte et tel qu'il devait être..... C'est notre

(1) Et tellus nitidas fruges vinetaque læta

Sponte sua primùm mortalibus ipsa creavit,
Ipsa dedit dulces fœtus, et pabula læta; ·

Quæ nunc vix nostro grandescunt aucta labore ;-
Conterimusque boves et vires agricolarum.

(LUCRET., liv. II, v. 4,457 et seq.)

(2) Animal cæteris imperaturum à suppliciis vitam auspi-1 catur, unam tantum ob causam quia natum est. (Hist. nat., livre vII.)

(3) Os monos esti theos

......

Anthropon plasthenta theou palamais eni autais
Ou ke planésen ophis doliós, epi moiran aneltheiv
Toû thanatou, gnósin te labein agathou te kakou te.

» volonté qui de soi s'est dévoyée, et par sa franche » volonté, de la droite carrière, et précipitée au gouffre » de tout mal et de tout vice (1). » Selon Bayle, « l'âme de l'homme a été créée dans l'ordre, aussi bien que les autres choses, par un être infiniment parfait ; et si elle n'y est plus, c'est parce qu'abusant de sa liberté, elle est tombée dans le désordre (2). » Locke, établissant les justes conséquences d'une révélation prouvée, dit très énergiquement: La parole de Dieu est la démonstration de tout ce qu'il révèle (3). « Aurea prima sata est ætas, » est la devise de toutes les nations, » a dit Voltaire (4)

« L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux (5). »

:

M. de Humboldt a retrouvé les mêmes traditions en Amérique, et l'on vient tout récemment de rapporter de la Pensylvanie l'histoire de la chute du premier homme, telle, pour le fonds, qu'elle est racontée par Moïse.

Le livre enfin le plus remarquable qu'ait produit notre dernière révolution, le Système des contradictions économiques, par M. Proudhon, à qui il ne manque qu'un peu plus de logique pour être le plus éminent catholique peut-être de notre époque, est un livre qui semble n'avoir été fait que pour montrer invinciblement ou la

(4) Théologie naturelle.

(2) Dict homme.

(3) 3o lettre de Locke à Stilling, fleet.

(4) Essais sur les mœurs.

(5) LAMARTINE. Méditations poétiques.

déchéance humaine ou l'impuissance divine. Cette seconde affirmation est celle qu'adopte M. Proudhon, mais elle est repoussée par le sens commun et par l'irréfragable décision de la conscience humaine. L'énormité de l'orgueil actuel me fait comprendre l'écart de l'orgueil dans une condition meilleure. Et cet écart de l'orgueil humain, l'univers entier l'a compris, la mélancolique et mystérieuse Asie, le dur Africain, l'impassible habitant de l'Amérique, le sauvage enfant des forêts de l'Océanie, l'entreprenant Européen, tous les peuples nous présentent l'image de l'innocence et de la félicité assises au berceau du genre humain et souriant à l'humanité. L'humanité est souillée par une faute : l'innocence et la félicité disparaissent pour toujours de toutes les parties du globe, et il ne sort du sein des peuples qu'un écho répétant et la félicité perdue et le malheur présent.

III.

Les mille voix du genre humain s'élèvent donc de tous les points du globe et attestent d'un concert unanime la déchéance de l'homme. Histoire, poésie, philosophie, traditions, superstitions, mosaïsme et idolâtrie, mahométisme et catholicisme, tout la proclame.

De tant de religions différentes qu'il y a dans l'univers, il n'en est pas une seule qui n'enseigne notre déchéance. C'est peut-être le seul point qui soit commun à toutes. En sorte que si ce fait est faux, il n'y a

pas une seule religion vraie sur la terre. Pour autoriser l'homme à prétendre qu'il est dans l'intégrité de sa nature, il faut renverser toutes les idées reçues; prouver qu'il est enfermé dans un cercle infranchissable d'erreurs, et que l'erreur dont il ne peut sortir est son état normal.

Une impression générale de terreur répandue sur toute l'humanité nous pénètre et nous persuade que le bonheur qui nous vient naturellement fait fausse route, comme la récompense accordée au criminel. Chaque événement prospère nous fait craindre en retour une peine vengeresse, et, pour désarmer le juste. courroux du ciel, nous nous punissons souvent nousmêmes de la félicité qui nous arrive, tant est profondément gravé dans nos cœurs le sentiment de notre indignité.

Sempronius fait brûler sur les autels les riches dépouilles qu'il a prises en Sardaigne. Paul-Émile offre à Mars et à Minerve le butin fait en Macédoine; Alexandre jette dans l'Océan indien ses vases d'or les plus magnifiques, et il offre à Thétis un Océan de sang humain, égorgeant sur les autels des milliers de victimes pour se faire pardonner sa fortune sur les champs de bataille. Le tyran Polycrate se désespère parce que l'émeraude qu'il avait jetée à la mer, retrouvée dans le ventre d'un poisson, lui apprend l'inutilité de ses efforts pour se punir de son bonheur. Les Corybantes, les Ménades, imités plus tard par les Mahométans, se déchiraient le visage et le corps pour apaiser le courroux du ciel. Telle était l'idée effrayante qu'ils avaient

« PreviousContinue »