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LE TARTUFFE

OU

L'IMPOSTEUR

COMÉDIE

Les trois premiers actes de cette comédie ont été représentés à Versailles pour le Roi le 12° jour du mois de mai 1664.

Les mêmes trois premiers actes de cette comédie ont été représentés, la deuxième fois, à Villers-Cotterets, pour S. A. R. MONSIEUR, frère unique du Roi, qui régaloit Leurs Majestés1 et toute la cour, le 25° septembre de la même année 1664.

Cette comédie, parfaite, entière et achevée en cinq actes, a été représentée, la première et la seconde fois, au château du Raincy, près Paris, pour S. A. S. Monseigneur le Prince, les 29° novembre 1664 et 8° novembre de l'année suivante 1665, et depuis encore au château de Chantilly, le 20 septembre 1668*.

La première représentation en a été donnée au public dans la salle du Palais-Royal, le 5 août 1667, et le lendemain 6o elle fut défendue par Monsieur le premier président du Parlement jusques à nouvel ordre de Sa Majesté.

La permission de représenter cette comédie en public sans interruption a été accordée le 5 février 1669, et dès ce même jour la pièce fut représentée par la troupe

du Ror3.

1. La Reine mère et le Roi vinrent successivement à VillersCotterets pendant le séjour qu'y firent en septembre Monsieur et Madame; mais, si l'on en croit la Gazette, aucune des Majestés n'assista à la représentation de Tartuffe. Sur l'absence du Roi cependant il reste un doute: voyez la Notice, ci-après, p. 290.

2. Sur une autre représentation, probablement encore du Tartuffe, donnée en 1668 chez Condé, à Paris, voyez ci-après, p. 293. 3. Cette petite notice historique est imprimée sur la page de titre et son verso, dans l'édition de 1682.

NOTICE.

Les éditions des œuvres de Molière ont jusqu'ici placé Tartuffe après les comédies représentées pour la première fois en 1665, en 1666 et au commencement de 1667. Toutes, avant celle de 1734, l'avaient même fait précéder des trois comédies jouées en 1668, Amphitryon, George Dandin et l'Avare. C'est que les premiers éditeurs n'ont voulu dater l'acte de naissance de Tartuffe que du jour (5 février 1669) où lui avait été ouverte la libre carrière des représentations suivies; il a paru aux autres qu'il était vraiment né dès le 5 août 1667, ayant pu se montrer alors au grand public, quoique pour disparaître aussitôt.

Ces dates de 1669 et de 1667, sous lesquelles on a tour à tour fait prendre rang à Tartuffe, sont également arbitraires et inexactes. Pour l'étude du développement du génie de Molière, il n'est pas indifférent de constater dans quel ordre ses productions se sont réellement succédé. Il est surtout fâcheux de ne pas clairement établir que Tartuffe n'a nullement suivi, mais a comme engendré Dom Juan, qui, plusieurs mois après cette pièce, en a redoublé les coups, et qui porte la trace des luttes soutenues par le poëte contre les persécutions. Deux exemples montrent bien l'inconvénient de l'ordre adopté dans les éditions de Molière. Cailhava, parmi les beautés les plus frappantes de Dom Juan, cite « le portrait si sublime de l'hypocrisie (acte V, scène 11) nous préparant d'avance à la perfection du Tartuffe1. » La Harpe, dont l'anachronisme est encore plus clair, a dit : « Le morceau sur l'hypocrisie an

I. Études sur Molière, p. 126.

nonçait.... l'homme qui devait bientôt faire le Tartuffe1. » Il ne faut plus induire les critiques en de pareilles erreurs.

La vraie date de Tartuffe est celle de 1664. C'est avant la fin de cette année qu'il fut non-seulement conçu, mais écrit, lu et même joué, d'abord en partie, puis tout entier, peu importe devant quels spectateurs. Si, depuis les représentations ou les lectures de 1664 jusqu'aux représentations de 1669 et jusqu'au jour de l'impression (23 mars de la même année), il reçut dans son texte des modifications, il ne s'en était pas moins fait connaître tout achevé, «<parfait et entier, » comme dit l'édition de 16822, dans une représentation particulière, en novembre 1664. Les retouches postérieures n'ont pu le changer essentiellement.

En dehors même de la question du classement chronologique des pièces de Molière, les années 1664, 1667 et 1669, qui se disputent l'honneur de la vraie première représentation de Tartuffe, sont dignes d'attention. Elles marquent les destinées diverses, les luttes, puis le triomphe d'un chef-d'œuvre qui est un grand événement dans l'histoire littéraire d'abord et avant tout, mais aussi dans l'histoire des mœurs, de l'esprit public et de l'esprit du gouvernement sous Louis XIV. Les courtes lignes placées sous le titre de Tartuffe dans l'édition de 1682, et que la nôtre reproduit, indiquent avec précision toutes les phases du combat dont sortirent victorieux le courage et l'adresse de Molière. Mais il faut suivre ces vicissitudes moins sommairement, et les raconter avec un développement qui les explique.

A Versailles, le lundi 12 mai 1664, avant-dernier jour des fêtes décrites dans la relation des Plaisirs de l'lle enchantée, Molière, qui y avait prodigué son zèle, donna en spectacle au Roi et à sa cour les trois premiers actes d'une pièce nouvelle, qui était Tartuffe3.

Fut-ce une surprise pour Louis XIV, un coup d'audace inattendu que le poëte, confiant dans sa faveur, fit tout à coup éclater? On aurait de la peine à croire que l'usage ne fût pas de soumettre, sinon au Roi lui-même, tout au moins aux or

1. Lycée ou Cours de littérature, seconde partie, livre premier, chapitre vi, vers la fin de la section II.

2. Voyez au revers du titre, ci-dessus, p. 270.

3. Voyez ci-dessus, p. 231 et 232, et ci-après, p. 275, note 2.

donnateurs des fêtes, les pièces nouvelles qu'on y représentait. En tout cas, est-il probable que sans avoir, de façon ou d'autre, pressenti les dispositions de Louis XIV, Molière ait inopinément introduit, au milieu des divertissements commandés, une œuvre d'une telle portée? Une parole de Brossette semble, au premier abord, décisive : « Quand Molière composoit son Tartuffe, il en récita au Roi les trois premiers actes. » Brossette s'exprime ainsi dans les pages curieuses et un peu trop négligées jusqu'ici, où il ne fait, dit-il, que reproduire un long entretien qu'il avait eu avec Boileau, à propos de deux vers de l'épitre vi1. Nous ferons usage de toute la suite de cet entretien, qui s'autorise du nom de Boileau; mais on regrette de n'avoir pas reçu plus directement un témoignage si considérable, auquel celui qui nous l'a transmis ne semble pas avoir laissé toute sa clarté et toute sa précision. Ainsi, dans les mots que nous venons de citer, la précision manque. Que veut dire cette récitation? La langue du temps permet d'hésiter entre le sens d'une lecture et celui d'une représentation. Brossette fait peut-être plutôt penser à ce dernier en continuant ainsi : « Cette pièce plut à Sa Majesté, qui en parla trop avantageusement pour ne pas irriter la jalousie des ennemis de Molière et surtout la cabale des dévots. M. de Péréfixe, archevêque de Paris, se mit à leur tête et parla au Roi contre cette comédie. Le Roi, pressé là-dessus à diverses reprises, dit à Molière qu'il ne falloit pas irriter les dévots. >>

L'exposé des faits marche un peu vite. Comprendrait-on cependant que, dans ce rapide résumé de ses souvenirs, Boileau eût tout à fait omis la représentation donnée le 12 mai à Versailles? ce qui serait le cas si, par les mots : « récita les trois premiers actes,» il a voulu marquer une lecture au Roi; et ne vaut-il pas mieux penser qu'ils doivent s'entendre de cette représentation, non d'une lecture préalable? Ajoutons que, si

1. La note de Brossette, rédigée en 1702, est extraite d'un manuscrit autographe de la Bibliothèque nationale, sur lequel nous en avons revu le texte; elle a été donnée par M. A. Laverdet à la suite de la Correspondance entre Boileau Despréaux et Brossette (1858), p. 563 et suivantes.

a Fonds français, no 15 275, fos 89 vo à 91 ro.

MOLIÈRE. IV

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