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choses de ce monde, les uns soutenoient que ces monstres étoient vivants, et que des Biscayins les avoient pris à la dernière pêche et les avoient amenés au Roi; d'autres disoient que c'étoient des poissons que l'on avoit jetés, il y a peu de temps, dans le Rond d'eau, et qui étoient devenus assez grands pour servir en cette occasion; et ces derniers appuyoient leur opinion en disant que

Sans se donner beaucoup de peines,

L'on fait aux champs des rois de fertiles moissons;
Et leurs eaux sont toujours si bonnes et si saines,
Que les moindres petits poissons

Y deviennent dans peu de fort grosses baleines.

Alcine et ses compagnes s'étant approchées du bord du lac, vis-à-vis de Leurs Majestés, firent le récit que vous trouverez imprimé, et s'en retournèrent après du côté de l'Ile enchantée, où étoit le palais, qui s'ouvrant à leur arrivée, surprit agréablement les yeux par les beautés d'une architecture si merveilleuse, que l'on eût cru que c'étoit de l'invention de Bigarrani', si l'on n'eût été prévenu que c'étoit un enchantement d'Alcine. Alors les concertants redoublèrent leurs accords, et l'on vit des géants d'une prodigieuse grandeur, qui firent la première entrée du ballet. De la manière qu'ils dansoient et qu'ils étoient chaussés, il sembloit qu'ils eussent appris à danser à Venise, et qu'ils se fussent servis d'un cordonnier de quelque gentille donne. L'imprimé vous instruira du détail de toutes les entrées, et vous apprendra que la sage Melisse ayant apporté au brave Roger l'anneau fatal aux enchantements, afin de le délivrer et les autres chevaliers, Alcine parut comme une désespérée, et lors un grand coup de tonnerre suivi d'une infinité d'éclairs marqua la ruine de son palais, qui fut embrasé par un feu d'artifice. Jamais l'on n'a vu d'incendie plus agréable; l'air, la terre et l'eau étoient couverts tantôt de fusées volantes, et tantôt de gerbes de feu; tantôt mille serpenteaux s'élançoient de l'Ile sur les spectateurs, et il y en eut tel qui tombant parmi des dames fut assez indiscret pour se glisser et crever en des endroits fort sujets au feu.

Voilà quelle fut la fin de l'aventure, et des plaisirs de l'Ile enchantée d'Alcine. Et si vous desirez savoir mon sentiment sur les beautés de ces trois différentes journées, je vous dirai ce que je dis à Monsieur, lorsqu'il me fit l'honneur de me demander ce qu'il m'en sembloit. Je lui répondis que j'avois trouvé la première journée surprenante, la seconde galante et agréablement diversifiée,

1. Le nom de Vigarani est ainsi altéré dans l'original.

la troisième ingénieuse, et toutes trois très-magnifiques et tout à fait royales. Et certes M. le duc de Saint-Aignan doit être bien satisfait d'avoir été l'auteur d'une fête si belle et si bien conduite; car enfin jamais rien ne se passa avec tant d'ordre; et pour prévenir même la confusion que la curiosité du peuple auroit pu apporter en passant par-dessus les murailles du parc, on les avoit bordées de soldats des Gardes, et M. le maréchal de Gramont avoit fait tendre deux tentes, sous lesquelles on servit deux tables pour les principaux officiers, tandis que l'on donnoit avec profusion du vin au reste des soldats. Vous savez si ce maréchal est magnifique en tout temps et s'il sait bien faire l'honneur d'une fête, et je pense que vous vous souvenez encore de quel air il soutenoit en Allemagne la dignité de l'ambassade, et la gêne' cruelle que sa splendeur donnoit aux ambassadeurs étrangers qui la vouloient copier. Le Roi, pour continuer à divertir les Reines, fit succéder aux plaisirs du palais d'Alcine celui de la course des Têtes, qui se fit dans les fossés du château; il remporta par son adresse le prix que tous les vœux de l'assemblée lui donnoient, et il le redonna sur-lechamp à courre aux chevaliers qui avoient eu l'honneur d'être de sa quadrille; et le duc de Coaslin, qui le gagna, reçut le diamant de la main de la Reine. Il n'est pas nécessaire que je vous exagère la valeur du présent vous savez bien que Sa Majesté n'en fait que de grands.

:

Parmi ceux qu'elle nous a faits

En échange de cette gloire

Qu'apportoient à l'État la guerre et la victoire,
Elle nous a donné la Paix.

En se donnant, cette adorable Reine

A fait présent au Dieu de Seine

Du plus riche trésor que l'Espagne eut jamais :

Le Ciel par cette souveraine

Nous a comblés de biens; car pour tout dire enfin,
Et Louis et l'État ont eu d'elle un Dauphin,

Qui sera de cette couronne

Quelque jour l'infaillible appui;

Car tout petit qu'il est, l'on voit dans sa personne
De quoi donner un jour un Dauphin comme lui.

Mais afin que les dames, après avoir été royalement régalées pendant leur séjour à Versailles, ne s'en retournassent point sans emporter quelques faveurs du Roi, il fit une magnifique loterie, dans laquelle il y avoit autant de billets heureux que de dames; et la fortune, qui se mêle ordinairement des grâces qui se font à la cour,

1. Et que vous vous souvenez encore de la gène....

fut l'arbitre de cette galanterie, qui fit confesser à tout le monde que le Roi n'est pas moins l'âme des plaisirs de la cour, que celle des conseils qui font prospérer son empire. Car enfin, Monsieur, comme l'âme, si nous le savons ou si nous ne le savons pas, est toute dans tout le corps et toute dans chacune de ses parties, à voir agir le Roi dans les affaires importantes à la gloire et au salut de l'État, à voir son assiduité dans les conseils, l'on diroit qu'il auroit renoncé à tous les plaisirs où sa jeunesse le peut inviter; et quand il donne quelques heures de son temps aux divertissements et à la joie, il le fait avec une application qui feroit dire aux dupes qui ne le connoîtroient pas qu'il a laissé à quelque autre le soin de ses affaires. Grâce à Dieu, nous nous apercevons chaque jour de mieux en mieux qu'il est le grand et le maître ressort qui fait mouvoir la machine, qu'il est, quand il veut, impénétrable à ceux qui l'approchent de plus près, en un mot, qu'il est impossible de s'acquitter mieux qu'il fait des devoirs d'un roi, politique, jeune, puissant et fortuné. En vérité l'on peut bien dire qu'heureux est celui qui trouvera quelque occasion de servir un monarque si parfait, plus heureux qui le sert, et plus heureux encore qui l'a toujours servi. Je vous connois, Monsieur, et je suis assuré que ce n'est pas la curiosité de voir les marmousets de l'antiquité et quelques vieux hiéroglyphiques, gravés sur des pyramides à demi rompues, qui vous a fait entreprendre le voyage où vous êtes embarqué, mais le desir d'observer attentivement les cours étrangères. Voyez-en tant qu'il vous plaira, examinez avec soin la prudence et la conduite des autres princes: je suis très-assuré qu'à votre retour vous serez de mon avis, et que vous direz avec moi :

Que l'on propose sur la terre
Un prix à disputer entre les potentats
Qui savent mieux gouverner des États
Et dans la paix et dans la guerre,

Que par des charmes inouïs
Une troupe de rois s'assemble:

Je gage pour le seul Louis

Contre tous les autres ensemble.

DE MARIGNY.

A Paris, le 14 mai 1664.

III

INSCRIPTIONS DES PLANCHES D'ISRAËL SILVESTRE1.

On connaît de ces planches trois états, dont on peut voir les différences dans le Catalogue.... de l'œuvre d'Israël Silvestre par M. Faucheux, p. 303. Elles se trouvent en premier et en troisième état dans la bibliothèque de M. Ambroise Firmin-Didot (voyez ci-dessus, p. 99), en second dans les in-folio de 1673 de la Bibliothèque nationale et de M. le baron James de Rothschild.

Planche du FRONTISPICE.

Au-dessous d'une « Vue du château de Versailles » Les Plaisirs de l'Ile enchantée, ou les Fêtes et divertissements du Roi à Versailles, divisés en trois journées et commencés le 7me jour de mai de l'année 1664. — Au bas de ce titre, qu'encadrent les écus des chevaliers, la note suivante: « Ces écus chargés de devises sont ici placés selon le rang que les chevaliers tenoient dans la marche, et non pas suivant leurs qualités. »

Planches de la PREMIÈRE JOURNÉE :

Marche du Roi et de ses Chevaliers avec toutes leurs suites autour du camp de la course de bague, représentant Roger et les autres Chevaliers enchantés dans l'Ile d'Alcine.

2

Comparse du Roi et de ses Chevaliers avec toutes leurs suites dans le camp de la course de bague, pendant l'ouverture de la fête faite par les récits d'Apollon et des quatre Siècles, assis sur un grand char de triomphe. Course de bague disputée par le Roi et ses Chevaliers, représentants Roger et les autres Chevaliers enchantés dans l'Ile d'Alcine.

Comparse des quatre Saisons avec leurs suites de concertants et porteurs de présents, et de la machine de Pan et de Diane avec leur suite

1. D'après les épreuves jointes à l'exemplaire de l'édition de 1664 qui appartenait à M. Ambroise Firmin-Didot: voyez la Notice, p. 99. Dans cet exemplaire les planches sont chacune à sa place, indiquée sur l'estampe par le chiffre de la page. Dans les deux in-folio que nous avons vus de 1673, toutes les planches de la Première journée sont réunies à la suite de la relation de cette journée, et l'ordre des planches 1 et 2 est interverti. Ce qui explique que, dans ces deux volumes, les estampes soient ainsi placées ensemble à la suite de la Ire journée, au lieu d'être chacune à sa page, c'est que ces estampes y sont du second état, dans lequel manque l'indication des pages auxquelles les gravures se rapportent, indication qu'on lit, nous venons de le dire, sur les planches de troisième état de l'exemplaire Didot.

2. Il faut sans doute entendre ici par comparse (de l'italien comparsa, apparence) la disposition des groupes formés par le Roi et les autres personnages qui venaient de faire leur entrée dans le camp.

de concertants et de bergers portants les plats, pendant le récit des uns et des autres devant le Roi et les Reines.

Festin du Roi et des Reines avec plusieurs princesses et dames, servi de tous les mets et présents faits par les Dieux et les quatre Saisons.

Planche de la SECONDE JOURNÉE :

Theatre fait dans la même allée, sur lequel la comédie et le ballet de la Princesse d'Élide furent représentés.

Planches de la TROISIÈME JOURNÉE :

Théatre dressé au milieu du grand étang, représentant l'Ile d'Alcine, où paroissoit son palais enchanté sortant d'un petit rocher, dans lequel fut dansé un ballet de plusieurs entrées, et après quoi ce palais fut consumé par un feu d'artifice représentant la rupture de l'enchantement après la fuite de Roger.

Rupture du palais et des enchantements de l'Ile d'Alcine, représentée par un feu d'artifice.

IV

CHANSON DE MORON, CHANTÉE PAR MOLIÈRE

A la scène n du IVe intermède de la Princesse d'Élide.

(Voyez ci-dessus, p. 194 et note 2.)

Nous reproduisons ci-après, pour cette musique de Lully, d'abord la copie de Philidor (p. 123 et 124 du n° 47)', puis la copie qui est au tome IV du recueil en six volumes appartenant à la Bibliothèque nationale (feuillet 17 r° et vo). Cette dernière est sans doute moins fidèle; elle offre d'assez grandes différences pour la première reprise; la manière dont les premiers mots y ont été accentués satisfait mieux, il est vrai, à la prosodie, mais le correcteur oubliait que Moron est un chanteur ridicule qui se hasarde pour la première fois; marquer au début sa maladresse était tout naturel dans un air comique; c'est également bien à tort qu'on y a rempli la pause expressive indiquée par Philidor à la neuvième mesure. La copie qui est au tome A (p. 332) du recuei en deux volumes de la Bibliothèque nationale est conforme à la copie du tome IV, sauf deux légères variantes, qui ont été gravées en plus petites notes, p. 266 et p. 267, au-dessus des mesures auxquelles elles se rapportent.

1. Voyez à la Notice, p. 100.- Philidor n'employait pas le bécarre dans sa notation; on trouvera (p. 264 et 265) aux deuxième et cinquième mesures de la seconde reprise des dièses pour annuler le bémol qui est à la clef, et qui demeure annulé partout, jusqu'à l'avant-dernière mesure, où il est récrit. La croix qui suit le chiffre de la dernière note de basse à la dernière mesure de la page 264 paraît rappeler aussi que la tierce doit rester majeure. Les autres croix qui surmontent certaines notes équivalent au signe du sforzando, ou indiquent la place de quelqu'un des agréments usités alors.

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