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Qu'être vainqueur du grand Soyecourt',

C'est être vainqueur de dix autres ;

faisant toujours allusion à son nom de Guidon le Sauvage, que l'aventure de l'Ile périlleuse rendit victorieux de dix chevaliers.

Aussitôt que le Roi eut dîné, il conduisit les Reines, Monsieur, Madame, et toutes les dames, dans un lieu où on devoit tirer une loterie, afin que rien ne manquât à la galanterie de ces fêtes. C'étoit des pierreries, des ameublements, de l'argenterie, et autres choses semblables ; et quoique le sort ait accoutumé de décider de ces présents, il s'accorda sans doute avec le desir de S. M. quand il fit tomber le gros lot entre les mains de la Reine; chacun sortant de ce lieu-là fort content, pour aller voir les courses qui s'alloient

commencer.

Enfin Guidon et Olivier parurent sur les rangs, à cinq heures du soir, fort proprement vêtus et bien montés.

Le Roi, avec toute la cour, les honora de sa présence; et Sa Majesté lut même les articles des courses, afin qu'il n'y eût aucune contestation entre eux. Le succès en fut heureux au duc de SaintAignan, qui gagna le défi.

Le soir, Sa Majesté fit jouer une comédie nommée Tartuffe, que le sieur de Molière avoit faite contre les hypocrites; mais quoiqu'elle eût été trouvée fort divertissante, le Roi connut tant de conformité entre ceux qu'une véritable dévotion met dans le chemin du Ciel et ceux qu'une vaine ostentation des bonnes œuvres n'empêche pas d'en commettre de mauvaises, que son extrême délicatesse pour les choses de la religion ne put souffrir cette ressemblance du vice avec la vertu, qui pouvoient être prise[s] l'une pour l'autre ; et quoiqu'on ne doutât point des bonnes intentions de

1. Il ne faut pas oublier, pour la mesure de ce vers, qu'on prononçait et qu'on écrivait même souvent Saucourt.

2. Où l'on devoit. (1675 A, 84 A, 94 B, 1734.)

3. C'étoient. (1734 seul.)

4. Fit jouer les trois premiers actes d'une comédie. (1682, ms. Philidor, 1734.)

5. Le sieur Moliere. (1734.)

6. Fait contre. (1666.)

7. Eut de la peine à souffrir. (1682, ms. Philidor, 1734.)

8. Qui pouvoit être prise l'une pour l'autre. (1665, 66, 68, 73, 74, 75 A, 84 A, 94 B.) Qui pouvoient être pris l'un pour l'autre. (1673.) Ce membre de phrase manque dans 1682, dans le manuscrit Philidor, et dans 1734. Au lieu de prendre pour l'accord le plus noble des deux genres, l'édition originale prend celui du dernier des deux substantifs. La leçon des éditions de 1665, etc., qui changent pouvoient en pouvoit, a peu de sens; on comprend que celles de 1682 et de 1734 aient supprimé ce membre de phrase.

l'auteur, il la défendit pourtant en public, et se priva soi-même de ce plaisir, pour n'en pas laisser abuser à d'autres', moins capables d'en faire un juste discernement.

Le mardi treizième, le Roi voulut encore courre les têtes, comme à un jeu ordinaire que devoit gagner celui qui en feroit le plus. Sa Majesté eut encore le prix de la course des dames, le duc de Saint-Aignan celui du jeu; et ayant eu l'honneur d'entrer pour le second à la dispute avec Sa Majesté, l'adresse incomparable du Roi lui fit encore avoir ce prix; et ce ne fut pas sans un étonnement duquel on ne pouvoit se défendre, qu'on en vit gagner quatre à Sa Majesté, en deux fois qu'elle avoit couru les têtes.

On joua le même soir la comédie du Mariage forcé, encore de la façon du même sieur de Molière, mêlée d'entrées de ballets et de récits; puis le Roi prit le chemin de Fontainebleau le mercredi quatorzième, toute la cour se trouvant' si satisfaite de ce qu'elle avoit vu, que chacun crut qu'on ne pouvoit se passer de le mettre par écrit, pour en donner la connoissance à ceux qui n'avoient pu voir des fêtes si diversifiées et si agréables, où l'on a pu admirer tout à la fois le projet avec le succès, la libéralité avec la politesse, le grand nombre avec l'ordre, et la satisfaction de tous; où les

1. Il défendit cette comédie pour le public jusques à ce qu'elle fût entièrement achevée et examinée par des gens capables d'en juger, pour n'en pas laisser abuser à d'autres. (1682, ms. Philidor, 1734.)

2. Il n'est pas très-aisé de concilier ce qui est dit ici avec les sentiments que la Gazette prête en cette occasion à Louis XIV. Dans son numéro 60, du 21 mai, intitulé: ies Particularités des divertissements pris à Versailles par Leurs Majestés, elie ne dit pas un mot de cette représentation des trois premiers actes du Tartuffe. Mais dans le numéro 59, daté du 17 mai 1664, et à propos d'un édit condamnant les cinq propositions de Jansénius, elle vante le zèle avec lequel Louis XIV justifie son titre de fils aîné de l'Église, « comme il le fit encore voir naguère par ses défenses de représenter une pièce de théâtre intitulée l'Hypocrite, que Sa Majesté, pleinement éclairée en toutes choses, jugea absolument injurieuse à la religion et capable de produire de très-dangereux effets. >>

3. Cet alinéa est précédé, dans 1734, du titre : vii. journée.

4. Eut encore celui. (1665, 66, 68, 73, 74, 75 A, 82, 84 A, 94 B.)

5. Sieur Moliere. (1734.)

6. D'entrées de ballet. (1665, 66, 73, 74, 75 A, 82, 84 A, 94 B, 1734.)

7. le mercredi quatorzième. Toute la cour se trouva. (1734.)

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8. Le Journal d'Ormesson nous a appris que la satisfaction ne fut pas aussi générale voyez ci-dessus, p. 108, note 3.

a Jusqu'à. (Ms. Philidor, 1730, 34.)

Pour n'en pas laisser abuser d'autres. (Ms. Philidor.)

soins infatigables de M. de Colbert' s'employèrent en tous ces divertissements, malgré ses importantes affaires; où le duc de SaintAignan joignit l'action à l'invention du dessein; où les beaux vers du président de Périgny à la louange des Reines furent si justement pensés, si agréablement tournés, et récités avec tant d'art; où ceux que M. de Bensserade fit pour les chevaliers eurent une approbation générale ; où la vigilance exacte de M. Bontemps et l'application de M. de Launay3 ne laissèrent manquer d'aucune des choses1 nécessaires; enfin où chacun a marqué si avantageusement son dessein de plaire au Roi, dans le temps où Sa Majesté ne per.soit ellemême qu'à plaire; et où ce qu'on a vu ne sauroit jamais se perdre dans la mémoire des spectateurs, quand on n'auroit pas pris le soin de conserver, par cet écrit, le souvenir de toutes ces merveilles.

1. Monsieur Colbert. (1666, 68, 73, 74, 82, 1734.)

2

2. Premier valet de chambre de Louis XIV. (Note d'Auger.)

3. Intendant des menus plaisirs et affaires de la chambre. (Note d'Auger.) 4. D'aucunes choses. (1682.) — D'aucunes des choses. (1734 seul.) 5. Par écrit. (1666, 68, 82, 1734.)

FIN DES PLAISIRS DE L'ILE ENCHANTÉE.

APPENDICE

AUX PLAISIRS DE L'ILE ENCHANTÉE.

I

LIVRET DE LA FÊTE.

LES PLAISIRS

DE L'ILE ENCHANTEE1.

PREMIÈRE JOURNÉE.

COURSE DE BAGUE

FAITE PAR LE ROI.

Avant-propos.

Les charmes d'Alcine, qui n'avoit pas moins de beauté que de savoir, retenant auprès d'elle, par un double enchantement, le brave Roger et plusieurs autres vaillants chevaliers, toutes ses pensées ne s'occupèrent plus qu'à empêcher leur fuite, pour faire

1. D'après l'in-4o publié par Robert Ballard en 1664. Un premier titre porte: a Les Plaisirs de l'Ile enchantée, course de bague faite par le Roi à Versailles, le 6o (il faut lire 7o) mai 1664 ». C'est, comme on en pourra juger à la forme même de certaines indications où le rédacteur parle au futur, le programme qui devait d'avance donner aux invités quelque idée du sujet, des principaux épisodes de ce long spectacle. Le plan primitif du duc de Saint-Aignan ne comprenait sans doute que trois journées; il n'est pas question dans le livret des divertissements qui furent improvisés pour achever la semaine des fêtes;

a Ci-après, p. 249.

durer ses plaisirs. Elle joignit à la force et à la situation de son palais le pouvoir de ses démons, la fierté de ses géants, et celle de ses bêtes farouches; mais elle n'eut pas moins de confiance aux divertissements des promenades, de la danse, des tournois, des festins, de la comédie et de la musique. Et comme elle avoit autant d'amants que de captifs, et qu'ils ne pensoient tous qu'à lui plaire, ces illustres guerriers font une partie de course de bague; et prenant pour sujet les jeux pythiens, auxquels Apollon présidoit, ils font leur entrée dans la lice, avec tous les ornements dont ils peuvent l'accompagner, dans le plus beau lieu que la nature et l'art aient jamais formé et embelli pour le plaisir de la vie. Mais cette belle magicienne, de qui les enchantements étoient d'une force prodigieuse, n'étant pas satisfaite que sa puissance parût en un seul endroit de la terre, afin de porter en tous lieux le triomphe de sa beauté, par les hommages de ces chevaliers, a rendu son île flottante; et après avoir visité plusieurs climats, elle la fait aborder en France, où, par le respect et l'admiration que lui causent les rares qualités de la Reine, elle ordonne à ces guerriers de faire en faveur de Sa Majesté tout ce qu'ils auront pu inventer pour lui plaire par leur adresse et par leur magnificence.

ORDRE DE L'ENTRÉE des chevaliers dans le CAMP.

LEURS SUITES ET DEVISES1.

Apollon paroit sur un char, conduit par le Temps, ayant à ses pieds les quatre Siècles, environné des douze Heures du jour et des douze Signes du zodiaque.

mais l'énumération des entrées, la description des devises, les pièces de vers insérées tout au long y occupent beaucoup de place. Nous ne conservons du programme proprement dit que les Avant-propos, et un passage (ci-après, p. 236 et 237) qui fait connaître plus complétement qu'aucune des autres relations de quelle ressource fut la troupe du Palais-Royal pour les cavalcades ou cortéges mythologiques de la première journée, et qui seul mentionne le rôle, peut-être périlleux, qu'y remplit Molière en personne. Nous reproduisons en entier la Liste qui termine le livret (p. 240-250) : elle fournit sur la composition des corps de musique et de danse, sur tout le personnel, d'artistes ou de nobles amateurs, employé à ces grandes représentations de la cour, des renseignements très-précis, auxquels il pourra quelquefois être utile de renvoyer le lecteur.

1. Voyez ci-dessus, p. 110-115; et ci-après, p. 240 et 241, le commencement de la Liste du divertissement de Versailles.

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