Mais à l'effet entier je veux pousser l'idée Du tort que l'on nous fait du côté de l'esprit; Et je veux nous venger toutes tant que nous sommes, Et nous fermer la porte aux sublimes clartés. ARMANDE. C'est faire à notre sexe une trop grande offense, Qu'à juger d'une jupe, ou de l'air d'un manteau, BÉLISE. Il faut se relever de ce honteux partage, Et mettre hautement notre esprit hors de page. TRISSOTIN. Pour les dames on sait mon respect en tous lieux; PHILAMINTE. Le sexe aussi vous rend justice en ces matières; TRISSOTIN. Je m'attache pour l'ordre au péripatétisme. PHILAMINTE. Pour les abstractions, j'aime le platonisme. ARMANDE. Épicure me plaît, et ses dogmes sont forts. BÉLISE. Je m'accommode assez, pour moi, des petits corps; Et je goûte bien mieux la matière subtile. TRISSOTIN. Descartes, pour l'aimant, donne fort dans mon sens. J'aime ses tourbillons. ARMANDE: PHILAMINTE. Moi, ses mondes tombants. ARMANDE. Il me tarde de voir notre assemblée ouverte, TRISSOTIN. On en attend beaucoup de vos vives clartés; PHILAMINTE. Pour moi, sans me flatter, j'en ai déjà fait une; Je n'ai point encor vu d'hommes, comme je crois, ARMANDE. Nous approfondirons, ainsi que la physique, PHILAMINTE. La morale a des traits dont mon cœur est épris, Et je ne trouve rien de si beau que leur sage. ARMANDE. Pour la langue, on verra dans peu nos règlements, PHILAMINTE. Mais le plus beau projet de notre académie, Qui, dans les plus beaux mots, produisent des scandales, Ces fades lieux communs de nos méchants plaisants; Ces sources d'un amas d'équivoques infâmes Dont on vient faire insulte à la pudeur des femmes. TRISSOTIN. Voilà certainement d'admirables projets. BÉLISE. Vous verrez nòs statuts quand ils seront tout faits. TRISSQTIN. Ils ne sauraient manquer d'être tous beaux et sages. Nous serons, par nos ARMANDE. lois, juges de nos ouvrages; Nul n'aura de l'esprit, hors nous et nos amis. SCÈNE III. PHILAMINTE, BÉLISE, ARMANDE, LÉPINE, à Trisson. Monsieur, un homme est là, qui veut parler à vous; TRISSOTIN. (Ils se lèvent.) C'est cet ami savant qui m'a fait tant d'instance PHILAMINTE, à Armande et à Bélise. Faisons bien les honneurs au moins de notre esprit, (A Henriette, qui veut sortir.) Holà! Je vous ai dit, en paroles bien claires, Que j'ai besoin de vous. HENRIETTE. Mais pour quelles affaires? PHILAMINTE. Venez, on va dans peu vous les faire savoir. SCÈNE V. TRISSOTIN, VADIUS, PHILAMINTE, TRISSOTIN, présentant Vadius. Voici l'homme qui meurt du désir de vous voir; D'avoir admis chez vous un profane, madame :. PHILAMINTE. La main qui le présente en dit assez le prix. TRISSOTIN. Il a des vieux auteurs la pleine intelligence, Et sait du grec, madame, autant qu'homme de France. Du grec, ô ciel! du grec! Il sait du grec, ma sœur! Ah! ma nièce, du grec! ARMANDE. Du grec! quelle douceur! PHILAMINTE. Quoi! monsieur sait du grec? Ah! permettez de grâce HENRIETTE, à Vadius, qui vient pour l'embrasser. PHILAMINTE. (Ils s'asseyent.) J'ai pour les livres grecs un merveilleux respect. VADIUS. Je crains d'être fâcheux, par l'ardeur qui m'engage PHILAMINTE. Monsieur, avec du grec on ne peut gâter rien. TRISSOTIN. Au reste, il fait merveille en vers ainsi qu'en prose, VADIUS. Le défaut des auteurs, dans leurs productions, C'est d'en tyranniser les conversations, D'être au Palais, aux cours, aux ruelles, aux tables, Pour moi, je ne vois rien de plus sot, à mon sens, Et d'un Grec, là-dessus, je suis le sentiment, 1. Mendier des louanges. Voici de petits vers pour de jeunes amants, TRISSOTIN. Vos vers ont des beautés que n'ont point tous les autres. VADIUS. Les Graces et Vénus règnent dans tous les vôtres. TRISSOTIN. Vous avez le tour libre, et le beau choix des mots. VADIUS. On voit partout chez vous l'ithos et le pathos 1. TRISSOTIN. Nous avons vu de vous des églogues d'un style VADIUS. Vos odes ont un air noble, galant et doux, TRISSOTIN. Est-il rien d'amoureux comme vos chansonnettes? VADIUS. Peut-on rien voir d'égal aux sonnets que vous faites? TRISSOTIN. Rien qui soit plus charmant que vos petits rondeaux? VADIUS. Rien de si plein d'esprit que tous vos madrigaux? TRISSOTIN. Aux ballades surtout vous êtes admirable. VADIUS. Et dans les bouts-rimés je vous trouve adorable. TRISSOTIN. Si la France pouvait connaître votre prix.... VADIUS. Si le siècle rendait justice aux beaux esprits.... TRISSOTIN. En carrosse doré vous iriez par les rues. 1. L'ithos, les mœurs (en grec, 0os), le pathos, la passion (en grec, Tábor), sont des termes de rhétorique. Voici ce qu'en dit Rollin : « On sait que les passions sont comme l'âme du discours; que c'est ce qui lui donne une impétuosité et une véhémence qui emportent et entraînent tout, et que l'orateur exerce par là sur ses auditeurs un empire absolu et leur inspire tels sentiments qu'il lui plaît... » Et pour les mœurs : « C'est une espèce de passion que les rhéteurs appellent 0os, qui consiste dans des sentiments plus doux, plus tendres, plus insinuants (que le pathétique, Tábos), mais qui n'en sont pas pour cela moins touchants ni moins vifs... Les mœurs de celui qui parle doivent se peindre dans son discours sans qu'il y pense...» (Traité des Études, livre III, chapitre II, 7.) |