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CHICANNEAU.

Monsieur, vous l'entendez retenez bien ce mot.

PETIT-JEAN.

Ah! vous ne deviez pas lâcher cette parole.

LA COMTESSE.

Vraiment, c'est bien à lui de me traiter de folle!

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LA COMTESSE.

Que t'importe cela?

Qu'est-ce qui t'en revient, faussaire abominable,

Brouillon, voleur?

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Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier.

MOLIÈRE

Jean-Baptiste Poquelin, qui prit plus tard le nom de Molière, naquit à Paris, le 15 janvier 1622. Son père, tapissier valet de chambre du roi, lui fit faire ses études au collège de Clermont (Louis-Le-Grand), où il eut pour maître le philosophe sensualiste Gassendi, et pour condisciples le célèbre voyageur Bernier, le poète Hénault, l'épicurien Chapelle et l'écrivain humoriste Cyrano de Bergerac.

Poquelin, entraîné par son goût pour le théâtre, s'associa avec quelques jeunes gens de famille qui s'étaient réunis pour jouer la comédie. Ayant échoué à Paris, ils se mirent à courir la province.

Cette vie de bohémien littéraire se prolongea pendant treize ans. C'est alors qu'au milieu d'un grand nombre de farces, Molière (c'est le nom de guerre que Poquelin avait adopté) composa l'Étourdi (1653) et le Dépit amoureux (1656).

Ce fut en 1658 que Molière reparut à Paris. Il y donna les Précieuses Ridicules (1659), satire d'un travers contemporain, protestation du bon sens contre le langage et les manières affectées d'une coterie de femmes prétentieuses; Sganarelle (1660); l'École des maris, les Fâcheux (1661), et l'École des femmes (1662). Don Juan ou le Festin de Pierre (1665) fut une imitation originale d'un drame espagnol. Enfin le 4 juin 1666 parut le Misanthrope, le chefd'œuvre du génie comique. Deux mois après, le Médecin malgré lui rendait au théâtre l'invention très amusante d'un ancien fabliau, dont nous avons donné plus haut l'analyse (p. 9, 10). Le Tartufe, autre chef-d'œuvre, destiné à une immense popularité, fut joué intégralement pour la première fois le 5 août 1667, pendant l'absence du roi. Le lendemain, la représentation en fut interdite : « Monsieur le Premier Président ne voulait pas qu'on le jouât. » Le roi fut moins sévère: il permit au Tartufe de reparaître (1669). Vinrent ensuite l'Amphitryon, George Dandin, et

l'Avare (1668); Monsieur de Pourceaugnac (1669) et le Bourgeois gentilhomme (1670), le chef-d'œuvre de la comédie bouffonne; les Fourberies de Scapin (1671) et la Comtesse d'Escarbagnas (1671).

Le dernier chef-d'œuvre de haute comédie, les Femmes savantes (1672), fut une seconde épreuve du sujet déjà traité par Molière dans les Précieuses ridicules. « Le génie de Molière, dit E. Geruzez, s'y montre dans toute sa force, et avec un degré de pureté et un éclat de verve supérieur peut-être au Misanthrope, et, si on osait le dire, à Tartufe même... On s'émerveille que le poète ait trouvé tant de ressources dans un sujet qui n'est pas de premier ordre. » Molière, qui ne devint célèbre que vers l'âge de quarante ans, ne vécut que jusqu'à cinquante et un. Il mourut en jouant le Malade imaginaire, le 17 janvier 1673. Il ne fut point de l'Académie.

Première édition des œuvres de Molière, Paris, 1666, 2 vol. in-12. Parmi les nombreuses éditions, nous citerons les suivantes Amsterdam, Jacques le Jeune (Elzévir), 1675, 5 vol. pet. in-12; Paris, 1773, 6 vol. in-8; Paris, Didot, 1792, 6 vol. gr. in-4; Paris, Lefèvre, 1824-1826, 8 vol. in-8; Paris, Furne, 1845, 6 vol. gr. in-8; Paris, Charpentier, 1858, 3 vol. gr. in-18; Paris, Plon, 1862, 8 vol. in-16. Signalons surtout les OEuvres complètes de Molière, publiées par A. Regnier, Paris, 1878, 5 vol. gr. in-8; par L. Moland, Paris, 1863, 7 vol. in-8; et par MM. Regnier et Despois, 1873 et suiv., dans la Collection des Grands Écrivains; cette dernière édition est en cours de publication. Il est bon de noter que de nombreuses éditions de Molière ont paru depuis ces dernières années en Allemagne, ainsi que des travaux critiques sur la vie et les œuvres de notre grand comique.

On consultera avec intérêt l'Histoire de la vie et des ouvrages de Molière par Jules Taschereau, Paris, 1828, in-8.

Molière n'échappe point à la manière spiritualiste de tous les grands artistes de son temps. Son triomphe, c'est la comédie de caractère, c'est-à-dire l'étude de l'esprit humain. Son procédé, comme celui de Corneille et de Racine, c'est l'abstraction vivifiée par le génie. L'Avare, le Misanthrope,

son œuvre capitale avec Tartufe, sont développés d'après les mêmes principes que les tragédies de Racine. Les deux poètes saisissent une qualité unique d'un individu, anéantissant par la pensée toutes les autres, la mettent ensuite en action et même quelquefois en plaidoirie et comme en procès avec les qualités opposées.

La plus grande gloire de Molière, c'est d'avoir été le poète de l'humanité en même temps que celui de son époque. Non seulement il a le premier aperçu et châtié le ridicule, dans des choses que ses contemporains estimaient et prenaient au sérieux, mais il a incarné ces vices et ces travers dans des créations d'une vérité impérissable. Il a su réunir la généralité dans les passions, et la propriété dans les caractères. Ses personnages ont une physionomie si distincte, si personnelle, qu'on les reconnaît entre mille; on croit avoir vécu avec eux, et néanmoins chaque siècle retrouve en eux ses penchants et ses vices; ils sont à la fois réels comme des individus et éternellement vrais comme des types.

Cette représentation de la vie n'est pas seulement une peinture; c'est avant tout une poésie. Ces personnages ne sont pas des portraits, mais des créations. Molière produit comme la nature, et d'après les mêmes lois, mais il ne la calque pas. Comme elle, il tire d'un germe unique ses plus belles conceptions.

L'intrigue qui entraîne ses acteurs et les enveloppe comme une atmosphère, est toute resplendissante du feu de son imagination. C'est une verve de gaieté qui échauffe, qui passionne tout ce monde comique, et rejaillit de tous les objets, comme la lumière d'un ciel du midi, en mille effets brillants Cet éclat de joyeuse humeur, cet entrain d'imagination, croît chez Molière avec le don sévère de l'observation philosophique. A mesure que sa raison devient plus profonde et son coup d'œil plus pénétrant, sa verve comique monte et bouillonne de plus en plus. C'est, pour ainsi dire, le lyrisme de l'ironique et mordante gaieté, aux ébats purs, au rire étincelant. Le Malade imaginaire, avec son étourdissante cérémonie, en est le dernier terme et le plus frappant exemple. Molière y touche à cet idéal de

l'imagination libre et sans frein, qui faisait le charme et la poésie de l'ancienne comédie grecque.

Si l'on considère cette étonnante réunion des plus belles et des plus rares qualités de l'intelligence, cette profonde sagacité, cette verve inépuisable; si l'on songe à la fécondité de ce talent qui suffisait à la fois aux plaisirs de la cour, à l'amusement du peuple, aux besoins de la troupe et à l'admiration des connaisseurs; si l'on tient compte de cette rapidité d'exécution, de cette composition grande et hardie, espèce de peinture à fresque qui ne laisse pas la brosse se reposer un instant; si l'on place tout cela au milieu d'une vie active, occupée de mille soins, tourmentée par mille chagrins domestiques, et par les soucis d'acteur, d'auteur, de directeur, de courtisan, on se gardera bien de contredire Boileau, qui, le jour où Louis XIV lui demanda quel était le plus grand poète du siècle, répondit sans hésiter : « C'est Molière. »

LE MISANTHROPE.

Alceste est le plus loyal et le plus droit des hommes. Une seule vertu lui manque, l'indulgence. Sa sagesse bourrue ne pardonne rien à la faiblesse humaine. Un compliment banal, une concession aux usages du monde, en voilà assez pour qu'il crie au mensonge, à la trahison. A la mauvaise humeur d'Alceste, Molière oppose l'esprit accommodant de Philinte. On a critiqué ce personnage optimiste. Il porte peut-être trop loin la complaisance, il est trop constamment satisfait, mais Molière ne le donne pas comme un exemple à suivre : c'est un caractère, ce n'est pas un modèle. Alceste est épris d'une coquette. La sincère Eliante mériterait bien mieux son amour c'est Célimène qu'il aime, en dépit de lui-même. L'indignation d'Alceste est souvent justifiée par les vices de la société au milieu de laquelle il vit : l'hypocrisie, la méchanceté doucereuse de la prude Arsinoé, la fatuité des marquis, la vanité du poète de cour, et surtout la coquetterie perfide de Célimène sont bien faites pour blesser profondément un homme de sens et de cœur. Aussi Alceste n'est-il ridicule que par instants,

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