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et l'agréable lucidité de ce livre : l'auteur excelle à parler galamment des lois de la physique, du système solaire et de la marche des étoiles. Il compare le ciel à l'Opéra, il pénètre dans les coulisses de l'Astronomie, il explique les machines de l'Univers, développe le vol des différents mondes, dissipe toutes les illusions d'optique; enfin, sans qu'on y pense, il supprime tout doucement Dieu comme une hypothèse dont on n'a pas besoin, et lui substitue l'humanité, qu'il met partout, jusque dans les planètes. Les idées de la Bruyère sont le contraire de celles de Fontenelle : son livre, où il promène le lecteur à travers toutes les sinuosités du monde moral et spirituel, aboutit, à montrer que Dien doit être partout et toujours présent à l'esprit de l'homme. Le livre de Fontenelle obtenait un grand succès; la Bruyère l'a parfaitement compris (1): « Tel, à un sermon, à une musique, ou dans une galerie de peintures, a entendu à sa droite et à sa gauche, sur une chose précisément la même, des sentiments précisément opposés. Cela me ferait dire volontiers que l'on peut hasarder, dans tout, genre d'ouvrages, d'y mettre le bon et le mauvais : le bon plaît aux nus, et le mauvais aux autres. L'on ne risque guère davantage d'y mettre le pire il a ses partisans. >>

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Pourquoi donc le livre de la Bruyère ne réussirait-il pas ? C'est qu'il demande des hommes un plus grand et un plus rare succès que des louanges et même que des récompenses, qui est d'être sages. Après avoir bien réfléchi, la Bruyère arrive enfin à cette conclusion (2): « Si l'on ne goûte point ces remarques que j'ai écrites, je m'en étonne; et si on les goûte, je m'en étonne de même. » Il a osé dire : « Je ». Son parti est pris: il va donner son manuscrit à l'éditeur Michallet, premier imprimeur du roi, rue Saint-Jacques à Paris.

Qu'est-ce qui l'a décidé? Dans les additions qu'il a faites à son Discours sur Théophraste, il avoue qu'il ne peut éviter la critique : « Il est naturel aux hommes de ne pas convenir de la beauté ou de la délicatesse d'un trait de morale qui les peint, qui les désigne et où ils se reconnaissent eux-mêmes ; ils se tirent d'embarras en le condamnant, et tels n'approuvent la satire que lorsque, commençant à lâcher prise et à s'éloigner de leurs personnes, elle va mordre quelque autre. » C'est pourquoi les Caractères ou Mœurs de ce siècle viennent

(1) Chap. XII, no 12.

(2) Epilogue de la première édition.

se présenter au lecteur d'un air si modeste, après la traduction du philosophe grec qui les protège de son autorité. L'auteur français est inconnu; le traducteur est anonyme; la raison, qu'ils prêchent l'un et l'autre, est impersonnelle : c'est la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde (1). Quoi de plus innocent que cet ouvrage? Si en le lisant on se sent blessé de quelque trait de morale, on ne trouvera personne sur qui décharger sa colère; en poursuivant sa lecture, on prendra plaisir à voir la satire d'autrui; on rira peut-être, comme on riait, en lisant Molière, « des applications admirables qu'il faisait dans ses comédies des manières et des mœurs de tout le monde. » Rarement on garde rancune d'un bon conseil donné poliment, en secret, par un anonyme, qui sait nous divertir.

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La Bruyère avait rédigé avec grand soin sa remarque sur l'entrevue d'Auteuil, pour que Boileau ne pût se reconnaître dans le persounage de Zelotes ou ne fît qu'en rire c'était la meilleure manière de lui faire amende honorable. De son côté, Boileau, qui prenait les eaux de Bourbon (l'Archambault) et se trouvait presque guéri de son extinction de voix, écrivit à son ami Racine de faire ses compliments à M. de la Bruyère (9 août). Alors la Bruyère donna son livre au libraire. Michallet obtint, le 8 octobre 1687, le privilège pour dix ans d'imprimer les Caractères de Théophraste avec les Caractères ou Mœurs de ce siècle. Ce privilège fut enregistré, le 14 octobre 1687, sur le livre de la communauté des trente-six imprimeurs et libraires de Paris.

(1) Préface de la première édition complète des Euvres de Molière, 1682.

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AVANT-PROPOS .

INTRODUCTION....

TABLE DES MATIÈRES.

CHAPITRE PREMIER.

Pages.

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· Son

Son oncle
Enfance et

Origine de la Bruyère. - Rôle de son trisaïeul Jehan et de son bisaïeul Mathias dans
la sainte Union à Paris, sous Henri III et Henri IV. - Ils meurent en exil. Son
grand-père Guillaume est un prodigue qui achève la ruine de sa famille.
père Louis est un modeste contrôleur des rentes de l'hôtel de ville.
Jean est son parrain et protège sa famille après la mort du père.
jeunesse de l'écrivain. - Il apprend les langues mortes et vivantes. Son éducation
à l'Oratoire; ses études de droit; il passe ses thèses à Orléans. Il cherche sa
vocation à l'Église, où il étudie l'art de prêcher, et au barreau, où il voudrait exer-
cer le métier d'avocat. Il y renonce. - Il se dégoûte du droit, qui l'avait d'a-
bord attiré. Il méprise enfin la médecine, dont il ne voit pas l'utilité. Il
n'estime que la sagesse, et tout son travail consiste à méditer, parler, lire et être
tranquille....

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CHAPITRE II.

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La Bruyère dans la bibliothèque de son oncle reconnaît que l'étude des mœurs et des
caractères peut conduire à la sagesse. Il se livre à l'étude de la philosophie
cartésienne il y trouve non seulement une méthode excellente pour arriver à la
certitude et fonder la science des mœurs, mais encore une société d'amis qui
comprennent ses goûts et qui pourront un jour lui être fort utiles. - Mort de
l'oncle Jean de la Bruyère. Ses testaments. Son héritage. Nouvelle situa-
tion de la Bruyère dans sa famille, auprès de sa mère, de ses deux frères Louis et
Robert, et de sa sœur Élisabeth. Bossuet, qui protège les cartésiens, place l'abbé
Cl. Fleury auprès des princes de Conti, et M. de Cordemoi auprès du Dauphin.
La Bruyère se fait recevoir, à Rouen, trésorier de France et général des finances
en la généralité de Caen. Peu de temps après son installation dans son bureau
des finances, il revint à Paris......

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CHAPITRE III.

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La Bruyère fait son apprentissage du métier d'écrivain. Il était dans une excel-
lente position pour cela libre et content, il entreprend de faire un livre. In-
fluence de Malebranche, de Molière, de Corneille, de Racine, de Bourdaloue et des
sermonnaires. L'idéal qu'il se propose est la simplicité et le naturel des anciens.
Il se forme le goût en lisant les poètes et les prosateurs. La Fontaine et Boi-
leau, Montaigne, Pascal et la Rochefoucauld sont ses modèles; mais il n'imite per-
Chercher le vrai sans prévention, prendre son temps pour le bien définir

sonne.

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CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

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M. le Prince voulait faire de son petit-fils un héros, ou du moins un bon homme de
guerre; M. le Duc voulait faire de son fils un courtisan accompli. Cette diver-
gence de vues amena bien des intrigues et des querelles dans l'éducation du jeune
prince. Gourville pénètre le secret de M. le Duc, qui veut marier son fils avec
Mile de Nantes pour obtenir les grandes entrées. Il enseigne au jeune prince ce
qu'on n'apprend point au collège, à avoir de l'esprit. Querelles des jésuites
avec l'abbé Bourdelot et avec M. Deschamps. Détails curieux sur l'éducation au
milieu de ces querelles. Gourville pressa M. le Duc de marier son fils, qui

Pages.

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