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CHAPITRE XVIII.

1686 (août-novembre).

La Bruyère enseigne, d'après Mézeray, la doctrine politique de l'Hospital au duc de Bourbon.

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- Images de la cour de Henri III. Hypocrisie à la cour de Louis XIV. - Directeurs

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et confesseurs. Singuliers apôtres que Louvois et son frère l'archevêque de Reims : indignation de Bossuet. Double silhouette de Mgr l'archevêque de Paris et de Mgr l'évêque de Grenoble. Réception de l'ambassade de Siam par Louis XIV. Aggravation du mal du roi. On craint pour sa vie. Cabales et complots autour Prise de Bude par les Impériaux. du Dauphin. - Anet; libertinage et fêtes. ligue d'Augsbourg devient menaçante. Le roi se résout à subir la grande opération. Il s'y prépare en secret, comme s'il allait mourir. Il maintient l'ordre dans son royaume et la bonne intelligence dans sa famille. Louvois et Seignelay contraints de paraître s'aimer. Monseigneur n'était point le grand homme qu'on rêvait. Hypocrites et libertins sont inquiets de ce qui va arriver. Tristesse de la cour. Gaieté Elle tombe malade de la petite vérole. Condé vient de Chantilly à Fontainebleau pour la soigner. - Le La cour part pour Versailles. roi subit la grande opération. Joie du peuple en apprenant que le roi est sauvé.

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de la duchesse de Bourbon.

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C'est un curieux spectacle que de voir l'arrière-petit-fils d'un apothicaire ligueur, qui avait combattu la doctrine des politiques avec la dernière énergie, jusqu'à se rendre complice de la mort du président Brisson, enseigner la doctrine des mêmes politiques à un arrière-petitfils des princes de Condé, qui avaient été les plus hardis défenseurs du parti protestant; et cela sous les yeux de Louis XIV, en lisant au jeune prince, avec l'approbation du grand Condé, l'histoire républicaine des derniers Valois et des premiers Bourbons. Ce Montaigne mitigé, comme l'appelle Mathieu Marais (1), tempérait la vigueur de

(1) Bibliot. nat. Fonds français, no 5669, publié par Servois, Notice biograph., p. CLII.

l'historien et la force de ses opinions par un scepticisme prudent qui lui permit d'en extraire des maximes d'une exquise sagesse (1).

Mézeray, esprit frondeur et chagrin, conserva toujours l'humeur et l'éloquence d'un pamphlétaire. Dans les récits assez rapides de son Abrégé, il exposait l'antique querelle de la puissance établie et des droits naturels contre lesquels il n'y a point de prescription (2), et il s'appliquait à démasquer la détestable politique de Machiavel, qui rend toujours les princes tyrans et les pleuples malheureux. Il exécrait Catherine de Médicis, comme l'auteur de tous les conseils de violence ou d'iniquité, sous François II, Charles IX et Henri III. Il avait un vrai respect (3) pour le chancelier Michel de l'Hospital, parce qu'il blâma les procédures violentes sur les faits de la religion, qu'il voulut bannir les noms injurieux de luthériens, de huguenots et de papaux, et qu'il pria chacun de déposer sa haine, pour n'avoir d'autre passion que celle du bien public, dans lequel est contenu celui des particuliers. « Le mauvais destin de la France, dit-il (4), fut plus fort que ces sages conseils. La justice est de soi une chose divine, et très nécessaire à la société; mais comme le nombre des méchants sera éternellement le plus grand, la poursuite de ce bien sera toujours louable et toujours inutile (5). » Telle est la maxime désespérée de Mézeray. On comprend ce sombre fatalisme au milieu des affreuses perturbations qui bonleversèrent la France, dans la dernière moitié du seizième siècle. Mais, en lisant cette histoire avec le duc de Bourbon, la Bruyère ne put laisser passer sous silence une doctrine aussi fausse qu'attristante il n'eut pour la réfuter qu'à mettre Mézeray en contradiction avec lui-même, ou, ce qui n'était pas moins facile, avec les faits et les événements qu'il racontait.

Si dans un État, dit Mézeray (6), c'est une marque certaine de décadence que le défaut de bonnes têtes pour le conseil et de grands capitaines pour l'exécution, c'est aussi une cause infaillible de troubles et de guerres civiles, que la multitude des princes et des seigneurs trop puissants, lorsqu'il n'y a point d'autorité assez forte pour les contenir et pour les ranger à leur devoir. Ce malheur arriva en

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France après la mort du roi Henri II. Dès qu'il eut expiré, les factions, qui s'étaient formées durant son règne, commencèrent à remuer, et par malheur rencontrèrent, pour se fortifier, les différents partis de la religion, grand nombre de malcontents, beaucoup d'amateurs de nouveauté et, qui plus est, quantité de braves gens de guerre, lesquels, ayant été licenciés, voulurent se donner de l'emploi à quelque prix que ce fût. On voyait d'un côté les princes du sang et le connétable (tous parents ou ancêtres de M. le duc de Bourbon), de l'autre les princes de la maison de Guise; entre ces deux partis, la reine mère, qui marchandait celui dont elle pourrait mieux s'accommoder, et flattait tantôt l'un, tantôt l'autre ; au milieu, la personne d'un jeune roi aussi faible d'esprit que de corps, exposée au premier occupant; et, pour le prix du combat, le gouvernement du royaume.

La conspiration d'Amboise et son cruel châtiment saisirent d'horreur les âmes tendres et humaines (1). On espérait que le roi François II, venant à sa parfaite majorité, pourrait étouffer les factions (2); mais il n'avait pas dix-sept ans quand il mourut; et son frère, Charles IX, n'avait que dix ans quand il lui succéda. On craignit justement de voir les factions s'enflammer davantage et passer de la sédition à une sanglante guerre. C'est en effet ce qui arriva. Une fois la guerre allumée, guerre civile et religieuse, rien ne put l'éteindre; la paix fut souvent conclue, paix boiteuse ou mal assise; le feu, qui couvait sous la cendre, se rallumait toujours et faisait des ravages de plus en plus terribles; complots, trahisons, assassinats, massacres, tout fut employé et rien ne put réussir. La Saint-Barthélemy même fut un crime aussi inutile qu'atroce: on avait fait intervenir le peuple dans la querelle ; il se mit alors de la partie, et fut plus violent que les autres, mais il ne résolut pas le problème qui avait déjà coûté tant de peines et tant de sang à la France. Charles IX mourut épuisé, à 25 ans, laissant le royaume dans une effroyable confusion de toutes choses. Son frère, Henri III, roi de Pologne, passait pour un prince vaillant et énergique; il ne fit pas mieux que ses prédécesseurs. Le vainqueur de Jarnac et de Moncontour fut vaincu par les délices de la cour et les flatteries de ses favoris. A la fin, ses peuples se liguèrent et se soulevèrent pour ne plus souffrir des oppressions pareilles à celles qu'ils avaient ressen

(1) Abrégé de Mézeray, t. III, p. 70.

(2) T. III, p. 81.

ties depuis le règne du bon roi Louis XII (1). Henri III fut chassé de Paris, à la journée des Barricades. Les états de Blois voulurent rétablir la puissance des lois contre les empiétements continuels de la tyrannie. Ce qui ne provenait pas seulement des factions de la Ligue, mais encore du désir unanime des peuples (2): persuadés que le roi perdrait bientôt ou la vie ou l'esprit (car Miron, son premier médecin, avait dit imprudemment que l'un ou l'autre arriverait dans un an), ils croyaient qu'il était nécessaire de mettre des barrières si hautes et si fortes à celui qui viendrait à la couronne, qu'il ne pût jamais les forcer. << Mais les mœurs trop corrompues des Français, dit Mézeray (3), ne s'accordaient pas avec leurs souhaits; ils désiraient en vain ce qu'ils ne méritaient pas. » — Et cependant Dieu eut pitié de la France, quoi qu'en dise Mézeray. Après la mort de Henri III, qui périt assassiné et peu regretté, son successeur, Henri IV, que le peuple détestait, força ces murailles si hautes et si fortes qu'on avait voulu lui opposer; et le premier usage qu'il fit de sa victoire fut d'inaugurer la liberté de conscience, que tous les partis revendiquaient pour eux et ne voulaient point accorder aux autres. Sa conversion au catholicisme prouve qu'il était de bonne foi dans cette entreprise, et il assura ainsi le repos de la France et la solidité de sa dynastie. Ce dénouement inespéré du long et terrible drame que raconte Mézeray est le triomphe de la doctrine politique que repoussait le sire safranier de la Ligue (4), et que la Bruyère, le philosophe, enseignait au duc de Bourbon comme la morale de cette histoire.

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La politique est une science et un art les Valois possédèrent la science; ils n'eurent point l'art, ni même la pratique. Ils auraient bien voulu appliquer les principes de l'Hospital; ils n'y purent jamais parvenir. C'est ce qui les perdit. Trop faibles pour dominer les partis, ils furent entraînés par eux, non seulement à commettre les fautes les plus graves, mais encore à ruiner toute leur autorité par la plus criminelle tyrannie. Charles IX s'opposait au meurtre de Coligny, qui avait, disait-on, fait assassiner François de Guise; on le pressa tellement qu'à la fin il s'écria en jurant : « Eh bien ! puisqu'il le faut, je ne veux pas qu'il en reste un seul pour me le reprocher (5). » Et alors eut (1) Abrégé de Mézeray, t. III, p. 258, 259.

(2) T. III, p. 258.

(3) T. III, p. 259.

(4) Sobriquet de J. de la Bruyère dans la Satire Menippée.

(5) Abrégé, t. III, p. 153.

lieu le massacre de la Saint-Barthélemy. Henri III s'était réconcilié avec Henri de Guise: incontinent il fut pris de peur; on lui reprocha sa faiblesse (1), et on le détermina à se délivrer une bonne fois, en faisant tuer celui à qu'il avait juré sur les autels amitié, confiance et fidélité (2). « Il ne faut, dit la Bruyère, ni art ni science pour exercer la tyrannie; et la politique qui ne consiste qu'à répandre le sang est fort bornée et de nul raffinement; elle inspire de tuer ceux dont la vie est un obstacle à notre ambition: un homme né cruel fait cela sans peine. C'est la manière la plus horrible et la plus grossière de se maintenir ou de s'agrandir. »

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Les Valois réussirent à corrompre les Français. «En quelque endroit qu'allât Catherine de Médicis, dit Mézeray (3), elle traînait toujours après elle tout l'attirail des plus voluptueux divertissements, et particulièrement un cent des plus belles femmes de la cour qui menaient en laisse deux fois autant de courtisans. >> « Il fallait, comme dit Montluc, que, dans le plus grand embarras de la guerre, le bal marchât toujours. Le son des violons n'était point étouffé par le son des trompettes; le même équipage traînait les machines de ballet et les machines de guerre, et on voyait, dans une même lice, des combats où les Français s'entr'égorgeaient, et des carrousels où les dames prenaient leurs plaisirs. » — « C'est une politique sûre et ancienne dans les républiques, dit la Bruyère (4), que d'y laisser le peuple s'endormir dans les fêtes, dans les spectacles, dans le luxe, dans le faste, dans les plaisirs, dans la vanité et la mollesse ; le laisser se remplir du vide et savourer la bagatelle: quelles grandes démarches ne fait-on pas au despotique par cette indulgence! » Mais il n'y a là ni science ni art politique. « Quand on veut changer et innover dans une république (5), c'est moins les choses que le temps que l'on considère. Il y a des conjonctures où l'on sent bien qu'on ne saurait trop attenter contre le peuple; et il y en a d'autres où il est clair qu'on ne saurait trop le ménager. » Discerner ces conjonctures et savoir en profiter (6), voilà la science et l'art qui manquèrent aux derniers Valois, et que Henri IV possédait au plus haut degré. C'est pourquoi il parvint à établir dans son royaume une paix durable.

(1) Abrégé, t. III, p. 260.

(2) Chap. X, no 2.

(3) Abrégé, t. III, p. 142.

(4) Chap. x, no 3.

(5) Chap. x, no 5.

(6) Chap. x no

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