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de ce qui s'était passé à Fontainebleau, lorsqu'il arriva, le 15 novembre, à Versailles. Il voulut que tant d'événements malheureux servissent au moins de leçon à son petit-fils. « J'exigerais, disait la Bruyère (1), de ceux qui vont contre le train commun et les grandes règles, qu'ils sussent plus que les autres, et qu'ils eussent de ces arguments qui emportent la conviction. » Condé était exactement du même avis. Après avoir interrogé avec bonté son petit-fils sur ce qu'il avait appris depuis qu'il ne l'avait vu, il lui demanda de se remettre au travail avec ses maîtres et de mener une vie réglée.

Du reste, tout le monde eut sa leçon. La belle veuve a fort pleuré, dit Mme de Sévigné de la princesse de Conti. Elle a cent mille écus de rente, et elle a reçu tant de marques de l'amitié du roi (2), que personne ne doute qu'elle ne se console (3). « Une femme oublie d'un homme qu'elle n'aime plus jusques aux faveurs qu'il a reçues d'elle. » La voilà détachée de la maison de Condé.

Le prince de la Roche-sur-Yon fut plus longtemps affligé. La leçon fut plus rude pour lui que pour personne. A la demande de Condé, il fut autorisé par le roi à prendre le titre de prince de Conti, devenu vacant par la mort de son frère aîné; mais aussi il fut invité à s'en aller à l'Isle-Adam, réfléchir dans l'exil sur les vicissitudes humaines et sur l'extravagance des jeunes princes qui veulent secouer le joug de l'autorité. « Il lui est avantageux, disait le moraliste (4), de disparaître, plutôt que de traîner dans le monde le débris d'une faveur qu'il a perdue, et de faire un nouveau personnage si différent du premier qu'il a soutenu. Il conserve au contraire le merveilleux de sa vie dans la solitude; et, mourant pour ainsi dire avant la caducité, il ne laisse de soi qu'une belle idée et une mémoire agréable. »

M. le Duc reçut aussi sa leçon, et qui lui fut bien sensible. Le maréchal d'Humières, comme capitaine des cent gentilshommes de la chambre du roi, obtint tout naturellement les entrées de la chambre ; ce n'était pas tout à fait les grandes entrées mais à ce propos la question des grandes entrées fut soumise à une loi sévère. « Il fut établi, dit Dangeau, que les princes du sang n'ont aucune entrée par et que, si M. le duc de Bourbon avait les grandes entrées

leur rang,

(1) Chap. XVI, no 10.

(2) Chap. XI, n 30. (3) Chap. III, no 17. (4) Chap. x, no 19.

comme époux de la fille légitime du roi, M. le Duc son père, et le nouveau prince de Conti son cousin, ne les avaient pas. » Ainsi non seulement M. le Duc perdait le fruit de ses intrigues et de ses longs travaux, mais encore il semblait ravalé au même niveau que son cousin exilé. « Un noble, dit la Bruyère (1), s'il vit chez lui dans sa province, il vit libre, mais sans appui; s'il vit à la cour, il est protégé, mais il est esclave; cela se compense. >>

Bossuet, qui faisait la leçon aux grands de la terre et aux arbitres du monde; Boss uet, qui avait refusé de considérer la révocation de l'édit de Nantes comme une invasion militaire, et qui avait voulu apprendre à Louis XIV comment un grand prince, un Constantin ou un Théodose, se sert de son pouvoir pour ramener ses peuples égarés dans le giron de l'Église; Bossuet reçut aussi sa leçon, et d'autant plus sévère qu'il fut contraint d'applaudir avec son éloquence à son propre châtiment. M. de Meaux n'était pas un de ces courtisans qui ne songent qu'à leur intérêt particulier. Même en prononçant son sermon du dix-neuvième dimanche après la Pentecôte devant le roi à Fontainebleau, il avait uniquement en vue le bien de la religion; il n'en avait pas moins fait l'éloge de ce qu'au fond du cœur, il n'approuvait guère, de l'œuvre de Louvois, de l'édit de révocation blâmé par le pape. La famille du chancelier le pressa de faire son oraison funèbre. Bossuet aurait voulu s'en dispenser; mais l'archevêque de Reims ne voulut entendre aucune excuse. Fort avisé dans les affaires spirituelles et temporelles, il ne connaissait pas d'obstacle: il avait conduit avec plus d'énergie que de prudence le concile de 1681-1682 et entraîné les évêques beaucoup plus loin que Bossuet ne l'eût désiré. Il n'avait pas montré moins de zèle pour combattre l'hérésie et réduire les huguenots à entrer dans l'Église. Bref, il se croyait un grand seigneur et ses gens le croyaient encore plus que lui (2). Un jour, en 1674, le jeune prélat traversait Nanterre, lorsqu'il rencontra un homme à cheval: ses gens crient gare, gare! Le pauvre homme veut se ranger, son cheval ne le veut pas. Le carrosse et les six chevaux renversent tout ce qui se rencontre et passent par-dessus, si bien que le carrosse en fut versé. Le pauvre homme et son cheval se relèvent, remontent l'un sur l'autre et courent, pendant que le cocher et les laquais crient : arrête! arrête le coquin! « Si j'avais tenu (1) Chap. VIII, no 67.

(2) Mme de Sévigné, t. III, p. 491, 402.

ce maraud, disait l'archevêque, je lui aurais rompu les bras et coupé les oreilles. En 1685, il ne traita pas ainsi M. de Meaux, mais il exigea qu'il s'en remît à la volonté du roi. Sa Majesté ne trouva pas mauvais que M. de Meaux répétât, sur la tombe de feu M. le Tellier, ce qu'il avait si bien dit à Fontainebleau de la gloire de son règne. Bossuet se retira dans son diocèse pour faire la pénitence imposée (1). « Un esprit sain puise à la cour le goût de la solitude et de la retraite. » Au milieu de la cour, de ses actions turbulentes et de ses empressements insensés, notre philosophe s'était fait en lui-même comme une solitude où il se retirait pour goûter en silence le fruit de ses observations.

(1) Chap. vii, no 101.

CHAPITRE XIV.

1685-1686.

-

Oraison funèbre de Michel le Tellier par la Bruyère. Condé lui fait savoir comment il doit parler du duc de Bourbon. Le moraliste est obligé d'être très prudent. Tenue sévère de la maison du duc et de la duchesse de Bourbon à l'hôtel de Condé. La Bruyère donnera des leçons à la femme comme au mari. Petit sermon du roi au duc de Bourbon; faveur des honnêtes gens et des gens de bien. Difformité du mariage de Mme de Maintenon. Émeute des paroissiens de Saint-Germain en Laye. Avantages et inconvénients du secret dans le gouvernement. Économie du roi et de Mme de Maintenon. Mme la Duchesse à Versailles fait répéter les leçons d'histoire à son fils, comme Condé l'avait fait à Chantilly. Joie de la Bruyère: il offre à M. le Prince de lui rendre compte des études de Mme la duchesse de Bourbon. M. le Duc injurie son fils parce qu'il ne veut pas danser dans le ballet du Carnaval. Redoublement de sévérité religieuse : murmures des vieux courtisans. tes mascarades chez Mme de Montespan. avertit la Bruyère que l'orage approche. Bossuet n'eut aucun succès. se moque de tout.

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- Le duc de Bourbon s'amuse aux petiCondé semble oublié par son petit-fils; il L'oraison funèbre de Michel le Tellier par

- La Bruyère se met en colère contre le duc de Bourbon, qui Le jeune prince écrit à Condé le grand-père pardonne.

Le duc

de Bourbon continue à rire de tout, même de ce qui fait pleurer les autres à la comédie.

- La Dauphine en est scandalisée. — Leçons piquantes, mais inutiles, faites à propos par le moraliste au prince nouveau marié.

Il n'y avait plus qu'une seule religion en France, celle du roi. La politique de Louvois avait tout nivelé. La populace de Paris, sévère envers les faibles et docile aux violents, avait détruit le temple de Charenton. Les conseillers huguenots des cours souveraines ayant reçu défense de reprendre leurs séances après la fête de saint Martin, M. Herwart, du parlement de Paris, se convertit, et la plupart des autres conseillers huguenots commencèrent à se faire instruire dans

la foi catholique (1). M. d'Artagnan, major du régiment des gardes, alla avec deux cents soldats à Villiers-le-Bel près Paris; mais il n'y trouva plus que quelques débris des familles calvinistes qui y demeuraient, le reste s'était enfui. Le lieutenant général de la police de Paris, M. de la Reynie, dévoué à Louvois, obtint la connaissance exclusive des affaires des huguenots, et ne leur laissa plus aucun moyen de s'échapper. La vieille Mme de Duras, mère des maréchaux de Duras et de Lorges, avait demandé la permission de sortir du royaume. Le roi la lui refusa; elle était huguenote si opiniâtre, que le chagrin, dit le grand prévôt de France (2), put bien avancer sa mort de quelque temps. «On fit sonder la fidélité de M. de Schomberg par une lettre anonyme : le roi essaya lui-même d'endoctriner M. de la Force. Le calvinisme ne pouvait plus exister ni à la cour, ni à Paris, ni aux environs. » Il était devenu ridicule, dit Mme de Maintenon, d'être de cette religion-là! — La révocation de l'édit de Nantes, qui devait coûter tant de larmes, était alors un sujet de joie et de triomphe. On était surtout frappé de la grande figure que prenait dans la mémoire des hommes le dernier chancelier, qui avait dressé le pieux édit de révocation. On vantait la fortune, la modération, le bonheur, et la mort si douce et si calme de feu Michel le Tellier, qui, après avoir travaillé jusqu'à son dernier soupir à la gloire du roi, s'était éteint en chantant les miséricordes du Seigneur. Les hommes les plus éloquents du royaume s'occupaient à lui élever des monuments impérissables, la Bruyère fit ainsi son oraison funèbre (3) : « Quel bonheur a accompagné ce favori pendant le cours de sa vie! Quelle autre fortune mieux soutenue, sans interruption, sans la moindre disgrâce? Les premiers postes, l'oreille du prince, d'immenses trésors, une santé parfaite et une mort douce. Mais quel étrange compte à rendre à Dieu d'une vie passée dans la faveur, des conseils que l'on a donnés, de ceux que l'on a négligé de donner, du bien que l'on n'a point fait, du mal que l'on a fait ou par soi-même ou par les autres; en un mot, de toute sa prospérité! »

Condé, qui avait de bonnes raisons pour ne point aimer Michel le Tellier, pensait sans doute comme la Bruyère sa conscience ne se laissait pas gouverner, et les manières dures des dragons auraient révolté sa religion, s'il n'avait eu soin de l'établir sur les bases soli

(1) De Sourches, t. I, p. 330.

(2) T. I, p. 337.

(3) Chap. XII, no 77.

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