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grand danger car, il sera toujours obligé de le faire par d'autres mains. Si, par exemple, la deuxieme législature ou la premiere législature vouloit faire décréter de changer les articles qui auroient rapport à l'organisation des corps administratifs ou à tel autre pouvoir que le pouvoir exécutif croiroit bon, s'il n'a pas le moyen de faire parvenir ses observations à la législature, alors vous le forcez d'user de moyens illégaux pour empêcher cette révision. Il faut, si vous voulez que votre constitution soit établie solidement, que vous admettiez des moyens légaux pour les faire examiner; car, sans cela, vous serez réduits à des intrigues ou peut-être même à des malheurs encore plus grands, et je crains si on n'admet pas ces articles-là, ce qui est très-possible, l'expérience ne vous apprenne que vous aurez mal fait de vous écarter de votre constitution : je demande donc que ces articles soient adoptés.

que

M. Ræderer: On parle toujours des intrigues populaires et l'on ne parle pas des intrigues de cour, qui sont plus profitables.

M. Biauzat: J'insiste aussi sur la question préalable.

M. Prieur: M d'André a cru trouver dans sa proposition les principes de la constitution, et moi, je dis que sa proposition renverse la constitution (applaudi des tribunes).

M. Beaumetz: Je demande que l'on passe à l'ordre du jour sur la proposition de M. d'André. Sa proposition tendroit. contre l'intention du membre qui la présente, à faire agir le roi dans la constitution comme un conseil, comme un pamphletaire. Il est indécent, j'ose le dire, que ce soit sous la Forme des conseils qu'un des pouvoirs constitués agisse. La constitution doit l'exclure de tous les cas où il n'agit pas comme pouvoir. Le roi a, pour la constitution, ses ministres dans l'assemblée, qui on droit d'y parler: le roi a, dans la constitution, le droit d'inviter le corps législatif, qui ne peut s'y refuser, à prendre un objet en considération. Cela lui suffit; et ce qu'on propose d'y ajouter, ne tendroit, comme vous l'a expliqué trop naïvement M. Martineau, qn'à accorder au roi le droit d'être un pamphletaire.

M. Robespierre: La question préalable.

M. d'André: Je retire ma proposition, et ainsi il n'y a plus à délibérer là-dessus.

M. Prieur: La question préalable, pour bien constater les droits de la nation. Je demande qu'elle soit mise aux

voix.

L'assemblée décrete qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

M. d'André : Si M. le président avoit jetté les yeux sur

l'assemblée, il auroit vu qu'une grande partie de l'assem blée ne s'étoit pas levée par une raison très simple: c'est qu'il y avoit une partie de l'assemblée, et peut-être la ma jorité, qui vouloit l'ordre du jour. Vous voyez bien que lorsque j'ai dit cela, une partie de l'assemblée a dit oui, l'autre non. Ainsi il est bien certain qu'il y avoit plusieurs personnes qui vouloient l'ordre du jour; il falloit donc commencer par l'ordre naturel des choses, c'est-à-dire, de mettre aux voix de passer à l'ordre du jour.

M. Beaumetz: J'aime autant la question préalable que l'ordre du jour, attendu que les pouvoirs du roi sont dans la constitution. Je demande donc la question préalable par les motifs que j'ai déjà allégués.

L'assemblée décrete une seconde fois qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion de M. d'André.

M. Prieur: M. Lafayette vous a fait une proposition qui est parfaitement dans l'intention de l'assemblée. Il a demandé que les membres qui auroient voté pour la révision pussent être réélus, afin que le voeu du peuple et son intention se manifestâssent par l'élection et la réélection.

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M. Camus: Je demande la question préalable sur cette proposition. Je soutiens qu'il ne doit pas, en pareil cas, être fait d'appel nominal, parce que cela seroit contraire à vos décrets, et parce que cela seroit dangereux sur-tout dans le moment actuel. Prenez garde que nous avons une constitution qui n'est pas encore totalement achevée et que l'on doit vous la relire lorsqu'elle sera complette. Si l'on faisoit décréter qu'en matiere de constitution et de révision il pût être utile d'avoir un appel nominal, ne seroit-il pas possible de conclure de-là que pour la constitution, même actuelle, il est utile d'avoir un appel nominal? Or je crois que vous ne devez point procéder à cet appel nominal comme vous l'avez demandé d'abord par la constitution. Il faut que la constitution soit l'ouvrage de la majorité de la nation. Ce qui est l'ouvrage de la majorité de l'assemblée est l'ouvrage de tous les représentans de la nation. Il est du plus grand intérêt que l'on ne fasse aucune distinction lorsqu'une fois la majorité est acquise, j'ajoute qu'il y auroit un très grand danger lorsqu'il s'agiroit de révision dans une législature, de faire connoître par l'appel nominal quels sont ceux qui ont expressément voté pour ou contre la révision; car ce seroit r'ouvrir le champ â toutes les intrigues, à toutes les ambitions; un homme voudroit être réélu, il propo seroit un article de révision, il le soutiendroit, il auroit son parti, et si l'article de révision qu'il proposeroit flattoit les

intérêts du peuple il seroit presque sûr dès-lors d'être réélu; c'est comine cela que l'on introduiroit dans les prochaines législatures un paiti formé. Ainsi, je soutiens que l'on ne pourroit, sans attaquer en quelque sorte la certitude de vos décrets, demander pour certains cas un appel nominal. (Applaudi).

M. Prieur: Je retire, et je consens à la question préalable.

L'assembice rejette la proposition.

M. Barnave: Je crois qu'il importe à l'intérêt public et à la paix du royaume que ce ne soit pas au sein de la révolution même et avant que la constitution ait été plus ou moins connue, que les changemens puissent être proposés. Ce n'est pas de la chaleur des esprits que vous devez attendre la perFection successive, c'est de l'expérience seule. Je crois donc que l'assemblée doit statuer un tems avant lequel les législatures ne pourront pas s'occuper de révision. Je crois qu'il seroit à propos de renvoyer à la troisieme législature, c'està-dire, qu'il ne fût pas permis aux deux premieres législatures qui nous suivront de commencer à s'occuper de cette révision-là, attendu qu'alors la révolution re sera pas encore terminée et l'expérience i'aura pas prononcé.

M. Chapelier: Ce que l'on a déjà fait éloigne assez toute espece de convention et même de révision pour que nous n'ayons pas de précautions à prendre. Ainsi je demande la question préalable.

M. d'André Les raisons alléguées par le préopinant sout très puissantes. Quant à moi je pense qu'à moins de décréter le mois d'octobre la révision commencera, vous pouvez que mettre la question préalable aux voix; car dans le moment d'agitation où nous sommes, il est évident que si vous ne décrétez un terme avant lequel les législateurs ne pourront pas parler de révision; la premiere opération des gens qui voudront paroître dans la premiere législature, la première manoeuvre qu'ils trouveront pour se faire un nom et une réputation, sera de flatter les passions de quelques personnes, et de proposer des changemens dans la constitution. Or, c'est un inconvénient très - sensible que celui de nous exposer le mois prochain à avoir une nouvelle révolution: on peut dire que la premiere législature n'ayant pas le droit de révision, elle n'a que le droit de proposer la révision.

M. Tronchet: Je suis si éloigné de penser que ce qu'on vous propose soit contraire au décret que je vous ai proposé, que je vais vous proposer de le lier avec le décret que vous avez déja renda, et de présenter celui-ci comme une

conséquence véritable du décret que vous avez rendu. En effet vous avez reconnu solemnellement, et vous le deviez faire, le droit de la nation ; vous lui avez dit : Nous von's déclarons dans nos ames et consciences que nous regardon's qu'il est de votre intérêt que vous suspendiez l'exercice de ce droit incontestable. Eli bien ! messieurs, c'est par une conséquence même de cette déclaration faite à la nation, que vous devez adopter la proposition qui vous est faite, en la liant à l'article qui vous a été présenté. Voici la rédaction: L'assemblée décrete qu'il ne pourra être fait une motion tendante à la révision de la constitution, avant la troisieme législature. (Adopté).

M. Beaumetz: Messieurs, votre serment est accompli; vos travaux sont achevés; ces travaux poursuivis 28 mois avec une ardeur dont on n'avoit jamais donné d'exemples, ont terminé la constitution qui va régler les destinées de la France.

Dès vos premiers pas, des obstacles se sont présentés en foule. Vous les avez dissipés d'un seul mot, comme une vraie chimere, parce que ce mot étoit une grande vérité. Vos ennemis vaincus par la raison recouroient à la force, et ce fut au moment où leurs armes menaçoient votre ouvrage, que vous jurâtes de l'achever. a nation, dont les yeux étoient fixés sur vous, indignée de vos dangers, et satisfaite de votre conduite s'est réveillée en souverainé, elle a étendu son bras, et ses ennemis ont disparu (Applaudi). Une grande révolution s'est opérée de l'une à l'autre extrêmité de l'empire; au même instant des millions de citoyens se sont ariés pour la défense de la liberté. A peine quinze jours s'étoient écoulés dans cette fermentation salutaire, lorsqu'un élan du patriotisme françois consomma dans une seule nuit plus de sacrifices qu'on auroit dû en attendre dans dix siecles de la masse progressive des lumiéres et de la perfectibilité tardive de la raison.

Depuis cette mémorable époque, tout s'est applani sous vos pas. De grandes vérités reconnues, les droits de l'homme consacrés, ne vous ont permis de mettre à vos combinaisons politiques d'autres bornes que celles indiquées par le desir inême de la perfection. Vous avez encore éprouvé des résistances; mais si elles ont pu rallentir votre marche, on quelquefois trop vivement exciter le développement de votre énergie, elles n'ont rendu jamais vos succès douteux. L'histoire conservera avec scrupule les moindres détails de ces événemens intéressans; elle décrira le jeu des passions de tout genre, qui ont exercé leur empire sur les hommes,

et leur même influence sur les événemens ; elle transmettra jusqu'aux motifs inconnus, et peindra les événemens dans cette époque si mémorable ponr les nations et pour ceux qui les gouvernent; elle peindra, avec les couleurs qui leur conviennent, et les forfaits atroces que vous avez détestés,, et les traits sublines d'héroïsme et de vertu qui ont consolé nos coeurs, et justifié l'espece humaine. Il ne nous appar tient pas de prévenir les jugemens de la postérité; mais ce qui aura des droits incontestables à son approbation, c'est la marche que vous avez si habilement suivie et prolongée entre les démolitions successives de l'ancien édifice, et les reconstructions graduelles du nouveau. Cette conduite si prudente ne s'est point rallentie par les relations avec le trône. Au frontispice de la constitution, nous avons attaché la conservation du gouvernement monarchique. La royauté, depuis si long-temps naturalisée dans le sol de la France et dans le coeur de ses habitans, étoit devenue, par ce décret, une institution combinée, et contitutionnellement choisie par la nation pour son bonheur et pour sa liberté; mais il falloit encore définir cette fonction politique, et assigner au représentant héréditaire la portion d'autorité que l'intérêt général commandoit de remettre entre ses mains, jusqu'à ce que cette délégation de pouvoirs fut accomplie. Le titre de roi des françois ne pouvoit pas encore exprimer l'idée de tous les attributs dont ce titre auguste devoit être revêtu, mais dès-lors il n'étoit pas douteux qu'à cette dignité éminente de très-importantes fonctions ne dussent être attachées: il étoit constant par vos premiers décrets que le roi, chef suprême du pouvoir exécutif, auroit encore quant à la formation des loix, une autorité constitutionnelle destinée à tempérer celle du corps législatif, par une suspension qui pût donner à la volonté publique le tems de se former, de se manifester. A la rigueur toutes les combinaisons auroient pu ne pas s'appliquer au corps constituant dont elles étoient l'ouvrage, et qui antérieur à leur création auroit été le maître de n'en imposer l'exécution qu'aux législatures. Il sembloit même que le plein exercice de vos droits imprescriptibles dût écarter cette forme, tant de vos décrets législatifs que de vos décrets constitutionnels.

A ces considérations, vous avez opposé des motifs d'un profond jugement, et rapprochant les principes de leur application aux circonstances, vous vous êtes tracé la marche qui pouvoit convenir le mieux à la situation des affaires et à la disposition des esprits. Il importoit beaucoup que la royauté, à qui étoient déléguées des fonctions d'un si

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