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Pourquoi donc au moment de la relle sur la musique, avois-je été moins impassible? C'est que je n'étois pas le seul insulté par mes adversaires, et que j'avois à venger un artiste inhumainement attaqué dans ses intérêts les plus chers.

Piccini étoit père de famille, et d'une famille nombreuse qui subsistoit du fruit de son travail: son caractère paisible et doux le rendoit plus intéressant encore. Je le voyois seul, sans intrigue, travailler de son mieux à plaire à un nouveau public; et je voyois en même temps une cabale impitoyable l'assaillir avec furie, comme un essaim de guêpes. J'en témoignai mon indignation; la cabale en fut irritée, et les guêpes tournèrent contre moi tous leurs aiguillons.

Les chefs de la cabale avoient une presse à leurs ordres pour imprimer leurs facéties, et un journal pour les répandre. J'y étois insulté tous les jours. Je n'avois pas la même commodité pour me défendre; et quand je l'aurois eue,

cette petite guerre n'auroit pas été de mon goût. Cependant je voulois m'égayer à mon tour; car me fâcher contre des railleurs, c'eût été faire un triste personnage.

J'imaginai de mettre en action leur intrigue et de les peindre au naturel, n'ayant, pour les rendre plaisans, qu'à rimer leur propre langage. Ils imprimoient leur prose, je récitois mes vers; et tous les jours, c'étoit à qui feroit mieux rire son monde.

C'est ainsi que fut composé mon poëme sur la musique pour la défense de Piccini: peut-être aurois-je mieux fait de laisser parler Roland, Atys, Didon, etc.; mais je n'ai pas toujours fait ce qu'il y avoit de mieux à faire ; et j'avoue que cette fois je ne crus pas son injure et la mienne assez vengées par le silence du mépris. Au reste, si d'une dispute aussi frivole et aussi éphémère j'ai fait un poëme en douze chants, ce sont les incidens qui m'y ont engagé, et par une penie insensible. J'aurois pu,

je l'avoue, mieux employer mon temps; mais mon travail habituel exigeoit du relâche, et c'étoient ces momens de dissipation et de délassement que je donnois à Polymnie.

Le temps de mon séjour à Saint-Brice fut marqué par un événement d'un intérêt plus sérieux. Ce fut la retraite de M. Necker du ministère des finances. J'ai déjà dit que son caractère n'étoit rien moins que séduisant. Il ne m'avoit jamais donné lieu de croire qu'il fût mon ami. Je n'étois pas le sien. Mais comme il me marquoit autant d'estime et de bienveillance que j'en pouvois attendre d'un homme aussi froidement poli, et que de mon côté j'avois une haute opinion de ses talens, de ses lumières, de l'ambition qu'il avoit eue de se signaler dans sa place en faisant le bien de l'Etat, je m'affligeai de sa retraite.

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J'avois d'ailleurs, pour Mme. Necker, la plus sincère vénération; car je n'avois vu en elle que bonté, sagesse et vertu;

et l'affection particulière dont elle m'honoroit méritoit bien que je prisse part à un événement dont je ne doutois pas qu'elle ne fût très-affectée.

Lorsque je l'appris à Saint-Brice, les croyant déjà retirés dans leur maison de campagne à Saint-Ouën, je m'y rendis sur l'heure. Ils n'y étoient pas arrivés encore; et poursuivant ma route, j'allois les trouver à Paris. Je les rencontrai en chemin. « Vous veniez nous voir? me dit Necker; montez dans notre voiture, et venez à Saint-Ouen ». Je les y accompagnai. Nous fûmes seuls toute la soirée avec Germani, frère de Necker; et ni le mari, ni la femme, ne me dissimulèrent leur profonde tristesse. Je tâchai de la diminuer en parlant des regrets qu'ils laisseroient dans le public, et de la juste considération qui les suivroit dans leur retraite; en quoi je ne les flattois pas.

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Je ne regrette, me dit Necker, que le bien que j'avois à faire, et que j'aurois fait, si l'on m'en eût laissé le temps ».

Pour moi, je ne voyois alors, dans sa

situation, qu'une retraite honorable, une fortune indépendante, du repos, de la liberté, des occupations dont il auroit le choix, une société qui n'étoit pas de celles que la faveur attire et que la défaveur éloigne, et dans son intérieur tout ce que la vie privée et domestique pouvoit avoir de douceur pour un homme sage. Mais j'avoue que je parlois d'après mes goûts, plus que d'après les siens; car je pensois bien que, sans l'occupation des affaires publiques et l'influence qu'elles donnent, il ne pouvoit être content. Sa femme parut sensible au soin que je prenois d'affoiblir l'impression du coup dont il étoit frappé. Ainsi ma liaison avec eux, bien loin d'être affoiblie par cet événement, n'en fut que plus étroite.

Ma femme, pour l'amour de moi, répondoit à leurs prévenances et à leurs invitations. Mais elle avoit pour M. Necker une aversion insurmontable. Elle avoit apporté de Lyon la persuasion que M. Necker étoit la cause de la disgrâce

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