Ne pofféderoient plus les effets de leur pere, Ce que difoit le teftament. Le peuple s'étonna comme il se pouvoit faire Qu'un homme feul eût plus de fens Qu'une multitude de gens. Fin du deuxieme Livre. 97 LIVRE TROISIEME. FABLE PREMIERE. Le Meunier, fon Fils, & l'Ane. A. M. D. M. L'INVENTION des Arts étant un droit d'aînesse, Nous devons l'Apologue à l'ancienne Grece : Mais ce champ ne fe peut tellement moissonner, Que les derniers venus n'y trouvent à glaner. La feinte eft un pays plein de terres défertes. Tous les jours nos Auteurs. y font des décou vertes. Je t'en veux dire un trait affez bien inventé: Autrefois à Racan, Malherbe l'a conté. Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de fa Lyre, Difciples d'Apollon, nos Maîtres, pour mieux dire Se rencontrant un jour tout seuls & fans témoins, Tome I. I (Comme ils fe confioient leurs penfers & leurs foins) Racan commence ainfi : Dites-moi, je vous prie, A quoi me réfoudrai-je ? Il est temps que j'y pense. Vous connoiffez mon bien, mon talent, ma naiffance. Dois-je, dans la Province établir mon féjour? Prendre emploi dans l'armée,ou bien charge à la Cour? Tout au monde cft mêlé d'amertume & de charmes : La Guerre a fes douceurs,l'Hymen à fes alarmes. Si je fuivois mon goût, je faurois où buter. Mais j'ai les miens, la Cour, le peuple à contenter. Malherbe là-deffus. Contenter tout le monde ? Ecoutez ce récit avant que je réponde. J'ai lu dans quelque endroit, qu'un Meûnier & fon fils, L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits, Mais garçon de quinze ans, fi j'ai bonne mémoire, Alloient vendre leur Ane un certain jour de Foire Afin qu'il fût plus frais & de meilleur débit, On lui lia les pieds, on vous le fufpendit: Puis cet homme & fon fils le portent comme un luftre : Pauvres gens, idiots, couple ignorant & ruftre ! Quelle farce, dit il, vont jouer ces gens là ? Le plus vieux, au garçon, s'écria tant qu'il put : monte. Quand trois filles paffant, l'une dit: C'eft grand'honte Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils, Tandis que ce nigaud, comme un Evêque affis, Fait le veau fur son Ane, & pense être bien sage. Il n'eft, dit le Meûnier plus de veau à mon âge. Paffez votre chemin, la fille, & m'en croyez. Après maints quolibets, coup fur coup renvoyés, L'homme crut avoir tort & mit fon fils en croupe. Au bout de trente pas, une troifieme troupe Trouve encore à glofer. L'un dit : Ces gens font fous. Le Baudet n'en peut plus, il mourra fous leurs coups. Hé quoi! charger ainfi cette pauvre Bourique! N'ont-ils point de pitié de leur vieux Domestique, Sans doute qu'à la Foire ils vont vendre fa peau. Parbleu, dit le Meûnier, eft bien fou du cerveau, Qui prétend contenter tout le monde & fon pere. Effayons toutefois, fi par quelque maniere Nous en viendrons à bout. Ils defcendent tous deux, L'Ane se prélaffant marche feul devant eux. mode Que Baudet aille à l'aife, & Meûnier s'incommode? Qui de l'Ane ou du Maître eft fait pour le laffer? Beau trio de Baudets! Le Meunier repartit: |