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Le vase eft imbibé, l'étoffe a pris fon pli.
En vain de fon train ordinaire
On le veut défaccoutumer.
Quelque chofe qu'on puiffe faire,
On ne fauroit le réformer.
Coups de fourches, ni d'étrivieres
Ne lui font changer de manieres;
Et fuffiez-vous embâtonnés,
Jamais vous n'en ferez les maîtres.
Qu'on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.

FABLE XIX.

Le Lion & l'Ane chaffant. Le Roi des animaux se mit un jour en tête

De giboyer. Il célébroit fa fête.

Le gibier du Lion ce ne font point moineaux, Mais beaux, bons Sangliers, Daims & Cerfs bons & beaux.

Pour réuffir dans cette affaire,

I fe fervit du miniftere

De l'Ane à la voix de stentor. L'Ane à Meffer Lion fit office de cor. Le Lion le pofta, le couvrit de ramée,

Lui commanda de braire, affuré qu'à ce fon
Les moins intimidés fuiroient de leur maison.
Leur troupe n'étoit pas encore accoutumée
A la tempête de fa voix :

L'air en retentiffoit d'un bruit épouvantable:
La frayeur faififfoit les hôtes de ces bois.
Tous fuyoient, tous tomboient au piége inévi❤
table

Où les attendoit le Lion.

N'ai-je pas bien fervi dans cette occafion?

Dit l'Ane, en fe donnant tout l'honneur de la

chaffe.

Oui, reprit le Lion, c'eft bravement crié.
Si je ne connoiffois ta perfonne & ta race,
J'en ferois moi-même effrayé.

L'Ane, s'il eût ofé, fe fût mis en colere,
Encor qu'on le raillât avec jufte raison:
Car qui pourroit fouffrir un Ane fanfaron?
Ce n'eft pas là leur caractere.

FABLE XX.

Teftament expliqué par Éfope,
Si ce qu'on dit d'Efope est vrai,

C'étoit l'oracle de la Grece :

Lui feul avoit plus de fageffe

Que tout l'Aréopage. En voici pour essai
Une histoire des plus gentilles;

Et qui pourra plaire au lecteur.

Un certain homme avoit trois filles,
Toutes trois de contraire humeur :
Une buveuse, une coquette,
La troifieme avare parfaite.

Cet homme par fon teftament,
Selon les loix municipales,

Leur laiffa tout fon bien par portions égales,
En donnant à leur mere tant,
Payable quand chacune d'elles
Ne pofféderoit plus fa contingente part.
Le pere mort, les trois femelles
Courent au Teftament fans attendre plus tard.
On le lit; on tâche d'entendre

La volonté du Teftateur,

Mais en vain ; car comment comprendre
Qu'auffi-tôt que chacune fœur

Ne poffédera plus fa part héréditaire,
Il lui faudra payer fa inere?

Ce n'est pas un fort bon moyen
Pour payer, que d'être fans bien.
Que vouloit donc dire le pere?
L'affaire eft confultée ; & tous les Avocats
Après avoir tourné le cas

En cent & cent mille manieres,

Y jettent leur bonnet, fe confeffent vaincus ;

Et confeillent aux héritieres

De partager le bien fans fonger aux furplus.
Quant à la fomme de la veuve,

Voici, leur dirent-ils, ce que le Confeil treuve :
Il faut que chaque four fe charge par traité
Du tiers payable à volonté,

Si mieux n'aime la mere en créer une rente
Dès le décès du mort courante.

La chose ainfi réglée, on compofa trois lots:
En l'un, les maifons de bouteille,
Les buffets dreffés fous la treille,

La vaiffelle d'argent, les cuvettes, les brocs,
Les Magafins de Malvoifie,

Les efclaves de bouche, & pour dire en deux

mots,

L'attirail de la goinfrerie.

Dans un autre, celui de la coquetterie,
La maison de la ville, & les meubles exquis,
Les Eunuques & les Coëffeuses,

Et les Brodeufes,

Les joyaux, les robes de prix.

Dans le troifieme lot, les fermes, le ménage,
Les troupeaux & le pâturage,

Valets & bêtes de labeur.

Ces lots faits, on jugea que le fort pourroit faire,
Que peut-être pas une fœur
N'auroit ce qui lui pourroit plaire.
Ainfi, chacune prit fon inclination,
Le tout à l'estimation.

Ce fut dans la ville d'Athenes,
Que cette rencontre arriva.

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Petits & grands, tout approuva Le partage & le choix. Efope feul trouva Qu'après bien du temps & des peines, Les gens avoient pris justement Le contre-pied du teftament. Si le défunt vivoit, difoit-il, que l'Attique Auroit de reproches de lui ! Comment! Ce peuple qui fe pique D'être le plus fubtil des peuples d'aujourd'hui, A fi mal entendu la volonté fuprême D'un Teftateur ! Ayant ainfi parlé, Il fait le partage lui-même,

Et donne à chaque fœur un lot contre son gré, Rien qui pût être convenable,

Partant rien aux fœurs d'agréable:

A la Coquette l'attirail

Qui fuit les perfonnes buveuses:
La Biberonne eut le bétail :
La Ménagere eut les coëffeufes.
Tel fut l'avis du Phrygien,
Alléguant qu'il n'étoit moyen
Plus sûr pour obliger ces filles
A fe défaire de leur bien :

Qu'elles fe mariroient dans les bonnes fa milles,

:

Quand on leur verroit de l'argent :
Pairoient leur mere tout comptant,

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