FABLE X. L'Ane chargé d'éponges, & l'Ane chargé de fel. UN N Anier, fon fceptre à la main, Deux Courfiers à longues oreilles. L'un d'éponges chargé marchoit comme un courier : Et l'autre fe faisant prier, Portoit, comme on dit, les bouteilles. L'Anier, qui tous les jours traversoit ce gué-là, Chaffant devant lui l'autre bête, Camarade Epongier prit exemple fur lui, Comme un Mouton qui va deffus la foi d'autrui. Voilà mon Ane à l'eau jusqu'au col il se plonge, Lui, le conducteur & l'éponge. Tous trois bûrent d'autant : l'Anier & le Grison Firent à l'éponge raison. Celle-ci devint fi pefante, Et de tant d'eau s'emplit d'abord, Que l'Ane fuccombant ne put gagner le bord. L'Anier l'embraffoit dans l'attente D'une prompte & certaine mort. Quelqu'un vint au fecours : qui ce fut, il n'im porte. C'eft affez qu'on ait vu par-là qu'il ne faut point FABLE XI Le Lion & le Rat. Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde On a fouvent befoin d'un plus petit que foi. De cette vérité deux Fables feront foi, Tant la chofe en preuves abonde. Entre les pattes d'un Lion, Un Rat fortit de terre affez à l'étourdie. Dont fes rugiffemens ne le purent défaire. Patience & longueur de temps FABLE XII. La Colombe & la Fourmis. L'AUTRE exemple eft tiré d'animaux plus petits Le long d'un clair ruiffeau buvoit une Colombe Quand fur l'eau fe penchant une Fourmis y tombe. Et dans cet Océan l'on cût vu la Fourmis, . S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive. Paffe un certain Croquant qui marchoit les pieds nus: Ce Groquant, par hafard, avoit une aibalete. Dès qu'il voit l'Oiseau de Vénus, Il le croit en fon pot, & déja lui fait fête. Tandis qu'à le tuer mon Villageois s'apprête, La Fourmis le pique au talon. Le Vilain retourne la téte. La Colombe l'entend, part, & tire de long. Le foupé du Croquant avec elle s'envole: Point de Pigeon pour une obole. FABLE XIII L'Aftrologue qui fe laiffe tomber dans un puits. UN N Aftrologue un jour fe laiffa cheoir Au fond d'un puits. On lui dit : Pauvre bête, Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir, Penfes-tu lire au-dessus de ta tête ? Cette aventure en foi, fans aller plus avant, Peut fervir de leçon à la plupart des hommes. Parmi ce que de gens fur la terre nous fommes, Il en eft peu qui fort fouvent Ne fe plaifent d'entendre dire, Qu'au livre du Deftin les mortels peuvent lire. Or du hasard il n'eft point de science : De l'appeller hasard, ni fortune, ni sort, Quant aux volontés fouveraines De celui qui fait tout, & tien qu'avec deffein, Qui les fait que lui feul? Comment lire en fon fein? Auroit-il imprimé fur le front des Etoiles Ce que la nuit des temps enferme dans fes voiles? A quelle utilité? Pour exercer l'efprit De ceux qui de la Sphere & du Globe ont écrit Pour nous faire éviter des maux inévitables? Nous rendre dans les biens de plaifirs incapables? Et caufant du dégoût pour ces biens prévenus, Les convertir en maux devant qu'ils foient venus ? C'eft erreur, ou plutôt c'est crime de le croire. Le Firmament fe meut, les Aftres font leur cours, |