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Vous n'auriez pas tant à fouffrir,
Je vous défendrois de l'orage.

Mais vous naiffez le plus fouvent

Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La Nature envers vous me femble bien injufte.
Votre compaffion, lui répondit l'Arbuste,
Part d'un bon naturel, mais quittez ce fouci:
Les vents me font moins qu'à vous redou-

tables.

Je plie, & ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables

Réfifté fans courber le dos:

Mais attendons la fin. Comme il difoit ces mots,
Du bout de l'horifon accourt avec furie
Le plus terrible des enfans

Que le nord eft porté jusque-là dans fes flancs.
L'Arbre tient bon, le Rofeau plie:
Le vent redouble fes efforts,

Et fait fi bien qu'il déracine

Celui de qui la tête étoit au ciel voifine,

Et dont les pieds touchoient à l'empire des

morts.

LIVRE DEUXIEME.

FABLE PREMIERE.

Contre ceux qui ont le goût difficile.

QUAND

UAND j'aurois, en naissant, reçu de Calliope Les dons qu'à fes Amans cette Mufe a promis, Je les confacrerois aux menfonges d'Efope:

Le menfonge & les vers de tout temps font amis.

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Mais je ne me crois pas fi chéri du Parnasse
Que de favoir orner toutes les fictions:
On peut donner du luftre à leurs inventions:
On le peut, je l'effaie, un plus favant le faffe.
Cependant jufqu'ici, d'un langage nouveau
J'ai fait parler le Loup & répondre l'Agneau :
J'ai paffé plus avant, les Arbres & les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes :
Qui ne prendroit ceci pour un enchantement!
Vraiment, me diront nos critiques,
Vous parlez magnifiquement

De cinq ou fix contes d'enfant.

Cenfeurs, en voulez-vous qui foient plus authentiques

Et d'un ftyle plus haut? En voici. Les Troyens, Après dix ans de guerre autour de leurs mu

railles,

Avoient laiffé les Grecs, qui, par mille moyens, Par mille affauts, par cent batailles,

N'avoient pu mettre à bout cette fiere Cité :
Quand un Cheval de bois, par Minerve inventé,
D'un rare & nouvel artifice,

Dans les énormes flancs reçut le fage Uliffe,
Le vaillant Diomede, Ajax l'impétueux,
Que ce Coloffe monftrueux

Avec leurs efcadrons devoit porter dans Troye,
Livrant à leur fureur fes Dieux mêmes en proie:
Stratagême inoui, qui des Fabricateurs

Paya la conftance & la peine.

C'eft affez, me dira quelqu'un de nos Auteurs,
La période eft longue, il faut reprendre haleine.
Et puis, votre Cheval de bois,

Vos Héros, avec leurs Phalanges,
Ce font des contes plus étranges,

Qu'un Renard qui cajole un Corbeau fur fa voix.

De plus, il vous fied mal d'écrire en fi haut

ftyle;

Hé bien, baiffons d'un ton. La jaloufe Amarille Songeoit à fon Alcipe, & croyoit de fes foins

Navoir que fes moutons & fon chien pour témoins.

Tircis qui l'apperçut fe gliffe entre des faules,
Il entend la Bergere adreffant fes paroles
Au doux Zéphir, & le priant
De les porter à fon Amant.
Je vous arrête à cette rime,
Dira mon Cenfeur à l'inftant:
Je ne la tiens pas légitime,
Ni d'une affez grande vertu.
Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la
fonte.

Maudit Cenfeur, te tairas-tu?
Ne faurois-je achever mon conte?
C'est un deffein très-dangereux
Que d'entreprendre de te plaire.

Les délicats font malheureux :
Rien ne fauroit les fatisfaire.

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Confeil tenu par les Rats.
UN Chat nommé Rodilardus,

Faifoit de Rats telle déconfiture,
Que l'on n'en voyoit prefque plus,

Tant il en avoit mis dedans la fépulture.

Le peu qu'il en reftoit n'ofant quitter fon

trou,

Ne trouvoit à manger que le quart de fon fou;
Et Rodilard paffoit, chez la gent miférable,

Non pour un Chat, mais pour un diable.
Or, un jour qu'au haut & au loin

Le galant alla chercher femme,

Pendant tout le fabbat qu'il fit avec sa Dame, Le demeurant des Rats tint Chapitre en un coin Sur la néceffité préfente.

Dès l'abord, leur Doyen, perfonne très-prudente,

Opina qu'il falloit, & plutôt que plus tard,
Attacher un grelor au cou de Rodilard,
Qu'ainfi, quand il iroit en guerre,

De fa marche avertis ils s'enfuiroient fous terre:
Qu'il n'y favoit que ce moyen.
Chacun fut de l'avis de Monfieur le Doyen.
Chose ne leur parut à tous plus falutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.

L'un dit: Je n'y vas point, je ne fuis pas fi fot: L'autre: Je ne faurois. Si bien que fans rien faire

On fe quitta. J'ai maints Chapitres vus,
Qui pour néant fe font ainfi tenus:

Chapitres, non de Rats, mais Chapitres do
Moines;

Voire, Chapitres de Chanoines.

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