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FABLE XVII

L'Homme entre deux âges & fes deux Maîtreffes.

UN homme de moyen âge,

En tirant fur le grifon,
Jugea qu'il étoit faifon

De fonger au mariage.

Il avoit du comptant,
Et partant

De quoi choifir. Toutes vouloient lui plaire : En quoi notre amoureux ne fe preffoit pas tant Bien adreffer n'eft pas une petite affaire.

Deux veuves fur fon cœur eurent le plus de part :
L'une encor verte, & l'autre un peu bien mûre,
Mais qui réparoit par fon art
Ce qu'avoit détruit la nature.
Ces deux veuves en badinant,
En riant, en lui faifant fête,
L'alloient quelquefois teftonnant,
C'est-à-dire, ajuftant la tête.

La vicille à tous momens de fa part emportoit
Un peu de poil noir qui reftoit,

Afin que fon amant en fût plus à fa guife.

La jeune faccageoit les poils blancs à fon tour.
Toutes deux firent tant que notre tête grife
Demeura fans cheveux, & fe douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille graces, les Belles',
Qui m'avez fi bien tondu:

J'ai plus gagné que perdu :
Car d'hymen point de nouvelles.
Celle que je prendrois voudroit qu'à sa façon
Je vécuffe, & non à la mienne.
Il n'eft tête chauve qui tienne :
Je vous fuis obligé, Belles, de la leçon.

FABLE XVIII

Le Renard & la Cicogne.

COMPERE le Renard se mit un jour en frais,

Et retint à dîner commere la Cicogne.

Le régal fut petit, & fans beaucoup d'apprêts.
Le galant, pour toute befogne,

Avoit un brouet clair, ( il vivoit chichement)
Ce brouet fut par lui fervi fur une affiette.
La Cicogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour le venger de cette tromperie,

A quelque temps de-là, la Cicogne le prie,

يه

FABLE X X.

Le Coq & la Perle.
UN jour un Coq détourna

Une Perle qu'il donna
Au beau premier Lapidaire.
Je la crois fine, dit-il,
Mais le moindre grain de mil
Seroit bien mieux mon affaire.

Un ignorant hérita

D'un manuferit qu'il porta
Chez fon voifin le Libraire.
Je crois, dit-il, qu'il eft bon,
Mais le moindre ducaton
Seroit bien mieux mon affaire.

FABLE X X I.

Les Frêlons & les Mouches à miel.

A

L'ŒUVRE on connoît l'artifan. Quelques rayons de miel fans maître fe trou

verent,

Des

Des Frêlons les réclamerent.

Des Abeilles s'opposant,

Devant certaine Guêpe on traduifit la cause.
Il étoit mal-aifé de décider la chofe.

Les témoins dépofoient qu'autour de ces rayons
Des animaux aîlés, bourdonnans, un peu longs,
De couleur fort tannée, & tels que les Abeilles,
Avoient long-temps paru. Mais quoi? Dans les
Frêlons

Ces enfeignes étoient pareilles.

La Guêpe ne fachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle ; &, pour plus de lumiere,
Entendit une fourmilliere.

Le point n'en put être éclairci.
De grace, à quoi bon tout ceci?
Dit une Abeille fort prudente;

Depuis tantôt fix mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.

Il est temps déformais que le Juge se hâte,
N'a-t-il point affez léché l'Ours?
Sans tant de contredits & d'interlocutoires,
Et de fattas & de grimoires,

Travaillons, les Frêions & nous :

On verra qui fait faire, avec un fuc fi doux,
Des cellules fi bien bâties.

Le refus des Frêlons fit voir

Que cet art paffoit leur savoir;

Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.

Tome I.

F

Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès !
Que des Turcs en cela l'on fuivît la méthode !

Le fimple fens commun nous tiendroit lieu de

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Code.

Il ne faudroit point tant de frais.

Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge;

On nous mine par des longueurs.

On fait tant à la fin que l'huître eft pour le Juge, Les écailles pour les Plaideurs.

FABLE

XXII.

Le Chêne & le Rofeau.

LE Chêne un jour dit au Roseau :

Vous avez bien fujet d'accufer la nature.
Un Roitelet pour vous eft un pefant fardeau,
Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baiffer la tête :

Cependant que mon front, au Caucafe pareil,
Non content d'arrêter les rayons du Soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous eft Aquilon, tout me semble Zéphir,
Encor fi vous naiffiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

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