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Qui te rend fi hardi de troubler mon breuvage? Dit cet animal plein de rage.

Tu feras châtié de ta témérité.

Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
Ne fe mette pas en colere,
Mais plutôt qu'elle confidere
Que je me vas défaltérant
Dans le courant,

Plus de vingt pas au-deffous d'elle;
Et que, par conféquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler fa boiffon.

Tu la troubles, reprit cette bête cruelle:
Et je fai que de moi tu médis l'an paffé.
Comment l'aurois-je fait fi je n'étois pas né?
Reprit l'Agneau, je tete encor ma mere.
Si ce n'eft toi, c'est donc ton frere.

Je n'en ai point. C'est donc quelqu'un des tiens,

Car vous ne m'épargnez guere,

Vous vos Bergers & vos Chiens.
On me l'a dit il faut que je me venge.
Là deffus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, & puis le mange
Sans autre forme de procès.

FABLE X I.

L'Homme & fon Image.

POUR

M. LEDUC DE LA ROCHEFOUCAULT.

Un homme, qui s'aimoit fans avoir de rivaux,

Paffoit dans fon efprit pour le plus beau du monde.

Il accufoit toujours les miroirs d'être faux, Vivant plus que content dans fon erreur profonde.

Afin de le guérir, le fort officieux

Préfentoit par tout à fes yeux

Les confeillers muets dont fe fervent nos Dames. Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands,

Miroirs aux poches des galans,

Miroirs aux ceintures des femmes. Que fait notre Narciffe? Il fe va confiner Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer, N'ofant plus des miroirs éprouver l'aventure: Mais un canal, formé par une fource pure, Se trouve en ces lieux écartés :

Il s'y voit, il fe fâche, & fes yeux irrités

Penfent appercevoir une chimere vaine.

Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau.
Mais quoi! le canal eft fi beau,

Qu'il ne le quitte qu'avec peine.
On voit bien où je veux venir.

Je parle à tous; & cette erreur extrême
Eft un mal que chacun fe plaît d'entretenir.
Notre ame, c'est cet homme amoureux de lui-
même :

Tant de miroirs, ce font les fottifes d'autrui, Miroirs, de nos défauts les Peintres légitimes. Et quant au canal, c'est celui

Que chacun fait, le livre des Maximes.

FABLE XII.

Le Dragon à plufieurs têtes, & le Dragon à plufieurs queues.

UN Envoyé du Grand-Seigneur,

Préféroit, dit l'Hiftoire, un jour chez l'Empe

reur,

Les forces de fon Maître à celles de l'Empire. Un Allemand fe mit à dire :

Notre Prince a des dépendans

Qui, de leur chef, font fi puiffans,

Que

Que chacun d'eux pourroit foudoyer une armée. Le Chiaoux, homme de fens,

Lui dit: Je fais par renommée

Ce que chaque Electeur peut de monde fournir ; Et cela me fait fouvenir

D'une aventure étrange, & qui pourtant eft vraie.

J'étois en un lieu sûr, lorfque je vis passer
Les cent têtes d'une Hydre au travers d'une haie.
Mon fang commence à fe glacer ;

Et je crois qu'à moins on s'effraie.

Je n'en eus toutefois que la peur fans le mal. Jamais le corps de l'animal

Ne peut venir vers moi, ni trouver d'ouverture. Je rêvois à cette aventure,

Quand un autre Dragon qui n'avoit qu'un feul

chef,

Et bien plus d'une queue, à paffer se préfente. Me voilà faifi de rechef

D'étonnement & d'épouvante.

Ce chef paffe, & le corps, & chaque queue auffi.

Rien ne les empêcha, l'un fit chemin à l'autre. Je foutiens qu'il en eft ainfi

De votre Empereur & du nôtre.

Tome I.

FABLE XIII.

POUR

Les Voleurs & l'Ane.

un Ane enlevé deux voleurs fe battoient:

L'un vouloit le garder, l'autre le vouloit vendre. Tandis que coups de poings trotoient,

Et que nos champions fongeoient à se défendre, Arrive un troifieme larron,

Qui faifit maître Aliboron.

L'Ane, c'est quelquefois une pauvre Province.
Les voleurs font tel & tel Prince,
Comme le Tranfilvain, le Turc & le Hongrois :
Au lieu de deux j'en ai rencontré trois.
Il eft affez de cette marchandise.

De nul d'eux n'eft fouvent la Province conquise,
Un quart voleur furvient, qui les accorde net,
En fe faififfant du Baudet.

FABLE XIV.

Simonide préservé par les Dieux. ON ne peut trop louer trois fortes de perfonnes,

Les Dieux, fa Maîtreffe & fon Roi,

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