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Tout fage qu'il étoit, dit des chofes pareilles.
Il jugea qu'à fon appétit,
Dame Baleine étoit trop groffe.
Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit,
Se croyant pour elle une coloffe.
Jupin les renvoya s'étant cenfurés tous:

Du refte contens d'eux. Mais parmi les plus fous
Notre espece excella; car tout ce que nous

fommes,

Lynx envers nos pareils, & Taupes envers nous, Nous nous pardonnons tout, & rien aux autres hommes.

On fe voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.

Le Fabricateur fouverain

Nous créa Befaciers tous de même maniere, Tant ceux du temps paffé que du temps d'aujourd'hui.

Il fit pour nos défauts la poche de derriere,
Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

FABLE VIILA

L'Hirondelle & les petits Oiseaux. UNE Hirondelle en fes voyages

Avoit beaucoup appris. Quiconque a beaucoup

vu,

Diij

Peut avoir beaucoup retenu. Celle-ci prévoyoit jufqu'aux moindres orages, Et, devant qu'ils fuffent éclos,

Les annonçoit aux Matelots.

Il arriva qu'au temps que le chanvre fe feme,
Elle vit un Manant en couvrir maints fillons.
Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oifillons,
Je vous plains: car pour moi, dans ce péril ex-
trême,

Je faurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine?
Un jour viendra, qui n'eft pas loin,
Que ce qu'elle répand fera votre ruine.
De-là naîtront engins vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper;
Enfin mainte & mainte machine,
Qui caufera dans la faifon
Votre mort ou votre prifon :
Gare la cage ou le chaudron.
C'est pourquoi, leur dit l'Hirondelle,
Mangez ce grain, & croyez-moi.
Les Oiseaux fe moquerent d'elle :

Ils trouvoient aux champs trop de quoi.
Quand la cheneviere fut verte,
L'Hirondelle leur dit: Arrachez brin à brin
Ce qu'a produit ce maudit grain,
Ou foyez fûrs de votre perte.

Prophete de malheur, babillarde, dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes!

Il nous faudroit mille perfonnes
Pour éplucher tout ce canton.

La chanvre étant tout-à-fait crûe,
L'Hirondelle ajouta : Ceci ne va pas bien :
Mauvaise graine eft tôt venue.

Mais puifque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, & qu'à leurs bleds
Les gens n'étant plus occupés,
Feront aux Oifillons la guerre,
Quand reginglettes & réseaux
Attraperont petits Oiseaux,

Ne volez plus de place en place;
Demeurez au logis, ou changez de climat :
Imitez le Canard, la Grue & la Bécaffe.
Mais vous n'êtes pas en état

De paffer, comme nous, les déferts & les ondes, Ni d'aller chercher d'autres mondes:

C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit

für,

C'eft de vous renfermer aux trous de quelque

mur.

Les Oifillons las de l'entendre, Se mirent à jafer auffi confufément

Que faifoient les Troyens, quand le pauvre Caffandre

Ouvroit la bouche feulement.

Il en prit aux uns comme aux autres. Maint Oifillon fe vit efclave retenu.

Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui font les nôtres,

Et ne croyons le mal que quand il eft venu.

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Le Rat de ville & le Rat des champs.
AUTREFOIS le Rat de ville

Invita le Rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'Ortolans.

Sur un tapis de Turquie
Le couvert fe trouva mis.
Je laiffe à penser la vie
Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquoit au festin:
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étoient en train.
A la porte de la fale
Ils entendirent du bruit.
Le Rat de ville détale,
Son camarade le fuit.

Le bruit ceffe, on fe retire:
Rats en campagne auffi-tôt :
Et le Citadin de dire,
Achevons tout notre rôt.

C'eft affez, dit le Ruftique :
Demain vous viendrez chez moi,
Ce n'eft pas que je me pique
De tous vos feftins de Roi;

Mais rien ne vient m'interrompre:
Je mange tout à loifir.
Adieu donc, fi du plaifir
Que la crainte peut corrompre.

FABLE X.

Le Loup & l'Agneau.

LA raifon du plus fort est toujours la meil

leure,

Nous l'allons montrer tout-à-l'heure.

Un Agneau fe défaltéroit

Dans le courant d'une onde pure,

Un Loup furvient à jeun, qui cherchoit aven

ture,

Et que la faim en ces lieux attiroit.

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