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Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands
Seigneurs :

Tout petit Prince a des Ambassadeurs :
Tout Marquis veut avoir des Pages.

FABLE IV.

Les deux Mulets.

DEUX Mulets cheminoient, l'un d'avoine

chargé,

L'autre portant l'argent de la gabelle.
Celui-ci, glorieux d'une charge fi belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être foulagé,
Il marchoit d'un pas relevé,
Et faifoit fonner fa fonnette:
Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en vouloit à l'argent,
Sur le Mulet du fifc une troupe se jette,
Le faifit au frein & l'arrête.

Le Mulet, en fe défendant,

Se fent percer de coups; il gémit, il soupire.
Eft-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avoit promis?
Ce Mulet qui me fuit, du danger fe retire,
Et moi j'y tombe & j'y péris.

Ami, lui dit fon camarade,

Il n'eft pas toujours bon d'avoir un haut em

ploi :

Si tu n'avois fervi qu'un Meûnier comme moi,
Tu ne ferois pas fi malade.

J

FABLE V.

Le Loup & le Chien.
UN Loup n'avoit que les os & la peau,

Tant les Chiens faifoient bonne garde :

Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que

beau,

Gras, poli, qui s'étoit fourvoyé par mégarde.

L'attaquer, le mettre en quartiers,

Sire Loup l'eût fait volontiers,
Mais il falloit livrer bataille;

Et le Mâtin étoit de taille

A fe défendre hardiment.

Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, & lui fait compliment
Sur fon embonpoint qu'il admire.

Il ne tiendra qu'à vous, beau Sire,
D'être auffi gras que moi, lui répartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :

Vos pareils y font misérables,

Tome I.

D

Cancres, heres & pauvres diables,

Dont la condition eft de mourir de faim.

Car quoi? Rien d'afsuré : point de franche lipée : Tout à la pointe de l'épée.

Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin.

Le Loup reprit: Que me faudra-t-il faire ? Preíque rien, dit le Chien, donner la chaffe aux gens

Portant bâtons, & mendians ;

Flatter ceux du logis, à fon maître complaire:
Moyennant quoi, votre falaire

Sera force reliefs de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons,

Sans parler de mainte careffe.
Le Loup déja fe forge une félicité,
Qui le fait pleurer de tendreffe.

Chemin faifant, il vit le col du Chien pelé : Qu'est-cela? lui dit-il. Rien. Quoi rien? Peu de

chofe.

Mais encor? Le colier dont je fuis attaché,
De ce que vous voyez eft peut-être la cause.
Attaché! dit le Loup: Vous ne courez donc pas
Où vous voulez? Pas toujours, mais qu'im-
porte ?

Il importe fi bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune forte;

Et ne voudrois pas même à ce prix un tréfor.
Cela dit, maître Loup s'enfuit, & court encor.

FABLE VI

La Geniffe, la Chevre & la Brebis, en fociété avec le Lion.

LA Geniffe, la Chevre, & leur fœur la Brebis,

Avec un fier Lion, feigneur du voisinage,
Firent fociété, dit-on, au temps jadis,

Et mirent en commun le gain & le dommage. Dans les lacs de la Chevre un Cerf se trouva pris.

Vers fes affociés auffi-tôt elle envoie.

Eux venus,
le Lion par les ongles compta,
Et dit: Nous fommes quatre à partager la proie;
Puis, en autant de parts le Cerf il dépeça,
Prit pour lui la premiere en qualité de Sire:
Elle doit être à moi, dit-il, & la raison,
C'est que je m'appelle Lion :

A cela l'on n'a rien à dire.

La feconde, par droit, me doit échoir encor: Ce droit, vous le favez, c'est le droit du plus

fort.

Comme le plus vaillant je prétends la troificme. Si quelqu'une de vous touche à la quatrieme, Je l'étranglerai tout d'abord,

FABLE VIL

La Beface.

JUPITER dit un jour : Que tout ce qui refpire

S'en vienne comparoître aux pieds de ma grandeur,

Si dans fon compofé quelqu'un trouve à redire,
Il peut le déclarer fans peur :
Je mettrai remede à la chofe.
Venez, Singe, parlez le premier, & pour caufe;
Voyez ces animaux: faites comparaifon
De leurs beautés avec les vôtres.

Etes-vous fatisfait? Moi, dit-il, pourquoi non ? N'ai-je pas quatre pieds auffi bien que les autres?

Mon portrait, jufqu'ici, ne m'a rien reproché ; Mais pour mon frere l'Ours on ne l'a qu'ébauché :

Jamais, s'il me veut croire, il ne fe fera peindre. L'Ours venant là-deffus, on crut qu'il s'alloit

plaindre.

Tant s'en faut, de fa forme il se loua très-fort, Glofa fur l'Eléphant, dit qu'on pourroit encor Ajouter à fa queue, ôter à fes oreilles,

Que c'étoit une masse informe & fans beauté, L'Eléphant étant écouté,

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