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temple eft le monde; la colonne, l'an; les villes, ce font les mois; & les arcboutans, les jours, autour defquels fe promenent alternativement le jour & la nuit.

Le lendemain, Necténabo affembla tous fes amis. Souffrirez-vous, leur dit-il, qu'une moitié d'homme, qu'un avorton foit la caufe que Lycérus remporte le prix, & que j'aie la confufion pour mon partage? Un d'eux s'avifa de demander à Efope qu'il leur fît des questions des chofes dont ils n'euffent jamais entendu parler. Efope écrivit une cédule, par laquelle Necténabo confeffoit devoir deux milles talens à Lycérus. La cédule fut mife entre les mains de Necténabo, toute cachetée. Avant qu'on l'ouvrît, les amis du Prince foutinrent que la chofe contenue dans cet écrit étoit de leur connoiffance. Quand on l'eut ouverte, Necténabo s'écria: Voilà la plus grande fauffeté du monde je vous en prens à témoins tous tant que vous êtes. Il eft vrai, repartirent-ils, que nous n'en avons jamais entendu parler. J'ai donc fatisfait à votre demande, reprit Efope. Necténabo le renvoya comblé de présens, tant pour lui que pour fon Maître.

Le séjour qu'il fit en Egypte est peut-être cause que quelques-uns ont écrit qu'il fut Efclave

avec Rhodope, celle-là qui, des libéralités de fes amans, fit élever une des trois pyramides qui fubfiftent encore, & qu'on voit avec admiration c'eft la plus petite, mais celle qui eft bâtie avec plus d'art.

Efope, à fon retour dans Babylone, fut reçu de Lycérus avec de grandes démonftrations de joie & de bienveillance ce Roi lui fit ériger une Statue. L'envie de voir & d'apprendre le fit renoncer à tous ces honneurs. Il quitta la Cour de Lycérus, où il avoit tous les avantages qu'on peut fouhaiter, & prit congé de ce Prince pour voir la Grece encore une fois. Lycérus ne le laiffa pas partir fans embraffemens & fans le faire promettre fur les autels, qu'il reviendroit achever fes jours auprès de lui.

Entre les Villes où il s'arrêta, Delphes fut une des principales. Les Delphiens l'écouterent fort volontiers, mais il ne lui rendirent point d'honneurs. Elope, piqué de ce mépris, les compara aux bâtons qui flotent fur l'onde: on s'imagine de loin que c'est quelque chofe de confidérable de près on trouve que ce n'eft rien. La comparaison lui coûta cher. Les Delphiens en concurent une telle haine, & un fi violent defir de vengeance (outre qu'ils crai

gnoient d'être décriés par lui) qu'ils réfolurent de l'ôter du monde. Pour y parvenir, ils cacherent parmi fes hardes un de leurs vafes facrés, prétendant que par ce moyen ils convaincroient Efope de vol & de facrilége, & qu'ils le condamneroient à la mort.

Comme il fut forti de Delphes, & qu'il eut pris le chemin de la Phocide, les Delphiens accoururent comme des gens qui étoient en peine. Ils l'accuferent d'avoir dérobé leur vase. Elope le nia avec des fermens on chercha dans fon équipage, & il fut trouvé. Tout ce qu'Esope put dire, n'empêcha point qu'on le traitât comme un criminel infâme. Il fut ramené à Delphes chargé de fers mis dans des cachots, puis condamné à être précipité. Rien ne lui fervit de le défendre avec fes armes ordinaires, & de raconter des apologues : les Delphiens s'en moquerent.

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La grenouille, leur dit-il, avoit invité le rat à la venir voir. Afin de lui faire traverser l'onde, elle l'attacha à son pied. Dès qu'il fut fur l'eau, elle voulut le tirer au fond, dans le deffein de le noyer, & d'en faire enfuite un repas. Le malheureux rat réfifta quelque peu de temps. Pendant qu'il fe débattoit fur l'eau, un oiseau de proie l'apperçut, fondi

fur lui, & l'ayant enlevé avec la grenouille qui ne fe put détacher, il fe reput de l'un & de, l'autre. C'est ainsi Delphiens abominables, qu'un plus puiffant que nous me vengera: je périrai, mais vous périrez auffi.

Comme on le conduifoit au fupplice, il trouva moyen de s'échapper, & entra dans une petite chapelle dédiée à Apollon. Les Delphiens l'en arracherent. Vous violez cet afyle, parce que ce n'eft qu'une petite chapelle : mais un jour viendra que votre méchanceté ne trouvera point de retraite sûre, non pas même dedans les temples. Il vous arrivera la même chofe qu'à l'aigle, laquelle nonobstant les prieres de l'Efcarbot, enleva un lievre qui s'étoit réfugié chez lui La génération de l'aigle en fut punie jufque dans le giron de Jupiter. Les Delphiens peu touchés de tous ces exemples, le précipiterent.

Peu de temps après la mort, une pefte très - violente exerça fur eux fes ravages. Ils demanderent à l'Oracle par quels moyens ils pourroient appaifer le courroux des Dieux. L'Oracle leur répondit qu'il n'y en avoit point d'autres que d'expier leur forfait, & fatisfaire aux mânes d'Efope. Auffi-tôt une pyramide fut élevée. Les Dieux ne témoigne

rent pas feuls combien ce crime leur déplaifoit; les hommes vengerent auffi la mort de leur fage. La Grece envoya des Commiffaires pour en informer, & en fit une punition rigoureuse.

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