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Armé de diamans, qui tenta cette route
Et le premier ofa l'abîme défier.

Celui-ci, pendant fon voyage,
Tourna les yeux vers fon village
Plus d'une fois : effuyant les dangers

Des Pirates, des vents, du calme & des rochers,
Miniftres de la mort. Avec beaucoup de peines
On s'en va la chercher en des rives lointaines,
La trouvant affez-tôt fans quitter la maison.
L'homme arrive au Mogol on lui dit qu'au
Japon

La Fortune pour lors diftribuoit les graces.
Il y court: les mers étoient laffes
De le porter; & tout le fruit

Qu'il tira de fes longs voyages,

Ce fut cette leçon que donnent les Sauvages:
Demeure en ton pays, par la nature inftruit.
Le Japon ne fut pas plus heureux à cet homme
Que le Mogol l'avoit été :

Ce qui lui fit conclure en fomme,
Qu'il avoit à grand tort son village quitté.
Il renonce aux courses ingrates,

Revient en fon pays, voit de loin ses Pénates, Pleure de joie, & dit: Heureux qui vit chez foi, De régler les défirs faisant tout son emploi.

Il ne fait que par ouï-dire

Ce que c'eft que la Cour, la Mer, & ton Empire, Fortune, qui nous fais paffer devant les yeux Des dignités, des biens, que jufqu'au bout du monde

On fuit, fans qne l'effet aux promeffes réponde.
Déformais je ne bouge, & ferai cent fois mieux.
En raisonnant de cette forte,

Et contre la Fortune ayant pris ce confeil,
Il la trouve affife à la porte
De fon ami plongé dans un profond fommeil.

FABLE XIII.

Les deux Coqs.

DEUX Coqs vivoient en paix; une Poule

furvint;

Et voilà la guerre allumée.

Amour, tu perdis Troie ; & c'eft de toi que vint Cette querelle envenimée,

Où du fang des Dieux mêmes on vit le Xante

teint.

Long-temps, entre nos Coqs, le combat fe maintient :

Le bruit s'en répandit par-tout le voisinage.
La gent qui porte crête au spectacle accourut.
Plus d'une Hélene au beau plumage

Fut le prix du vainqueur : le vaincu disparut :
Il alla fe cacher au fond de fa retraite,

Pleura fa gloire & fes amours;

Ses amours qu'un rival, tout fier de fa défaite,
Poffédoit à fes yeux. Il voyoit tous les jours
Cet objet rallumer fa haîne & fon courage.
Il aiguifoit fon bee, battoit l'air & ses flancs;
Et s'exerçant contre les vents,

S'armoit d'une jalouse rage.

Il n'en eut pas besoin. Son vainqueur fur les toits
S'alla percher & chanter fa victoire.

Un Vautour entendit fa voix:
Adieu les amours & la gloire.

Tout cet orgueil périt fous l'ongle du Vautour.
Enfin, par un fatal retour,

Son rival autour de la Poule
S'en revint faire le coquet :
Je laiffe à penser quel caquet,

Car il eut des femmes en foule.

La Fortune se plaît à faire de ces coups:
Tout vainqueur infolent à fa perte travaille.
Défions-nous du Sort, & prenons garde à nous,
Après le gain d'une bataille.

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L'ingratitude & l'injuftice des Hommes envers la Fortune.

UN trafiquant fur mer, par bonheur s'entichit,

Il triompha des vents pendant plus d'un voyage.

Gouffre, banc ni rocher, n'exigea de péage
D'aucun de fes ballots : le Sort l'en affranchit.
Sur tous les compagnons, Atropos & Neptune
Recueillirent leur droit, tandis que la Fortune
Prenoit foin d'amener fon Marchand à bon port.
Facteurs, Affociés, chacun lui fut fidele.
Il vendit fon Tabac, fon Sucre, fa Canelle
Ce qu'il voulut, fa Porcelaine encor.
Le luxe & la folie enflerent fon tréfor:
Bref, il plut dans fon efcarcelle.

On ne parloit chez lui que par doubles ducats ; Et mon homme d'avoir chiens, chevaux & carroffes :

Ses jours de jeûne étoient des nôces.

Un fien ami voyant ces fomptueux repas,
Lui dit: Et d'où vient donc un fi bon ordinaire ?
Et d'où me viendroit-il que de mon savoir-faire ?
Je n'en dois rien qu'à moi, qu'à mes foins
qu'au talent

De rifquer à propos, & bien placer l'argent.
Le profit lui femblant une fort douce chose,
Il rifqua de nouveau le gain qu'll avoit fait:
Mais rien, pour cette fois, ne lui vint à souhait.
Son imprudence en fut la cause.

Un vaiffeau mal freté, périt au premier vent:
Un autre, mal pourvu des armes néceffaires,
Fut enlevé par les Corfaires :

Un troisieme, au port arrivant,

Rien n'eut cours ni débit. Le luxe & la folic

N'étoient plus tels qu'auparavant.

Enfin, fes Facteurs le trompant;

Et lui même ayant fait grand fracas, chere lie,
Mis beaucoup en plaisirs, en bâtimens beaucoup,
Il devint pauvre tout d'un coup.

Son ami le voyant en mauvais équipage,
Lui dit ; D'où vient cela? De la Fortune, hélas ?
Confolez-vous, dit l'autre ; & s'il ne lui plaît

pas

Que vous foyez heureux, tout au moins foyez fage.

Je ne fais s'il crut ce confeil :

Mais je fais que chacun impute, en cas pareil,
Son bonheur à fon induftrie;

Et fi de quelque échec notre faute est suivie,
Nous difons injures au sort.

Chofe n'eft ici plus commune,

Le bien, nous le faifons: le mal, c'eft la For

tune.

On a toujours raifon, le Deftin toujours tort.

FABLE X V.
Les Devinereffes.

C'EST fouvent du hafard que naît l'opinion;
Et c'est l'opinion qui fait toujours la vogue.
Je pourrois fonder ce prologue

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