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Qu'il eft un Paffe. Cicéron.

Un des derniers fe vantoit d'être
En éloquence fi grand maître,
Qu'il rendroit difert un badaut,

Un manant, un ruftre, un lourdaut : Oui, Meffieurs, un lourdaut, un animal,un Ane: Que l'on m'amene un Ane, un Ane renforcé, Je le rendrai maître paffé;

Et veux qu'il porte la foutane.

Le Prince fut la chofe : il manda le Rhéteur. J'ai, disil, en mon écurie

Un fort beau Rouffin d'Arcadie,

J'en voudrois faire un Orateur.

Sire, vous pouvez tout reprit d'abord notre homme.

On lui donna certaine fomme.

Il devoit au bout de dix ans

Mettre fon Ane fur les bancs :

Sinon, il confentoit d'être en place publique Guindé la hart au col, étranglé court & net, Ayant au dos fa Rhétorique,

Et les oreilles d'un Baudet.

Quelqu'un des Courtisans lui dit qu'à la potence
Il vouloit l'aller voir; & que, pour un pendu
Il auroit bonne grace, & beaucoup de preftance:
Sur-tout qu'il fe fouvînt de faire à l'affistance
Un difcours où fon art fût au long étendu,
Un difcours pathétique, & dont le formulaire
Servît à certains Cicérons

Vulgairement

Vulgairement nommés larrons.
L'autre reprit avant l'affaire

Le Roi, l'Ane ou moi nous mourrons.

Il avoit raifon. C'eft folie

De compter fur dix ans de vie. Soyons bien buvans, bien mangeans, Nous devons à la mort de trois l'un en dix ans.

FABLE XX.

La Difcorde.

LA Déeffe Difcorde ayant brouillé les Dieux,

Et fait un grand procès là. haut pour une pomme,
On la fit déloger des Cieux.
Chez l'animal qu'on appelle Homme
On la reçut à bras ouverts.
Elle, & Que-fi-que-non fon frere

Avecque Tien-&-mien, fon pere,
Elle nous fit l'honneur en ce bas Univers
De préférer notre Hémisphere

A celui des mortels qui nous font opposés,
Gens groffiers, peu civilifés,

Et qui fe mariant fans Prêtre & fans Notaire,
De la Difcorde n'ont que faire.

Pour la faire trouver aux lieux où le befoin Demandoit qu'elle fût présente,

Tome I.

T

La Renommée avoit le foin
De l'avertir; & l'autre diligente,

Couroit vîte aux débats, & prévenoit la Paix :
Faifoit d'un étincelle, un feu long à s'éteindre.
La Renommée enfin commença de se plaindre
Que l'on ne lui trouvoit jamais

De demeure fixe & certaine.

Bien fouvent l'on perdoit, à la chercher, fa peine.

Il falloit donc qu'elle eût un séjour affecté,
Un féjour d'où l'on pût, en toutes les familles,
L'envoyer à jour arrêté.

Comme il n'étoit alors aucun Couvent de Filles,
On y trouva difficulté.

L'Auberge enfin de l'Hyménée
Lui fut pour maison affignée.

FABLE XXI.

La jeune Veuve.

La perte d'un Epoux ne va point fans soupirs. On fait beaucoup de bruit,& puis on se console, Sur les aîles du Temps la triftesse s'envole :

Le temps ramene les plaifirs.

Entre la veuve d'une année,

Et la veuve d'une journée,

La différence eft grande. On ne croiroit jamais Que ce fût la même perfonne.

L'une fait fuir les gens, & l'autre a mille attraits:
Aux foupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne :
C'est toujours même note, & pareil entretien :
On dit qu'on eft inconfolable :

On le dit, mais il n'en eft rien,
Comme on verra par cette Fable,
Ou plutôt par la vérité.

L'Epoux d'une jeune beauté

Partoit pour l'autre monde. A fes côtés fa femme Lui crioit Attends-moi, je te fuis: & mon

ame,

Auffi bien que la tienne, eft prête à s'envoler. Le mari fait feul le voyage.

La Belle avoit un pere, homme prudent & fage, Il laiffa le torrent couler.

A la fin, pour la confoler

Ma fille, lui dit-il, c'est trop verfer de larmes, Qu'a befoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?

Puifqu'il eft des vivans, ne fongez plus aux

morts.

Je ne dis pas que tout-à-l'heure

Une condition meilleure

Change en des nôces ces transports:

Mais après certain temps, fouffrez qu'on vous propofe

Un Epoux beau, bien fait, jeune & tout autre

chofe

Que le défunt. Ah! dit-elle auffi-tôt,

Un Cloître eft l'Epoux qu'il me faut.
Le pere lui laiffa digérer fa difgrace.
Un mois de la forte fe paffe.

L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours

Quelque chofe à l'habit, au linge, à la coëffure:
Le deuil enfin fert de parure,

En attendant d'autres atours.
Toute la bande des Amours

Revient au colombier : les jeux, les ris, la danfe

Ont auffi leur tour à la fin.

On fe plonge foir & matin

Dans la fontaine de Jouvence.

Le pere ne craint plus ce défunt tant chéri : Mais comme il ne parloit de rien à notre Belle, Où donc eft le jeune mari

Que vous m'avez promis? dit-elle.

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