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Bannit des lieux de fon domaine
Toute bête portant des cornes à fon front.
Chêvres, Béliers, Taureaux auffi-tôt délogerent,
Daims & Cerfs de climat changerent:
Chacun à s'en aller fut prompt.

Un Lievre appercevant l'ombre de les oreilles,
Craignant que quelque Inquifiteur
N'allât interpréter à cornes leur longueur,
Ne les foutint en tout à des cornes pareilles.
Adieu, voifin Grillon, dit-il, je pars d'ici :
Mes oreilles enfin feroient cornes auffi;
Et quand je les aurois plus courtes qu'une Autruche
Je craindrois même encor. Le Grillon repartit :
Cornes cela ! Vous me prenez pour cruche?
Ce font oreilles que Dieu fit.

On les fera paffer pour cornes,

Dit l'animal craintif, & cornes de Licornes. J'aurai beau protefter; mon dire & mes raisons Iront aux petites Maisons.

FABLE V.

Le Renard qui a la queue coupée. UN vieux Renard, mais des plus fins,

Grand croqueur de Poulets, grand preneur de

Lapins,

Sentant fon Renard d'une licue,
Fut enfin au piége attrapé.

Par grand hafard en étant échappé,

Non pas franc, car pour gage il y laiffa fa queue, S'étant, dis-je, fauvé, fans queue & tout hon

teux,

Pour avoir des pareils (comme il étoit habile), Un jour que les Renards tenoient confeil en

tr'eux,

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Que faifons-nous, dit-il, de ce poids inutile
Et qui va balayant tous les fentiers fangeux ?
Que nous fert cette queue? Il faut qu'on fe la
coupe.

Si l'on me croit, chacun s'y réfoudra. Votre avis eft fort bon, dit quelqu'un de la

troupe,

Mais tournez-vous

pondra,

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A ces mots il fe fit une telle huée,

Que le pauvre écourté ne put être entendu. Prétendre ôter la queue eût été temps perdu :

La mode en fut continuće.

FABLE V I.

La Vieille & les deux Servantes. IL étoit une vieille ayant deux Chambrieres,

Elles filoient fi bien, que les fœurs filandieres
Ne faifoient que brouiller au prix de celles-ci.
La Vieille n'avoit point de plus preffant souci
Que de diftribuer aux Servantes leur tâche :
que
Thétis chaffoit Phoebus aux crins dorés,
Tourets entroient en jeu, fufeaux étoient tirés,
Deçà, de-là, vous en aurez :

Dès

Point de ceffe, point de relâche.

Dès que l'Aurore, dis-je, en fon char remon

toit;

Un miférable Coq à point nommé chantoit : Auffi tôt notre Vieille, encor plus miférable, S'affubloit d'un jupon craffeux & déteftable, Allumoit une lampe, & couroit droit au lit, Où, de tout leur pouvoir, de tout leur appétit, Dormoient les deux pauvres Servantes. L'une entr'ouvroit un œil, l'autre étendoit un bras,

Et toutes deux très-malcontentes,

Difoient entre leurs dents : Maudit Coq, tu

mourras.

Comme elles l'avoient dit, la bête fut gripée. Le Réveille-matin eut la gorge coupée.

Ce meurtre n’amenda nullement leur marché. Notre couple, au contraire à peine étoit couché,

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Que la Vieille craignant de laiffer passer l'heure, Couroit comme un lutin par toute fa demeure.

C'est ainsi que le plus fouvent,

Quand on pense sortir d'une mauvaise affaire, On s'enfonce encor plus avant :

Témoin ce couple & fon falaire.

La Vieille, au lieu du Coq, les fit tomber par-là De Caribde en Sylla.

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FABLE VII.

Le Satyre & le Paffant.

Αν

fond d'un antre fauvage,
Un Satyre & les enfans
Alloient manger leur potage
Et prendre l'écuelle aux dents.

On les cut vus fur la mouffe
Lui, fa femme & maint petit

Ils n'avoient tapis ni houffe,
Mais tous fort bon appétit.

Pour fe fauver de la pluie,
Entre un Paffant morfondu.
Au brouet on le convie,
Il n'étoit pas attendu.

Son hôte n'eut pas la peine
De le femondre deux fois.
D'abord avec fon haleine
Il fe réchauffe les doigts.

Puis, fur les mets qu'on lui donne,
Délicat, il fouffle auffi.

Le Satyre s'en étonne :

Notre hôte, à quoi bon ceci ?

L'un refroidit mon potage,

L'autre réchauffe ma main.
Vous pouvez, dit le Sauvage,
Reprendre votre chemin.

Ne plaife aux Dieux que je couche
Avec vous fous même toit.

Arriere ceux dont la bouche

Souffle le chaud & le froid.

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