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LIVRE QUATRIEME.

FABLE PREMIERE.

Le Lion amoureux.

A MADEMOISELLE DE SÉVIGNÉ,

SEVIGNE

EVIGNE' de qui les attraits
Servent aux Graces de modele,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près :
Pourriez vous être favorable
Aux jeux innocens d'une Fable,
Et voir, fans vous épouvanter,
Un Lion qu'amour fut dompter ?
Amour est un étrange maître.
Heureux qui peut ne le connoître
Que par récit, lui ni fes coups !
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offenfe,

La Fable au moins fe peut fouffrir.

Celle

- ci prend bien l'afsurance De venir à vos pieds s'offrir, Par zele & par reconnoiffance.

Du temps que les Bêtes parloient,
Les Lions entre autres vouloient
Etre admis dans notre alliance.
Pourquoi non? Puifque leur engeance
Valoit la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure, outre cela.
Voici comment il en alla.

Un Lion de haut parentage
En paffant par un certain pré
Rencontra Bergere à fon gré.
Il la demande en mariage.
Le pere auroit fort fouhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui fembloit bien dur,
La refufer n'étoit pas sûr :

Même un refus cût fait poffible,
Qu'on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandeftin.

Car outre qu'en toute maniere
La Belle étoit pour les gens fiers,
Fille fe coëffe volontiers
D'amoureux à longue criniere.
Le pere donc ouvertement

N'ofant renvoyer notre amant,
Lui dit Ma fille eft délicate:
Vos griffes la pourront bleffer
Quand vous voudrez la careffer.
Permettez donc qu'à chaque patte
On vous les rogne ; & pour les dents,
Qu'on vous les lime en même-temps;
Vos baifers en feront moins rudes
Et pour vous plus délicieux ;
Car ma fille y répondra mieux
Etant fans ces inquiétudes.
Le Lion confent à cela,
Tant fon ame étoit aveuglée.
Sans dents ni griffes le voilà
Comme Place démantelée.

On lâcha fur lui quelques Chiens:
Il fit fort peu de réfistance.

Amour, amour, quand tu nous tiens.
On peut bien dire : Adieu prudence.

Du

FABLE II.

Le Berger & la Mer.

rapport d'un troupeau, dont il vivoit fans foins,

Se contenta long-temps un voifin d'Amphitrite.

Si fa fortune étoit petite,

Elle étoit sûre tout au moins.

A la fin, les tréfors déchargés fur la plage
Le tenterent fi bien qu'il vendit fon troupeau;
Trafiqua de l'argent, le mit entier sur l'eau:
Cet argent périt par naufrage.

Son maître fut réduit à garder les Brebis,
Non plus Berger en chef comme il étoit jadis,
Quand les propres Moutons paiffoient sur le ri-

vage.

Celui qui s'étoit va Coridon ou Tirfis,
Fut Pierrot, & rien davantage.

Au bout de quelque temps il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine;

Et comme un jour les Vents retenant leur ha

leine,

Laiffoient paisiblement aborder les Vaiffeaux ; Vous voulez de l'argent, ô Mefdames les eaux, Dit-il,adreffez-vous, je vous prie, à quelqu'autre : Ma foi, vous n'aurez pas le nôtre.

Ceci n'eft pas un conte à plaifir inventé.
Je me fers de la vérité,

Pour montrer par expérience,

Qu'un fou, quand il eft affuré,

Vaut mieux que cinq en espérance,

Qu'il faut fe contenter de fa condition,
Qu'aux confeils de la Mer & de l'Ambition
Nous devons fermer les oreilles.

Pour un qui s'en louera, dix mille s'en plaindront.

La mer promet monts & merveilles: Fiez-vous-y, les vents & les voleurs viendront.

FABLE I I I.

La Mouche & la Fourmi. LA Mouche & la Fourmi conteftoient de leur

prix.

O Jupiter, dit la premiere, Faut-il que l'amour-propre aveugle les efprits D'une fi terrible maniere,

Qu'un vil & rampant animal

A la fille de l'Air ofe fe dire égal ?

Je hante les Palais, je m'affieds à ta table:
Si l'on t'immole un Bœuf,j'en goûte devant toi,
Pendant que celle-ci, chétive & miférable,
Vit trois jours d'un fétu qu'elle a traîné chez
foi.

Mais, ma mignone, dites - moi,

Vous campez-vous jamais fur la tête d'un Roi, D'un Empereur, ou d'une Belle?

Je le fais; & je baise un beau sein quand je veux : Je me joue entre des cheveux :

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