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MEM AORI

SUR LA FABLE.

LAMOTTE, qui a fait de jolies fables où il ya tout, excepté du naturel et de la naïveté, définit la fable un petit poème épique qui ne le cède au grand que par l'étendue. Cette définition est plus brillante que solide. La Fontaine, qui devait s'y connaître, la mieux désignée par ces deux vers: La fable est, dit-il,

Une ample comédie à cent actes divers,

Et dont la scène est l'univers.

Il dit aussi :

Je me sers d'animaux pour instruire les hommes. Deux choses principales constituent la fable; la narration et la moralité.

La narration doit être simple, vive et précise.

La moralité doit être amenée sans effort, et naitre du fond du sujet.

Peut-être les meilleures fables sont celles qui peuvent se passer de morale, en couvrant sous le voile de l'allégorie une vérité frappante.

Le sujet de la fable doit être, pour ainsi dire, vraisemblable. En accordant le langage aux animaux on se représentera facilement la Cigale

Sten allant crier famine

Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter

Quelques grains pour subsister
Jusqu'à là saison nouvelle.

On se peindra très-bien le Renard cajolant le Corbeau sur sa voix; mais jamais l'esprit ne se prêtera à l'image du Lion amoureux d'une jeune fille, allant la demander en mariage, et se faisant rogner griffes et dents pour ses beaux yeux. Cette image n'est ni juste ni naturelle. Pour faire oublier le vice

d'un pareil sujet il ne fallait pas moins que la naïveté de La Fontaine et ces deux vers charmans:

Amour! Amour! quand tu nous tiens

On peut bien dire : adieu prudence!

La Fontaine a quelques fables, dont il paraît qu'on lui a donné les sujets, qu'il n'eût jamais choisis, et qu'il traitait par complaisance avec sa bonhomie naturelle.

:

Tous les êtres peuvent figurer dans la fable l'homme y est souvent acteur : il suffit de lire le Paysan du Danube, chefd'œuvre d'éloquence et de poésie. La fable admet aussi des personnages purement imaginaires. Il est beaucoup plus difficile de les faire parler convenablement, et d'éviter à la fois le ridicule et l'affectation. Quand Lamotte a dit:

Dom jugement avec dame mémoire,

Et demoiselle imagination,

il s'est exprimé plus en homme d'esprit qu'en

homme de goût. Ces trois qualifications sont pourtant justes; chacune se rapporte bien à l'objet qu'elle désigne. Quand le bon homme disait : Compère le Renard, maître Corbeau, Rominagrobis, etc., ces dénominations étaient puisées dans la nature.

Le fabuliste doit d'abord choisir son cadre, exposer son sujet sous le point de vue le plus avantageux, et s'occuper ensuite de l'exécution. La fable a son plan comme un grand ouvrage; elle exige même généralement l'unité de lieu et d'action comme l'épopée et la tragédie. Quelque heureux que soit le fond, il perdra son effet si la forme est négligée. La principale qualité du style de la fable est de se mettre toujours au niveau du sujet. Quand La Fontaine, que nous ne saurions trop citer, avait à peindre une image grande et majestueuse, il savait employer les couleurs propres au tableau; il passait rapidement, par une nuance presque imperceptible, de la familiarité du récit à la pompe de la poésie, de la poésie, ou descendait avec

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