Page images
PDF
EPUB

Au premier coup l'arbre lui dit:

Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit Que je t'ai donné chaque année.

La mort va me saisir, je n'ai plus qu'un instant; N'assassine pas un mourant

Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine, Répond le jardinier; mais j'ai besoin de bois, Alors, gazouillant à la fois,

De rossignols une centaine

S'écrie: Epargne-le; nous n'avons plus que lui.
Lorsque ta femme vient s'asseoir sous son ombrag●
Nous la réjouissons par notre doux ramage;
Elle est seule souvent, nous charmons son ennui.
Le jardinier les chasse, et rit de leur requête.
Il frappe un second coup d'abeilles un essaim
Sort aussitôt du tronc en lui disant: Arrête;
Ecoute-nous, homme inhumain:

Si tu nous laisses cet asile,
Chaque jour nous te donnerons

Un miel délicieux dont tu peux à la ville
Porter et vendre les rayons.

Cela te touche-t-il? J'en pleure de tendresse,
Répond l'avare jardinier:

Eh! que ne dois-je pas à ce pauvre poirier
Qui m'a nourri dans sa jeunesse !

Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux;
C'en est assez pour moi : qu'ils chantent en repos.
Et vous qui daignerez augmenter mon aisance,

Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.
Cela dit, il s'en va, sûr de sa récompense,

Et laisse vivre le vieux tronc.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

UN babillard d'épi, sec, alongé, sans grain,
Voisin d'un bien touffu, lui disait : Camarade,
Dieux, comme vous penchez ! seriez-vous donc malade?
-Malade? moi! Non; c'est que je suis plein.

Avec le sens commun ainsi toujours en guerre,
Le sot, vide, léger, porte sa tête au vent,
Tandis que le savant,

Rempli, baisse la sienne, et regarde la terre.

[ocr errors][merged small][merged small]

DANS un des plus rudes hivers

Qu'eût depuis plus d'un siècle essuyés sa patrie,
Un de ces hommes dont la vie

Se

passe à réformer par écrit l'univers,
Tome VI.

8

Sur le calendrier exerçant son génie,

Mois, semaines et jours, y mit tout à l'envers:
Il avança l'époque où commence l'année,

Et crut,

d'une autre part, en reculer la fin:

Mais, pour voir au tombeau courir le genre humain,
A revenir sur soi constamment destinée,

Aussitôt morte, aussitôt née,
L'année alla son même train.

Cet homme avait un maître Jacques
Qui, le voyant toujours supputer, calculer,
Contre ses almanachs enfin osa parler:

<< Calculez, monsieur, jusqu'à Pâques; « Vous ne reculerez ni n'avancerez rien;

Mon jardin me l'apprend, et sa science est sûre: << Tout y meurt, voyez-vous, dans cette saison dure; << Mais tout y renaîtra, dieu merci, bel et bien << Au tems fixé par la nature.

« Ainsi va l'an, le mois, la semaine et le jour; << L'un à peine est passé que l'autre est de retour. Ces ormes, ces tilleuls reprendront leur verdure; «Je verrai ces lilas, ces jasmins refleurir:

«

<< La nature en secret travaille à leur parure, << Et ce bosquet par eux doit encor s'embellir. « L'homme seul ici bas s'en va sans revenir; << Une fois dans la sépulture,

<< Au diable s'il reprend, monsieur, sa chevelure. »

Lucas eût desiré plus long-tems discourir;

Mais son maitre confus tout à coup le fit taire,

Et sur ses almanachs se mit à réfléchir:

Ce valet n'est pas sot; il se pourrait bien faire
Qu'ici, changeant, rognant, brouillant tout à plaisir,
Je n'eusse fait que de l'eau claire.

Je veux mieux employer désormais mon loisir;
Au lieu de régler l'an, tâchons de nous connaître :
Grande étude j'y vois que tout doit aboutir

A ce mot dont Lucas me fait ressouvenir:

(Tant le valet souvent peut en apprendre au maître!) Naltre est commencer à mourir;

Mourir est achever de naître.

9000€

L. AUBERT.

CHLOÉ ET LE PAPILLON.

Sous un ciel serein et tranquille,
Au sein d'un champêtre séjour,
Loin des vains plaisirs de la ville,
Et loin des pièges de l'Amour,
Chloé, naïve, jeune et belle,
Voyait couler ses jours heureux,
Aussi beaux, aussi simples qu'elle :
Là, dérobée à tous les yeux
Par les soins d'une tendre mère,
Chloé, sans desirs, sans regrets,
Respirait un air salutaire

A ses mœurs, comme à ses attraits.
Le vif éclat qui la colore

[blocks in formation]

Son oreille n'a point encore
Goûté le poison enchanteur
Des soupirs, des tendres alarmes;
Elle ignore qu'elle ait un cœur,
Et soupçonne à peine ses charmes.
Seule dans le fond d'un bosquet,
Près du cristal d'une onde pure,
Elle assortissait un bouquet
Pour en composer sa parure;
La belle, d'un air enfantin,
Comparait avec avantage
Le lis et la rose à son teint,
Et souriait à son image.

Un papillon au même instant
Déployait ses ailes légères,
Et de ses ardeurs passagères
Promenait l'hommage inconstant:
Tout l'attire, et rien ne l'arrête;
Il parcourt d'un air de conquête
Tous les appas de chaque fleur:
Ici son audace indiscrette
De la timide violette

Caresse la vive fraîcheur;
Là, du sein de la tubéreuse,
Sa témérité plus heureuse
Presse l'orgueilleuse blancheur,
Aussitôt d'une aile infidelle

« PreviousContinue »