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LE VILLAGEOIS ET SON FILS.

UN villageois sensé, la moisson approchant
Avec son jeune fils vint visiter son champ:
Qu'y voit-il? la terre couv rte

De bleuets, de pavots, et de mainte autre fleur;
Mais peu d'épis, et leur maigreur
Le faisait gémir de la perte
Que lui causait son laboureur.
L'enfant ne pensait pas de même:
Il était d'une joie extrême
De voir ce spectacle nouveau.
Voyez, disait-il à son père,

Ce bleu, ce jaune, ce ponceau;
Quelle variété! que ce champ doit vous plaire!
Notre jardin a-t-il rien de si beau?

Vous pensez aujourd'hui comme on pense à votre âge,
Lui dit le père en soupirant;

Mais un jour, devenu plus sage,
Vous penserez tout autrement:

Vous sentirez combien nous cause de dommage

Ce qui vous paraît si charmant;

Et ce qui vous plaît davantage
Sera par votre main arraché promptement.
Ne jugez point sur l'apparence;

Rien, mon fils, rien n'est si trompeur:

C'est se former une vaine espérance
Que de compter sur un dehors flatteur.
Tome VI.

5

Il en est de même des hommes:
Qu'on est trompé par leur extérieur!
On ne connaît ce que nous sommes

Qu'aux qualités de l'esprit et du cœur.
GROZELIER.

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LE SERPENT ET LE VOYAGEUR.

Un voyageur vit un serpent

Qui, par sa marche tortueuse,

Comptait le surprendre, et, partant,
De détours en détours allait toujours rampant
En cachant sa tête hideuse.

Un poltron aurait fui la bête venimeuse:
Notre homme, lui, court au-devant,

Les yeux toujours fixés sur son oblique allure,
Et, l'atteignant d'un lourd bâton,
Lorsqu'en un coin tapi l'animal furibond
Pour s'élancer sur lui se mettait en posture,
Il l'étourdit du coup, puis l'étend de son long,
Puis en délivre la nature.

Bien des gens imitent le train

Du serpent! gens pervers, lâches, dont à la fin Triomphent sans effort de braves adversaires: Quand on va toujours droit en tout genre d'affaires, A qui va de travers on coupe le chemin.

L. AUBERT.

LE MÉNAGE BROUILLÉ.

APRÈS six ans de mariage

Blaise avec sa femme Isabeau

Faisait encore bon ménage.

Pour prix d'un exemple si beau

Dans la maison chacun fut sage,

L'enfant, le chien, le chat, l'écureuil et l'oiseau.
Noé, quand il sauva de l'eau

Les restes de l'humaine engeance,
Ne vit jamais régner si bonne intelligence
Dans l'enceinte de son bateau.

Or, il advint qu'un jour de fête
Blaise but tant qu'il en perdit la tête.
Devinez-vous ce qu'il fit en rentrant?
Notre ivrogue battit sa femme.
Pour calmer son dépit le soir la belle dame
A son tour étrilla l'enfant;

L'enfant pinça le chien, le chien mordit la chatte,
La chatte à l'écureuil riposta de la patte,

Et l'écorcha je ne sais où;
Enfin, d'un coup de dent l'écureuil en colère
Au pauvre oiseau tordit le cou.

Ainsi la faute d'un seul fou

Trouble une république entière,
Et le forfait du coupable puissant
Est toujours expié par le faible innocent.

HOFFMAN.

L'EXEMPLE A SUIVRE.

UN prince, qui régnait aux climats où l'aurore
Ouvre les barrières du jour,

Revenait de la chasse escorté de sa cour.
Du seuil de son palais il était loin encore
Lorsqu'il sent de la faim le pressant aiguillon.
(Un prince avoir faim! Pourquoi non?
L'évènement n'a rien d'étrange;

Un roi n'est, après tout, qu'un homme;il fautqu'il mange.)
Celui-ci, dont la marche augmente le besoin,
Jette partout les yeux, et découvre de loin
Un enclos où Pomone étale
Ses, présens répandus d'une main libérale.
Voyez-vous ces fruits? dit le roi:

Allez qu'on en cueille pour moi.

Ces mots d'un courtisan ayant frappé l'oreille,
Il part, vole, et revient chargé d'une corbeille
D'oranges, de cocos, de citrons, d'ananas.
Combien coûtent ces fruits? demande alors le prince.
-Ce qu'ils coûtent? rien, sire : il ne conviendrait pas
Qu'un roi fût tributaire au sein de ses états;

Puis cette denrée est si mince...

Retournez la payer, dit le monarque.

Sire, vous payer! vous! un roi!

Hé quoi,

- D'un nom si glorieux quand l'Orient me nomme

C'est à moi le premier à respecter la loi:

Que d'un champ qui n'est pas à soi
Un monarque enlève une pomme,

Par l'exemple enhardis, ses courtisans sans frein
Coupent l'arbre le lendemain.

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LE PAPILLON.

ON admirait un jeune papillon,
Déployant ses ailes pourprées,
Et de cent couleurs diaprées,
De la nature utile et riche don.

De Phébus le moindre rayon
L'embellissait; avec grâce il voltige,
Et caresse en passant la rose et le bouton.
Ses flatteurs criaient au prodige:
Voyez-vous quel éclat! quelle légèreté!
Il peut, s'il veut, au ciel prendre son domicile.
Au papillon je passe un grain de vanité;
Mais plus n'est que stupidité.

La tête tourne enfin à l'imbécile;
Il veut voler vers l'astre radieux;

Il s'élève : un ciron le croyait dans les cieux,
Lorsque Zéphir, l'effleurant de son aile,
Le fait pirouetter aux yeux des spectateurs:
Il roule dans la fange auprès de ses flatteurs.
Adieu donc sa gloire immortelle !

Mme JOLIVEAU.

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