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L'épervier dans la nue enlève l'alouette;
Le chat sous la javelle attrape la souris;

L'épagneul, ou le chien qu'on fouette,
Sous le plomb meurtrier du chasseur qui la guette
Avec tous ses perdreaux fait passer la perdrix :
Ici c'est le lapin qui suce la belette;

Là c'est la vache à lait que la couleuvre tette;
L'ours atteint sur le roc la chèvre et ses cabris;
Le renard est en train de croquer la poulette;
Le loup à belles dents déchire la brebis...

J'en sais trop, dit la taupe... Ah, dieux! je vous rends grâce:
Si c'est là ce qu'on fait dans le monde, en ce cas
C'est bien assez d'entendre, hélas !

Sans voir encor ce qui s'y passe.

BOISARD.

LA CAVALE ET SON PETIT.

UNE cavale élevait son enfant

tendre herbage,

Dans un excellent pâturage;
Rien n'y manquait, eau pure,
Ombrage frais, et cependant
Le quadrupede adolescent
En fut bientôt dégoûté. Quoi! ma mère,
Toujours même lit, même chère!
Est-ce donc vivre que cela?

Ces lieux sont beaux; mais par-delà

Je gagerais qu'on trouve mieux encore.

Allons, ma mère.

Allons, dit la jument,

Il faut calmer l'ardeur qui te dévore;

Partons, mon fils, et demain dès l'aurore

Allons tâter du changement.

Au point du jour ils traversent les plaines,
Grimpent les monts, se donnent mille peines,
Et tout cela sans rien voir de nouveau:
C'étaient des prés, et des bois, et de l'eau
Comme chez eux; et même en leurs domaines
Tout s'y trouvait et meilleur et plus beau.
Enfin au bout de la journée,
Lorsque la nuit eut brouillé l'horizon,
La mère ayant à la maison,
Par une route détournée,
Sa géniture ramenée,

On soupa bien. Le poulichon
Se récria sur la pâture,
Exquise et tendre nourriture,
Puis s'endormit sur le gazon,
Rêvant à la bonne aventure,
Et concluant que la nature
Met le bonheur dans la diversité,
Le changement, la nouveauté.
Le lendemain en r'ouvrant la paupière
Il reconnut les lieux et son erreur.

Grande surprise; et dans son cœur
Il se disait: comment se peut-il faire
Que cet herbage, qui naguère

M'affadissait, me semblait odieux,

Soit devenu délicieux

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En une nuit? Non, non, reprit la mère;
L'herbage est tel qu'il a toujours été:
La jouissance journalière

T'en avait seule dégoûté;
Je t'ai guéri de la satiété

En te trompant; souviens-t-en pour la vie.
Quand le bonheur,est près de nous,
Mon fils, n'ayons pas la folie

De l'écarter par nos dégoûts.

MANCINI-NIVERNAIS.

3000€

LE SINGE AU BAL.

BUFFON avait un singe, un grave orang-outang,
Qui d'un valet faisait l'office,

Et qui, sur ses deux pieds sans peine se tenant,
Avait la taille et le flegme d'un suisse.
Pour s'amuser un jour de carnaval

L'historien de la nature

Au bal de l'Opéra conduisit l'animal
Dans une décente parure.

De taffetas jonquille un ample domino,
Les gants, les brodequins, le masque de Venise,
De pied en cap déguisaient le Pungo,
Et des plus clairvoyans préparaient la méprise.

Buffon arrive avec son Africain:

Un savoyard leur aide à sortir de voiture;

Et tous deux introduits vont chercher aventure,
Nul ne remarque l'écrivain;

Mais du grand singe il n'en est pas de même:
On le voit dans la foule aller d'un pas égal,
Et d'une indifférence extrême
Contempler tous les fous du bal,
Sa majesté fière et tranquille,
Je ne sais quoi de neuf, d'original,
Attirent tous les yeux sur le masque jonquille.
Dès qu'on est remarqué chez nous on est charmant,
Pour le Pungo chacun se passionne,
Le lutine et le questionne,
Autre sujet d'étonnement;

Lui ne répond à personne.

C'est un prince étranger, dit l'un. C'est un docteur,
Ditl'autre.-Un évêque.-Oui.-Peut-être un grand d'Espagne.
-C'est au moins un ambassadeur.

La foule avec transport l'admire, l'accompagne,
Et tous voudraient lui plaire. Dans la main
Un masque en passant lui glisse

La demeure d'un médecin

Et le billet doux d'une actrice.

Enfin de l'assemblée il fait seul l'entretien;
Pour l'orchestre on n'a plus d'oreilles,

Tant on s'épuise à dire des merveilles
Du grand homme qui ne dit rien,

Te voilà bien, peuple fantasque!
S'écrie alors Buffon, du singe ôtant le masque;
Tu dédaignes le vrai talent,

Et tu veux que l'objet de ton culte imprudent
Reçoive tout son prix de ta tête légère:

Aussi rien n'est plus propre à faire un important
Qu'une bête qui peut se taire. »

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LEMONTEY.

LE SANGLIER ET L'ANE.

L'ANE, né dans la crasse, et nourri dans la rouille,
Dans un chemin étroit trouvant un sanglier,

Loin de lui faire place et de s'humilier,
S'avisa de lui chanter pouille.

Le sanglier riant d'entendre discourir
Cette bête lâche et maligne:

Misérable! dit-il, tu cherches à mourir
D'une mort dont tu n'es pas digne;

Pour punir ta témérité

Je n'ai pas assez de faiblesse :,

Ton excessive bassesse

Met ta vie en sûreté.

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Le plus aimé des rois est toujours le plus fort;
En vain la fortune l'accable;

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