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L'AIGLE ET LE PÉLICAN.

TOUT A FAIT retiré du monde,

Un pélican vivait au sommet d'un vieux pin,
Et s'occupait soir et matin,
Dans sa solitude profonde,

D'aimer, de soulager, de servir son prochain:
Aussi de partout à la ronde

On venait le chercher. Il était sans enfans,
Mais il servait de père à tous les indigens,
Prêtant à tous son assistance,

Même les soulageant de sa propre substance,
Ainsi qu'il se pratique entre vrais pélicans.
Près de cet oiseau débonnaire

Vivait un autre oiseau d'humeur toute contraire;
C'était un aigle des plus beaux,
Mais fier, orgueilleux, sanguinaire,
Et qui régnait sur les oiseaux

En vrai despote, non en père.
Il fut un jour, par curiosité,
Faire visite à l'oiseau solitaire :
De la vertu la touchante beauté

Aux méchans même a souvent droit de plaire.
Du pélican le tendre et doux aspect
Au fier despote imprima le respect.
En ce moment l'hermite vénérable,
Environné d'orphelins malheureux,

Qu'arrachait au trépas son effort généreux,
Faisait couler son sang, et d'un bec secourable
Avec amour le partageait entre eux.

Que vois-je! dit l'aiglon dans sa surprise extrême;
Si mon œil n'en était témoin

Je ne le croirais pas. Peut-on porter si loin
Le sacrifice de soi-même!

Être ainsi son propre bourreau!

Oui, dit le pélican, je connais un oiseau
Qui se traite plus mal encore.

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- Un oiseau! quel est-il? C'est celui dont l'aurore Et tout l'éclat dont le soleil se dore

Ne peuvent étonner le regard assuré;

C'est vous, seigneur, qui, de gloire enivré,
N'avez d'autres plaisirs que ceux de la puissance;

C'est vous qui méprisez la douce jouissance
Qu'offre aux bons cœurs la sensibilité.

Votre pouvoir est redouté;

Mais on chérit ma bienfaisance:

Le bon lot est de mon côté.

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qui montre la lanterne magique.

MESSIEURS les beaux esprits, dont la prose et les vers Sont d'un style pompeux et toujours admirable,

Mais que l'on n'entend point, écoutez cette fable,

Et tâchez de devenir clairs.

Un homme qui montrait la lanterne magique
Avait un singe dont les tours

Attiraient chez lui grand concours:

Jacqueau (c'était son nom) sur la corde élastique
Dansait et voltigeait au mieux;

Puis faisait le saut périlleux,

Et puis sur un cordon, sans que rien le soutienne,
Le corps droit, fixe, d'aplomb,
Notre Jacqueau fait tout du long
L'exercice à la prussienne.

Un jour qu'au cabaret son maître était resté,
(C'était, je pense, un jour de fête)

Notre singe en liberté

Veut faire un coup de sa tête:

Il s'en va rassembler les divers animaux

Qu'il peut rencontrer dans la ville;

Chiens, chats, poulets, dindons, pourceaux
Arrivent bientôt à la file.

Entrez, entrez, messieurs, criait notre Jacqueau;
C'est ici, c'est ici qu'un spectacle nouveau

Vous charmera gratis : oui, messieurs, à la porte
On ne prend point d'argent; je fais tout pour l'honneur.
A ces mots chaque spectateur

Va se placer, et l'on apporte

La lanterne magique : on ferme les volets,
Et, par un discours fait exprès,
Jacqueau prépare l'auditoire.
Ce morceau vraiment oratoire

Fit bâiller, mais on applaudit.

Content de son succès, notre singe saisit
Un verre peint qu'il met dans sa lanterne.
Il sait comment on le gouverne,

Et crie en le poussant : Est-il rien de pareil?
Messieurs, vous voyez le soleil,

Ses rayons et toute sa gloire.

Voici présentement la lune; et puis l'histoire
D'Adam, d'Eve et des animaux...

Voyez, messieurs, comme ils sont beaux!
Voyez la naissance du monde;

Voyez... Les spectateurs, dans une nuit profonde,
Ecarquillaient leurs yeux, et ne pouvaient rien voir;
L'appartement, le mur, tout était noir.
Ma foi, disait un chat, de toutes les merveilles
Dont il étourdit nos oreilles

Le fait est que je ne vois rien.

Moi, disait un dindon, je vois bien quelque chose; Mais je ne sais pour quelle cause

Je ne distingue pas très-bien.

Pendant tous ces discours le Cicéron moderne
Parlait éloquemment, et ne se lassait point.
Il n'avait oublié qu'un point,

C'était d'éclairer sa lanterne.

FLORIAN.

LE DIVORCE.

DEUX moineaux francs s'aimaient avec ardeur;
Père et mère, ils avaient même nid, même cœur.
Faut-il que du plaisir puisse naître la peine!

Que trop d'amour soit si près de la haine!
Le mari suit bientôt son naturel léger;
L'amour-propre à la belle exalte son danger:
Sans trop savoir pourquoi d'abord on se querelle;
Et puis l'humeur, puis la fierté s'en mêle:

Je vois trop bien que vous ne m'aimez
Cria la sensible femelle,

<< Et que, touché d'autres appas,

<< L'inconstance ailleurs vous appelle! « Vous délaissez la mère et les petits...> Le moineau méprisa ses cris.

pas,

Mainte belle en ce cas aurait été légère:
Mais elle aime, elle suit sa jalouse colère.
Des ennemis aussi sont aux aguets
Pour fomenter le trouble d'un ménage.
Amans! amans! ils ont leurs intérêts;
Songez-y bien. Tems perdu; dans l'orage,

Las! on ne raisonne jamais.

Bien loin d'être indulgens, chacun des deux s'emporte :
Sans s'expliquer leur fougue les transporte
Jusqu'à s'arracher l'aile; et, sans aucun respect,
On déserte le nid, hélas! on se sépare.

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