Page images
PDF
EPUB

traire, conserver l'universel. Mais, c'est le catholicisme dans le droit politique c'est évidemment la vérité sociale. Pourquoi cette vue magnifique et sûre vientelle se perdre dans des contradictions?

La théorie de M. de Girardin péche par la base. Elle manque de sanction morale. L'autonomie universelle n'est pas le bien universel, elle n'est que la volonté générale. La volonté générale recherche souvent un bien particulier contraire au bien universel; alors la volonté générale est criminelle. Cela est incontestable; car la recherche d'un bien particulier ne peut pas s'éloigner du bien universel, sans s'éloigner au même degré de la vérité. La volonté générale d'Athènes, le suffrage universel condamne Aristide à l'exil : cette volonté générale est coupable. Pourquoi? Parce qu'elle est contraire au bien universel; ce n'est donc pas la volonté humaine qui représente la justice. Donc c'est la vérité, et la vérité morale seule qui sert de terme de comparaison au bien particulier, et qui en détermine la justice ou le vice, en déterminant la nature de son rapport avec le bien universel. Le bien ou le mal dépend de l'essence des choses et nullement de la mobile volonté des hommes. Donc la vérité morale est l'unique fondement de la théorie sociale. Sans cela vous arriverez avec J.-J. Rousseau et M. Proudhon à la négation de la société ou à la monstrueuse absurdité de la justice conventionnelle, qui aboutira toujours et nécessairement à l'apothéose de César.

L'autonomie, c'est la guerre ou l'esclavage; c'est le meurtre d'Abel, de Rémus; c'est le fratricide perpétuel.

« Si le meurtre s'appelle le mal, quel nom doit-on » donner à la guerre (1)? »

L'on doit penser de la guerre ce que l'on pense des meurtres particuliers, en multipliant par leur puissance les meurtres particuliers et les larmes, les douleurs, les torts qui en résultent, jusqu'à ce que l'on soit parvenu à l'expression de la somme des maux causés par la guerre. La loi morale n'a pas de complaisance pour la force. Notre bassesse est son unique piédestal (2).

M. de Girardin pressent ce double inconvénient, car il invoque la loi de l'Évangile, et s'il ne supprime pas, en vrai mennonite (3), le magistrat civil, il réduit sa puissance à l'action administrative. Je distingue à peine

(1) La politique universelle, p. 5.

(2) Exiguo enim conceditur misericordia : potentes autem potenter tormenta patientur. Non enim subtrahet personam cujusquam Deus, nec verebitur magnitudinem cujusquam; quoniam pusillum et magnum ipse fecit, et æqualiter cura est illi de omnibus: fortioribus autem fortior instat cruciatio. Ad vos ergo, reges, sunt hi sermones mei; ut discatis sapientiam, et non excidatis. (De lib. Sap. cap. VI.)

(3) Menno; né en 1496 à Witmaarsum en Frise, chef des anabaptistes appelés mennonites. Charles-Quint comprit les mennonites dans ses édits de proscription, et la tête de Menno fut mise à prix. Un jour qu'il voyageait sur un chariot de poste, la maréchaussée se présente à la voiture et demande si Menno y est. Celui-ci demande lui-même à chaque voyageur s'il a connaissance que Menno soit au nombre des passagers; après avoir reçu de tous une réponse négative, il répond: Ils disent qu'il n'y est pas, et il échappe ainsi par sa présence d'esprit au danger.

(FELLER. Biographie universelle. Voir art. MENNO.)

la différence qu'il y a entre administrer et gouverner, à moins que l'on ne confonde dans l'idée, comme ils ont été trop souvent confondus dans les faits, le gouvernement et la domination. Le gouvernement est dans l'essence des êtres; la domination est contraire à la nature humaine. César eut plus d'autels que Jupiter : cela est logique, car il exerça une plus grande et une plus terrible domination que Jupiter. Chaque fois que j'entends un chrétien professer le principe de la domination humaine, je me rappelle cette inscription ironique placée sur la croix du Christ: J. N. R. J. Dieu n'est plus qu'un roi dérisoire pour ce chrétien dont saint Paul nous a laissé le portrait dans le tableau qu'il nous a tracé des Crétois. Ce chrétien est tout entier à la matière : Dormons, buvons, mangeons, car nous mourrons demain (1). Je ne vois dans le partisan de la domination humaine qu'une nature dégradée, un homme deux fois déchu, un gladiateur immolant sa personnalité à César.

<< S'il est un pays, continue M. de Girardin, qui n'ait >> pas d'autre code que l'Évangile; si ce pays existe, » qu'on me l'indique afin que je le choisisse pour ma » patrie d'élection, et que, n'ayant pas eu le bonheur » d'y naître, j'aie le bonheur d'y mourir (2). »

Vou touchant et sublime! Ce pays existe, et l'on n'y meurt pas. Le fer, le feu, le plomb que vous avez bravés, lui ont donné ses plus généreux citoyens.

Mais, si vous voulez suivre la loi évangélique, cessez

[blocks in formation]

de professer l'autonomie, car on n'est pas maltre de ses lois quand on obéit à une loi toute faite.

>> Qui pourrait me nommer un seul peuple qui, con>> sidérant l'Évangile comme un livre divin, ait voulu » que ses codes en fussent la traduction fidèle? Est-ce >> ce qu'a fait l'empereur Napoléon? Cependant il disait » de l'Évangile : L'Évangile, ce n'est pas un livre, c'est » un être vivant. Le voici sur cette table, ce livre par >> excellence; je ne me lasse pas de le lire..... Je con>> nais les hommes, et je vous dis que Jésus n'est pas un >> homme (1). »

Jésus était au-dessus de l'idéal humain auquel nous ne pouvons même pas atteindre, et en nous éloignant de la loi de l'Évangile, peuples ou individus, nous abaissons encore notre grandeur naturelle. Nous devenons esclaves de la passion qui nous domine; et l'habitude de l'esclavage n'est pas une préparation à la liberté ! Le déserteur de la liberté privée, peut-il, sans audace, arborer le drapeau de la liberté publique ?

Si l'empereur Napoléon ne fut pas évangélique, il fut autonome, tant qu'il fut vainqueur. Mais, quelque grande que soit la volonté d'un homme, je lui préférerai toujours la volonté de Dieu.

Si nous recherchons la cause qui nous éloigne de l'Évangile, il est impossible que nous ne trouvions pas la trace du péché originel, je veux dire la substitution de l'intérêt particulier à l'intérêt universel, de l'amourpropre à la justice, le moi donné pour centre de rota

(4) La politique universelle, p. 154.

tion à l'univers, l'éternel conseil de l'orgueil : dii eritis, acte de divinité, en un mot, l'assimilation de tous les biens. Il est de l'essence même de la divinité de ne pas reconnaître de précepte. L'autonomie se déduit naturellement de ce principe, et la brutalité en est la conséquence inévitable; le droit de la divinité, c'est sa force.

L'assurance mutuelle est un contre-poids à l'excès des forces individuelles et aveugles; elle est un rapprochement de la justice du bien universel; donc l'assurance mutuelle est dans la nature, dans le droit, dans le devoir de chacun.

Est-elle possible dans la théorie de M. de Girardin? L'assurance mutuelle est corrélative à notre état d'innocence et contradictoire à notre état de dégradation. Avec la cupidité originelle, avec l'ignorance, avec l'orgueil, modeste et désinteressé par calcul; avec la stupide crédulité des masses, avec la naissance d'un Attila ou d'un Tibère, cette théorie peut-elle avoir, même à une époque indéfinie, une perspective de réalisation? Proclamer la chute de l'homme, la nécessité de sa réhabilitation, donner un levier à la faiblesse, relever le courage, la noblesse humaine; exalter le sentiment moral, rétablir la personnalité, voilà votre moyen d'assurer. Sans cela, nous allons, comme les Orientaux, à l'apathie, nous sommes conduits à la misère et à la dégradation par l'attrait des jouissances. Endormis à forte dose d'opium, nous aurons l'égalité..... L'égalité se trouve aussi chez les morts; la liberté n'est que chez les vivants.

« PreviousContinue »