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souvenu de la création et de la chute de l'homme, dit le Pymandès Égyptien.

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Il est, rapporte Tacite, un usage général chez les Cattes c'est de se laisser croître la barbe et les cheveux. Aussitôt qu'ils sont adultes, et par un vœu qui les enchaîne à la valeur, ils peuvent les couper, mais seulement après avoir tué un ennemi. C'est dans le sang et sur les dépouilles d'un ennemi mort qu'ils éclaircissent ce front hideux; ce n'est que de ce moment qu'ils prétendent avoir payé le prix de leur naissance (1). Naissance bien coupable, si elle ne peut être purifiée que dans le sang d'un homme (2)!

<«< Les Aviones, les Anglais, les Variniens, les Eudoses, les Suardones et les Nuithones purifient le chariot et le voile de la déesse Herte (terre), lorsqu'elle est rassasiće de la compagnie des mortels. Les esclaves qui servent à cet office sont noyés aussitôt dans le lac, ce qui en-, tretient une terreur religieuse (3). Les Germains of

(1) Mours des Germains. (Traduction du Dureau de la Malle, p. 351, t. III.)

(2) Les Celtes, qui, à l'exception de la Grèce et de l'Italie, habitaient toute l'Europe, immolaient des victimes humaines..... Quelquefois on enfermait des hommes dans des espèces de statues colossales tissues d'osier, auxquelles on mettait le feu, et les malheureux périssaient dans les flammes. Ces sacrifices se maintinrent dans les Gaules et partout ailleurs jusqu'à l'époque où le christianisme prit une assiette solide. Car, nulle part, ils ne disparurent tout-à-fait sans l'intervention de la religion chrétienne; nulle part non plus ils ne subsistèrent en sa présence. (SCHMIDT, traduit de l'allemand, par M. Henrion, avocat à la cour royale de Paris.)

(3) TACITE. Mœurs des Germains. (Traduction du Dureau de la Malle, p. 364, t. m.)

fraient aussi des victimes humaines à Mercure (1). Souvent ils commençaient les cérémonies horribles de leurs superstitions par l'immolation d'un homme (2).

Tous les ans, les Scythes, avec du bois desséché, en quantité suffisante pour remplir cent cinquante chariots, élevaient une sorte de colonne, au sommet de laquelle était dressé un antique cimeterre, emblème du dieu; la base de cette colonne était formée par les cadavres de malheureux qu'on avait égorgés au-dessus d'un vase placé de manière à recevoir leur sang, dont on arrosait cet autel impie (3).

Au nord de l'Europe, après un laps de neuf mois, on apaisait les dieux en leur offrant neuf sacrifices d'hommes et d'animaux.

En Suède et en Norwége, on étouffait les victimes humaines et on les mettait en pièces. Quelquefois on les égorgeait. Plus le sang jaillissait avec impétuosité, plus le présage était favorable (4). Sans doute l'humanité, par la monstruosité du choix de ses moyens expiatoires, a révolté partout le créateur; mais cette monstruosité même prouve partout le sentiment exagéré du besoin de l'expiation, et nulle part elle ne laisse sub. sister la foi en l'innocence originelle de l'homme. Sa rebelle ingratitude lui avait fait perdre toute confiance en l'amour de Dieu, dont elle ne peut apaiser et désar

(1) TACITE. Mœurs des Germains. (Traduction du Dureau de la Malle, p. 330.)

(2) Idem, ibid., p. 360.

(3) HÉRODOTE.

(4) MALLET. Introduction à l'Histoire du Danemarck.

mer le courroux que par une profonde humiliation et par le spectacle de sa destruction volontaire. «< Kali, Kali, Kali, déesse aux dents terribles! rassasie-toi ! déchire, broie tous ces lambeaux! mets-les en pièces avec cette hache! Prends! prends! saisis! arrache! bois le sang à longs traits!» Peut-être auras-tu pitié des mortels après tant de destructions offertes à la vengeance, après l'aveu de leur faiblesse et cette affirmation sanglante de ta toute-puissance..... Moloch, ouvre tes bras de fer et enlève à l'avenir les joies de ses espérances. Dévore ces enfants innocents, malheureuse postérité de parents malheureux le sacrifice des coupables serait sans efficacité.

L'Amérique ne le cède à aucune nation des autres contrées pour ces barbares superstitions. Les convulsions des victimes expirantes, la vue des crânes sans cesse renouvelés dans l'affreuse avenue du temple de Visipustuli, annonçaient aux hommes leur disgrâce originelle, et aux dieux des ouvriers toujours attentifs à détruire une créature maudite. « Dans la seule ville de >> Mexico, on sacrifiait chaque année plus de vingt >> mille victimes humaines (1). » Si les étrangers n'en fournissaient pas assez, les Mexicains offraient leurs propres enfants (1), et, comme les Carthaginois, ils assistaient avec joie à ces abominables sacrifices. Encore aujourd'hui, dans le voisinage de Calcuta, on

(1) Histoire du monde, par MM. Henry et Charles de Riancey.

(4) CALVIGERO. Historia del Mexico.

immole des enfants sur les autels de ces divinités altérées du sang de l'innocence. Ce n'est pas un individu, c'est la nature que l'on veut arracher à la disgrâce, c'est la tache originelle que l'on veut effacer. Il y a donc au cœur de l'homme un sentiment bien profond de sa révolte et du courroux du ciel, puisqu'il n'a cru pouvoir l'apaiser que par le sacrifice des objets les plus purs et les plus chers; puisqu'il se regarde comme coupable, comme condamné à mort, puisqu'il a besoin d'une victime qui tienne sa place et qui soit immolée pour lui.

L'expiation par les sacrifices sanglants est à ses yeux le seul moyen de salut. Il y a quelque chose de profondément mystérieux dans cet effort perpétuel et impuissant de l'humanité; je l'expliquerai en son lieu. Mais on conçoit que dans l'exaltation de ses désirs, dans l'ivresse de ses espérances, dans les ténèbres de son ignorance, elle ait immolé des victimes humaines, la substitution lui paraissait absolue, et qu'elle ait choisi les plus innocentes, pour que la réparation fût plus efficace. Ainsi, d'un pôle à l'autre et sur les deux hémisphères, la terre', arrosée de sang humain, proclame la rupture de l'homme avec Dieu. Lacerata est lex.

IV.

L'attraction est la loi naturelle du monde physique, qui ne peut, sans l'ordre de Dieu, s'y soustraire. L'homme ne peut pas davantage, sans l'ordre de Dieu, se soustraire à l'attraction morale ou à la loi qui lui est

naturelle. Mais l'homme est libre d'aller d'un objet à un autre. Le dogme de la déchéance est tout entier dans ce mot, car la faute d'un être libre n'est pas tellement invraisemblable qu'il y ait répugnance à en accepter l'idée.

Dès son entrée dans le monde, l'homme est averti par la douleur qu'il n'est pas dans son attraction propre. L'enfant, comme le matelot que la tempête a jeté sur le rivage, remplit de cris plaintifs le lieu de sa naissance (1). — La nature, en le voyant naître si malheureux par le crime de ses ancêtres, a voulu du moins lui donner le moyen d'émouvoir et d'exciter la pitié. Hélas! ce roi superbe de la création serait arrivé sur la terre dans des conditions pires que le plus chétif animal (car il n'a pas l'instinct des animaux), si Dieu n'eût été là pour l'éclairer, le guider, et soutenir à chaque instant ses premiers pas. A quelque âge qu'il eût été mis sur la terre, il aurait, abandonné à lui-même, infailliblement péri, tant par sa faiblesse physique que par son ignorance. Comment aurait-il résisté aux bêtes féroces? Qui lui aurait appris à distinguer, au sein d'une nature perfide à force d'être généreuse, les sucs nutritifs des sucs empoisonnés que six mille ans d'expé

(1) Tùm porro puer, ut sævis projectus ab undis

Navita, nudus humi jacet, infans, indigus omni
Vitali auxilio, cùm primùm in luminis oras
Nixibus ex alvo matris natura profulit,
Vagituque locum lugubri complet; ut æquum est
Cui tantùm in vitâ restet transire malorum.
At vario crescunt pecudes armenta feræque, etc.

(LUCRET, 1. v, v. 223 et seq.)

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