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chefs; jamais ils ne sont sans l'instinct, sans le besoin impérieux de réparation, sans sacrificateurs. Les sauvages différent en tout des peuples civilisés; mais ils leur ressemblent par le besoin moral qui annonce le sentiment d'une disgrâce commune; ils se croient aussi sous l'empire d'une puissance irritée que le sang humain seul peut fléchir. Les Chaldéens et les Assyriens immolaient de nombreuses victimes humaines (1). Les monuments de l'Égypte prouvent que ce pays était livré à la même superstition. Le sceau des prêtres de Typhon représente un homme agenouillé, les mains liées et un couteau enfoncé dans la gorge. Le roi Busiris, ayant immolé douze étrangers, fut tué par Hercule, à qui il réservait le même sort, se proposant de l'offrir en holocauste à sa terrible divinité. On sait combien ces sacrifices atroces étaient familiers aux Grecs. Achille immole douze jeunes nobles troyens aux mânes de son ami Patrocle (2). Polyxène, fille de Priam, est immolée à la mémoire d'Achille. En Arcadie, ce sont de jeunes filles qui sont offertes en holocauste à Bacchus.

Trois cents Lacédémoniens et leur roi Théopompe sont immolés sur les autels pour mettre un terme à la disette.

Les Phocéens brûlaient des victimes humaines en l'honneur de Diane. Ces horribles sacrifices se retrouvent en Crète, en Chypre, à Rhodes, à Lesbos, à Ténédos, à Athènes; Thémistocle sacrifie en personne, sur son vaisseau, trois jeunes Perses à Bacchus

(4) TITE-LIVE.

(2) HOMÈRE.

Omestès (qui dévore les chairs palpitantes). Marseille, colonie grecque, avait une forêt consacrée aux sacrifices humains (1). Rome immolait des enfants mâles à Monia, mère des dieux domestiques. En 526, menacée d'une guerre avec les Gaulois, elle apaise les dieux en faisant enterrer deux personnes de chaque sexe dans le forum boarium (2). Sous le règne de César (708), deux hommes furent immolés par le pontife et par le prêtre de Mars (3). Carthage, oh! Carthage n'excite que de l'horreur (4)! Les parents vendaient leurs enfants pour être égorgés sur les autels (5). Reine des mers, ville industrieuse, que révèle ce commerce affreux? Ta croyance à l'altération originelle, et peut-être ton abdication de toute dignité humaine (6)!

(1) LUCAIN, Pharsale, III.

(2) TITE-LIVE.

63) L'usage de faire battre des gladiateurs n'eut lieu, au commencement, que dans les cérémonies funèbres; il fut introduit à Rome, l'an 490, par deux frères du nom de Brutus. Une idée d'expiation présidait à ce sanglant usage comme aux sacrifices. Les gladiateurs ne combattirent d'abord que sur les tombeaux, afin d'apaiser les dieux inférieurs par l'effusion de leur sang.

(4) Gelon, tyran de Syracuse, et Théron, roi d'Agrigente, remportèrent en Sicile une victoire signalée sur les Carthaginois. Pendant toute la durée du combat, depuis l'aurore jusqu'à la nuit, Hamilcar, général carthaginois, fit jeter dans le feu une multitude de victimes humaines, et l'on pense qu'il finit par s'y jeter lui-même. (Diod., xv.)

(5) Comme Agathocle, après avoir défait les Carthaginois, s'avançait sous les murs de Carthage, ils sacrifièrent deux cents enfants à Saturne. (Id., xx.)

(6) Il est certain que la vente des enfants pour les sacrifices se concluait secrètement. La politique avait posé en

Les Lacédémoniens se rendaient Diane favorable en

fouettant de jeunes enfants jusqu'à la mort.

Les deux Décius cherchent dans les rangs ennemis une mort certaine, prix de la faveur des dieux (4).

Andromelech et Anomelech, dieux de Sépharvaim, n'étaient touchés que par la vue des cendres de jeunes enfants brûlés en leur honneur.

Les Indiens ont, dans leurs livres sacrés, un chapitre qu'ils appellent le Chapitre sanglant. Il faut renouveler périodiquement les holocaustes humains pour apaiser la terrible divinité. Cette périodicité, qui ne justifie pas son origine par un événement particulier, prouve que les peuples de l'Inde ne perdent jamais de vue le souvenir de la faute première.

On ne lit pas sans horreur les formules de ces meurtres religieux. « Salut, Kali, Kali! salut, Dévi, déesse >> du tonnerre! Salut, déesse au sceptre de fer..... Kali,

maxime que les enfants des familles illustres étaient seuls agréables aux dieux.

La politique! c'est ainsi qu'on appelle cette infâme dureté qui, sous des dehors artificieux, sacrifie tout à l'avarice. A Lacédémone, elle livrait à la mort les enfants contrefaits. A Carthage, elle égorgeait sur les autels ceux qui auraient diminué, en le partageant, l'héritage de l'enfant privilégié d'une famille orgueilleuse. Les mœurs ayant été adoucies par l'action du christianisme, on se borna plus tard à envoyer les cadets de bonne maison au cloître ou à l'épiscopat. Le sacrifice du moins n'était pas sanglant, mais l'élément païen toujours vivace a étouffé en plus d'un lieu la justice et la vérité du Christ.

(Id.)

(1) Quæ fuit tanta deorum iniquitas ut placari populo romano non possent, nisi tales viri occidissent. (Cic. De nat. deorum, liv. m, c. 6.)

» Kali, Kali! Déesse aux dents terribles! Rassasie-toi, » déchire, broic tous ces lambeaux ! Mets-les en pièces » avec cette hache! Prends, prends! saisis! arrache! >> bois le sang à longs traits! » Les Chinois, au rapport de William Jones (1), immolent à lours dieux des victimes humaines. Les Perses prophétisaient dans les cavernes consacrées à Mithra, en consultant les entrailles des hommes et des jeunes filles immolés à cette impitoyable divinité qui, touchée de l'humiliation des hommes, consentait à leur dire quelques paroles.

Xercès sacrifie neuf jeunes garçons et neuf jeunes filles (2), non loin du fleuve Strymon. Amestris, malade, au rapport du même historien, fait enterrer vivants, en l'honneur du dieu qui habite sous terre, quatorze enfants des plus illustres familles de son royaume (3), pour sauver sa vie : quelle compensation! Mais c'est toujours un hommage rendu à la divinité. L'homme s'immole à Dieu, seul moyen d'effacer le souvenir de sa rivalité : Dü eritis.

Nées en Asie, ces superstitions cruelles ont été introduites par les Kimris dans le nord et dans le midi de l'Europe. Dans les Gaules, les Druides offrent, au milieu des horreurs de la nuit, deux taureaux blancs, pendant que l'on cloue au tronc d'un arbre le corps de

(4) Asiat. research. 11, 578.

(2) Dans le lieu appelé Les neuf voies. (HÉRODOTE.)

(3) Car ce genre de supplice est une coutume de la Perse. Je sais qu'Amestris, épouse de Xercès, fit enterrer vivant, en l'honneur du dieu qui habite sous terre, quatorze fils des plus illustres familles de son royaume. (Id.)

la victime humaine, holocauste sanglant d'expiation pour tout le peuple. Les Gaulois, qui se trouvent dangereusement malades (1), offrent aux dieux ou leur promettent des sacrifices humains, et les Druides leur prêtent leur ministère. Le pieux Enée lui-même remplit les fonctions du sacerdoce et trempe ses mains dans le sang humain (2). Chez les Gètes, lorsqu'une victime échappait au javelot dans le moment du sacrifice, elle était bannie comme exécrable, et l'on s'empressait de la remplacer par une autre moins indigne. d'être offerte en expiation. L'Étrurie, mère des superstitions, fait tuer des gladiateurs dans ses funérailles, et ses prêtres, semblables à des furies, armés de torches et de serpents, versent le sang des vierges sur les autels de Junon. Les Sabelli, comme les Pélasges, adorent le dieu de la mort, et immolent leurs jeunes enfants à l'exécrable dieu Mamers. Le besoin d'expiation était si universel, qu'il a inspiré cette sentence à Lucrèce C'est la crainte qui a fait les dieux.

Dans le sanctuaire de Samothrace, comme dans celui d'Éleusis, le dogme de la déchéance humaine, altéré comme toutes les autres vérités primitives, amena mille aberrations, telles que la métempsycose, la psychostasie, et donna naissance aux pratiques les plus révoltantes d'impureté et de barbaric. Thoth s'est

(1) CESAR. Comment.

(2)

Sulmone creatos
Quatuor hic juvenes, totidem, quos educat Ufens,
Viventes rapit, inferias quos immolet umbris.

(Enéide, 1. x, v. 517 et suivants.)

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